Les puffs sont des comètes : en un laps de temps très court, elles sont passées de curiosité de niche à phénomène de société, puis à ennemi public numéro un. Tellement que deux projets de loi les visant ont été proposés, un au Sénat, l’autre à L’Assemblée nationale. Face à la controverse, combien de temps les vapes jetables peuvent-elles tenir ?

L’empire du Milieu

Les puffs semblent occuper le devant de la scène depuis longtemps, si on juge le nombre de débats et de controverses autour de ces cigarettes électroniques jetables. Et pourtant, toute l’affaire se concentre sur l’année 2022, ou presque.

Le dossier “puffs” démarre en réalité officiellement en décembre 2021, en Chine. Là-bas, l’État prend le monopole de la vape, et impose des restrictions importantes sur le marché intérieur. Les citoyens chinois se voient imposer des cartouches préremplies scellées. Des pods, donc.

Mais, dans un pays qui compte un 1,3 milliard d’habitants, dont la demande est satisfaite par des centaines de fabricants, chacun passant son temps à lancer de nouveaux modèles, se pose une question : comment faire en sorte que chaque client trouve des cartouches compatibles avec le pod qu’il vient d’acheter, parmi les milliers de références disponibles ? Et, pour les marchands, comment rentrer un tel choix dans leur magasin ? La solution ? Que le client achète l’ensemble, et jette le tout après utilisation. Ce qui donne le système, dit “Puff”, du nom de la marque la plus emblématique du marché, grâce à une campagne marketing agressive. Le terme Puff est bel et bien une antonomase, un nom propre utilisé comme nom commun, comme Scotch, Sopalin, Sandwich ou Poubelle.

La solution la plus simple, pour le marché intérieur chinois, est donc la puff, qui existe depuis le début de la vape, mais trouve un regain de vitalité. Les industriels, qui ont le champ libre pour les produits à l’exportation, considèrent néanmoins que leurs lignes de productions pourraient être mieux amorties s’ils parvenaient aussi à vendre des puffs sur le marché international.

Dans les faits, les industriels, qui avaient eu vent des projets du gouvernement chinois, avaient anticipé et l’offensive des puffs avait débuté à l’automne 2021, en galop d’essai, tant sur le marché interne chinois qu’à l’international.

Mauvaise influence

À l’automne 2021, sur les réseaux sociaux, de nombreux influenceurs se mettent à faire illégalement la promotion de produits du vapotage. Mais pas n’importe lesquels. Des jeunes gens, qui ont pour cible un public adolescent. Comme Sarah Fraisou, ciblée par un article du Figaro début avril 2022. L’influenceuse compte à l’époque 3 600 000 abonnés sur le réseau social chinois TikTok, dont 70 % sont mineurs, et fait de la publicité pour les puffs.

L’influenceuse Sarah Fraisou faisant la promotion de puffs sur les résaux sociaux en 2022.

Ce n’est pas la première fois que les influenceurs ont été utilisés pour faire de la promotion des produits du vapotage : Philip Morris International avait été condamné pour cette raison en 2021, et Japan Tobacco International en 2022.

Très vite, le gouvernement français se saisit de l’affaire, mais le mal est fait : les puffs sont devenues une mode. Et si les autorités peuvent intervenir dans les pratiques publicitaires interdites, en revanche, pour la commercialisation, impossible : les puffs sont légales.

Et ils se vendent en dehors du réseau de vape. Les buralistes, jusqu’ici outsiders du marché de la vape derrière les boutiques spécialisées, reprennent l’ascendant sur ce créneau spécifique, mais surtout, les puffs se vendent aux caisses des grandes et moyennes surfaces, et dans les bimbeloteries et autres soldeurs.

Notre rédaction a d’ailleurs organisé un testing sauvage dans une grande enseigne de décoration et idées-cadeaux. Et il s’est avéré que, contrairement à son slogan, et contrairement à la législation, les caissières n’avaient pas l’idée de génie de demander la carte d’identité des mineurs achetant des puffs en 20 mg/ml de nicotine.

Le Sénat sonne la charge

Dès lors, la troisième étape du dossier puffs pouvait s’ouvrir : de solution technique pour les industriels chinois, puis de manipulation marketing à destination des marchés occidentaux, elles devenaient l’ennemi public numéro un.

La sénatrice Catherine Procaccia (Les Républicains) un amendement au projet visant à instaurer une taxe dissuasive sur les puffs en novembre 2022. ©Sénat/Sonia Kerlidou.

Si le dossier politique était sur la table, en France, le premier coup vint du Sénat. C’est la sénatrice du Val-de-Marne, Catherine Procaccia (Les Républicains), qui dépose un amendement au projet de loi sur le financement de la Sécurité sociale, visant à instaurer une taxe dissuasive sur les puffs. Cet amendement a été adopté le 8 novembre 2022 par le Sénat.

Le point était marqué : la puff n’était plus un objet de controverse sociétal, elle devenait un problème politique à régler. “En matière de tabac, la politique la plus efficace c’est de ne jamais commencer. Le développement rapide de la puff, avec des saveurs récréatives et un marketing ciblant les adolescents, va à l’encontre de cet objectif. La cigarette électronique est pour moi un moyen de sevrage alors que les puffs sont destinées à ceux qui n’ont jamais fumé. Elles ont l’effet inverse et sont une porte d’entrée vers le tabac”, expliquait la sénatrice Procaccia lors d’une interview accordée au Vaping Post.

