Le dernier rapport de l’OMS estime à 15 millions le nombre de jeunes vapoteurs dans le monde et alerte sur un « usage quasi généralisé » chez les adolescents. Mais un examen approfondi de la méthodologie révèle que ces chiffres reposent sur des enquêtes parfois vieilles de plus d’une décennie, des hypothèses discutables et des révisions inexpliquées de données historiques. Analyse.

Ce qu’il faut retenir
  • L’OMS estime à 15 millions le nombre de jeunes vapoteurs dans le monde, soit 7,2 % des 13-15 ans ;
  • Une majorité des données utilisées remontent à plusieurs années, parfois jusqu’à 2014 ;
  • Les projections mondiales reposent sur des suppositions pour les pays sans données récentes ;
  • La méthodologie plus que simpliste du rapport rend les estimations invérifiables.

Un vocabulaire alarmiste qui ne colle pas aux chiffres

Depuis quelques jours, la presse mondiale en parle. Il y aurait 15 millions de jeunes, âgés de 13 à 15 ans, qui utiliseraient une cigarette électronique dans le monde. Les jeunes seraient d’ailleurs neuf fois plus nombreux à vapoter que les adultes. Des chiffres en provenance du dernier rapport de l’OMS sur la prévalence tabagique mondiale.

« Ce constat n’a rien d’étonnant, compte tenu du ciblage agressif des enfants et des jeunes par l’industrie, notamment via de nouveaux canaux numériques insuffisamment régulés. », souligne l’Organisation mondiale de la Santé. Avant d’ajouter que « l’usage quasi généralisé de la cigarette électronique chez les adolescents à travers le monde suscite de vives inquiétudes dans la communauté de santé publique. »

Pourtant, selon les chiffres qu’elle communique, 15 millions de 13-15 ans qui vapotent seraient équivalents à 7,2 % des jeunes de cet âge. Un chiffre qui semble bien loin d’un « usage quasi généralisé ». Et les incohérences dans ce rapport ne s’arrêtent pas là.

Des données majoritairement recyclées

La partie dans laquelle l’OMS souligne les limitations de son travail est plus surprenante encore. Nous y apprenons par exemple que « le jeu de données de ce rapport comprend 176 enquêtes de population menées en 2018–2019, 116 en 2020–2021 […] et 114 en 2022–2023. » Autrement dit, le document censé faire l’état des lieux de la prévalence tabagique dans le monde en 2025 utilise une majorité de données qui datent de plusieurs années en arrière. Le rapport indique d’ailleurs que les données utilisées cette année provenaient de 2 034 enquêtes nationales, et que, parmi elles, « 1 789 étaient les mêmes que celles utilisées lors du précédent cycle d’estimations, sans ajout de nouvelles données. »

D’où viennent donc les chiffres que l’organisation met en avant dans la publication de cette année ? De « projections ». Et à ce sujet, le rapport indique également que ces projections ont été réalisées à l’aide d’un outil open source, et n’a été exécuté que pour les pays disposant d’au moins deux enquêtes nationales représentatives. « Pour les pays dont les données sont insuffisantes, aucune estimation de tendance n’est calculée. Ces pays sont néanmoins inclus dans les analyses régionales et mondiales, en supposant que leurs taux de consommation de tabac ressemblent à ceux observés dans les pays du même groupe d’analyse. » L’OMS réalise donc des projections, qui plus est à l’aide de données incomplètes, et supposées.

Quand l’OMS révise son propre passé

Notons aussi autre chose qui a de quoi interroger. Comme l’indique le docteur Jeremy Farrar dans l’avant-propos du document, ce rapport « constitue une mise à jour opportune de la précédente édition publiée il y a deux ans. »

Et lorsqu’on s’intéresse à cette précédente édition, voici le graphique que l’OMS communiquait pour illustrer la tendance de la prévalence tabagique dans le monde :

Tendances mondiales de la prévalence de la consommation de tabac chez les personnes âgées de 15 ans et plus, selon le sexe. Extrait du rapport de l’OMS daté de 2023

Voici les chiffres indiqués sur ce graphique :

Prévalence du tabagisme chez les hommes

  • 2000 : 49,3 %
  • 2005 : 45,7 %
  • 2010 : 42,3 %
  • 2015 : 39,5 %
  • 2020 : 36,7 %

Prévalence du tabagisme chez les femmes

  • 2000 : 16,2 %
  • 2005 : 13,4 %
  • 2010 : 11,1 %
  • 2015 : 9,3 %
  • 2020 : 7,8 %

Prévalence du tabagique pour les deux sexes

  • 2000 : 32,7 %
  • 2005 : 29,5 %
  • 2010 : 26,7 %
  • 2015 : 24,4 %
  • 2020 : 22,3 %

Observons maintenant le même graphique, publié dans le rapport sorti hier, 6 octobre 2025 :

Tendances mondiales de la prévalence de la consommation de tabac chez les personnes âgées de 15 ans et plus, selon le sexe, 2000–2030 (estimations jusqu’en 2024, projections jusqu’en 2030). Extrait du rapport de l’OMS publié en 2025

Prévalence du tabagisme chez les hommes

  • 2000 : 49,8 % (+ 0,5 %)
  • 2005 : 45,3 % (- 0,4 %)
  • 2010 : 41,4 % (- 0,9 %)
  • 2015 : 37,9 % (- 1,6 %)
  • 2020 : 34,7 % (- 2 %)

Prévalence du tabagisme chez les femmes

  • 2000 : 16,5 % (+ 0,3 %)
  • 2005 : 13,4 %
  • 2010 : 11 % (- 0,1 %)
  • 2015 : 9,1 % (- 0,2 %)
  • 2020 : 7,5 % (- 0,3 %)

Prévalence du tabagique pour les deux sexes

  • 2000 : 33,1 % (+ 0,4 %)
  • 2005 : 29,4 % (- 0,1 %)
  • 2010 : 26,2 % (- 0,5 %)
  • 2015 : 23,5 % (- 0,9 %)
  • 2020 : 21,1 % (- 1,2 %)

Comme nous pouvons le remarquer, les deux rapports ne donnent même pas les mêmes chiffres pour des années pourtant identiques. La prévalence tabagique de 2000, établie il y a 25 ans, passe de 32,7% à 33,1% entre les deux publications. Celle de 2020 chute de 22,3% à 21,1%. Et les différences approchent même parfois des 2 %, représentant ainsi plusieurs dizaines de millions de fumeurs !

Autrement dit, l’OMS révise rétroactivement des données vieilles de deux décennies sans fournir la moindre explication. Si les révisions de chiffres sont courantes en épidémiologie quand de nouvelles enquêtes affinent des estimations, quelles nouvelles données de l’an 2000 pourraient surgir 25 ans plus tard ?

E-cigarettes : méthodologie simpliste, résultats invérifiables

Si les graphiques ci-dessus montrent une imprécision flagrante concernant le nombre de fumeurs dans le monde, malgré l’immense quantité de données disponibles à ce sujet, les choses se corsent encore au sujet de la cigarette électronique. L’outil de sevrage tabagique étant beaucoup plus récent, les données disponibles sont encore moins nombreuses. Et un examen détaillé des données sources (Annexe 2.5) révèle une situation encore plus préoccupante.

D’abord, comme l’OMS le souligne dans son rapport, sur les 195 pays que compte le monde, elle ne disposait de données que pour 123 d’entre eux. Elle considère donc que les 72 autres n’ont aucun utilisateur. Une situation improbable qui conduit forcément à une sous-estimation du nombre de 13-15 ans qui vapotent, ce qui questionne la fiabilité de l’ensemble des chiffres communiqués

Les données de certains pays remontent aussi, parfois, à très loin. Par exemple, pour Belize et le Yémen, les données utilisées pour les projections de l’OMS datent de l’année 2014, c’est-à-dire il y a onze ans ! Pour le Guatemala et les Seychelles, c’est 2015. Pour Oman, c’est 2016. Et ces prévalences qui datent d’il y a plus de dix ans sont utilisées dans les calculs d’aujourd’hui, pour faire des estimations du nombre de jeunes vapoteurs actuels.

Et ces estimations, justement, utilisent une méthodologie d’un simplisme inquiétant. La méthode de l’organisation consiste à prendre la prévalence trouvée dans les données, quelle que soit leur année, la multiplier par la population en 2023, et supposer que ça donne le nombre d’utilisateurs en 2025. Il n’y a absolument aucun ajustement de fait.

Pourtant, au cours de ces dix années, tout a changé. D’un côté, l’apparition de nouveaux produits, comme les pods et les puffs, l’explosion de la publicité sur les réseaux sociaux et la facilité d’achat en ligne auraient pu faire exploser les chiffres. De l’autre, les législations restrictives, les interdictions de saveurs, la mise en place d’âges minimums d’achat, les campagnes de prévention scolaire, les taxes, ou encore les interdictions pures et simples dans certains pays auraient dû les faire chuter. Quelle tendance l’a emporté ? Impossible à dire avec une méthodologie qui se contente de multiplier d’anciennes prévalences par de nouvelles populations.

Finalement, utiliser une donnée de 2014 pour estimer l’usage en 2025 sans tenir compte de ces évolutions contradictoires, c’est prétendre savoir ce qu’on ignore. Le chiffre de 15 millions est-il sous-estimé ou surestimé ? Personne ne peut le dire.

Une question se pose alors : comment l’OMS peut-elle prétendre estimer le nombre de jeunes vapoteurs en 2025, quand elle révise encore les chiffres du tabagisme de l’an 2000 et s’appuie sur des données vieilles de plus d’une décennie pour ses projections actuelles ?

Le reste de l’actualité

République tchèque : le pays interdit le sucralose, et renforce...

  • Publié le 6/10/2025

Suite à 9 hospitalisations d’ados, la Tchéquie adopte un décret d’urgence : cannabinoïdes interdits, sucres bannis, étiquetage renforcé. Son entrée en vigueur devrait être imminente.

Les vendredis du passé

  • Publié le 3/10/2025

Il arrive qu’on se remémore de l’époque où on fumait. Parce que ces temps étaient agréable, non pas grâce, mais malgré la clope.

Royaume-Uni : comment continuer à vendre vos e-liquides après octobre...

  • Publié le 3/10/2025

Guide pour vendre vos e-liquides au Royaume-Uni après 2026 : taxe, timbres fiscaux obligatoires et démarches pour obtenir l’approbation HMRC.

Annonce