Et elle justifie le choix d’une taxe : “L’augmentation importante de son prix peut avoir un effet dissuasif, surtout pour des jeunes et très jeunes.”

“Les puffs ne sont pas de la vape”

Une chose était marquante dans le projet d’amendement : le soin de bien distinguer les puffs de la vape traditionnelle, afin que cette dernière soit épargnée. “N’étant ni fumeuse, ni vapoteuse à titre personnel, j’appréhende le vapotage d’abord sous l’angle des politiques publiques de santé, explique la sénatrice. La cigarette électronique me paraît être un outil de sortie de la cigarette destiné à des fumeurs adultes seulement, et non pas un produit d’initiation pour des non-fumeurs et encore moins pour de jeunes mineurs. En la matière, la meilleure des reconnaissances, c’est d’abord la reconnaissance scientifique basée sur des études indépendantes. En tant que vice-présidente de l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, je tiens à cette approche. Sur la cigarette électronique ‘traditionnelle’, des études, notamment de Santé publique France, nous ont démontré que ce produit pouvait être pour des fumeurs adultes un moyen d’arrêter le tabac. Ce n’est pas le produit miracle avec des interrogations qui demeurent, mais au moins c’est un élément positif à valoriser. La puff, elle, ne peut se prévaloir d’être une porte de sortie du tabac, bien au contraire. C’est pourquoi j’ai tenu à distinguer ces deux produits.”

Si la taxe était dissuasive, n’aurait-il pas été plus simple de demander l’interdiction ? “Le droit d’amendement est sévèrement encadré par la Constitution dans le cadre de l’examen des textes budgétaires. Seuls les amendements portant sur les recettes et les dépenses de la Sécurité sociale sont admis lors de l’examen du PLFSS (projet de loi de financement de la Sécurité sociale). Ainsi, une interdiction pure et simple des puffs, tout comme un encadrement plus strict et plus responsable de leur distribution et de leur marketing, n’aurait pas été examinés ; l’amendement aurait été déclaré irrecevable. Mon amendement a permis un débat dans l’hémicycle du Sénat, montré une inquiétude partagée de ce qui me paraît pouvoir être un danger. Il a d’ailleurs été voté à une très forte majorité sur tous les bancs. Ce texte budgétaire peut ainsi inciter le gouvernement à intervenir sans attendre une future loi santé, qui n’est pas à l’ordre du jour.” La sénatrice est d’ailleurs sceptique sur l’interdiction : “Je ne suis pas certaine que l’interdiction soit la meilleure solution, surtout lorsque l’on s’adresse à des ados ou à des jeunes. On risque d’avoir l’effet inverse ! Sans compter que beaucoup en achètent sur Internet.”

L’amendement a été voté par le Sénat, mais ne sera finalement pas retenu dans la version finale du budget, adoptée par 49-3, le 30 novembre 2022. Mais le point est marqué : le gouvernement, bien que critiquant la méthode, a reconnu par la voix d’Olivia Grégoire, la ministre déléguée chargée des Petites et Moyennes Entreprises, que le sujet était préoccupant, et s’est engagé à une réflexion sur la fiscalité dissuasive des puffs.

Si ce n’est pas taxé, on interdit

Quelques jours plus tard, une seconde offensive est menée, depuis l’Assemblée nationale cette fois-ci. La veille, c’était la droite qui proposait une taxe dissuasive au Sénat. Le lendemain, c’est la gauche qui sollicite l’interdiction à l’Assemblée nationale. Le texte est porté par Francesca Pasquini, députée des Hauts-de-Seine Europe Écologie Les Verts. Pour aboutir, il devrait être soutenu par une alliance politique improbable allant de la gauche à la droite, en passant par le parti présidentiel. Improbable ? Peut-être pas tant que cela, et c’est le premier enseignement : les puffs sont considérées comme un problème par la classe politique au-delà des positionnements idéologiques. Elle a accepté de répondre à nos questions.

Francesca Pasquini, députée Europe Écologie Les Verts : Au-delà du sujet écologique, il y a la politique marketing, qui cible les jeunes”.

“Je ne suis pas une vapoteuse, mais j’ai des collègues qui vapent”, explique Francesca Pasquini. Contrairement aux cigarettes électroniques à usage unique comme la puff qui posent des problèmes majeurs, la vape est un dispositif qui peut être intéressant pour les fumeurs lors d’une sortie du tabagisme, en tant que transition.”

Ce qui frappe dans la proposition de Loi (PPL), autant que dans l’amendement voté par les sénateurs de droite, assez différent dans la forme, mais similaire dans l’idée, c’est le distinguo fait entre les puffs et la vape traditionnelle. “Il est assez facile de faire la différence. Nous sommes en présence de cigarettes électroniques à usage unique, munies de batteries au lithium, d’emballages plastiques, non réutilisables contrairement aux vapes traditionnelles qui sont rechargeables, ce qui est une aberration écologique”, déplore-t-elle.

Les griefs : l’écologie et le marketing

Mais il n’y a pas que cela. “Au-delà du sujet écologique, il y a la politique marketing, qui cible les jeunes, insiste la députée écologiste. Les cigarettes électroniques à usage unique coûtent moins cher qu’un paquet de cigarettes, on peut en acheter facilement partout, y compris dans certaines grandes surfaces, et il n’y a pas de suivi. Dans les boutiques spécialisées dans la vape, un accompagnement existe, là ce n’est pas le cas. Et les chiffres de l’Alliance contre le tabac sont éloquents, 33 % des jeunes de 13 à 16 ans connaissent ces dispositifs à usage unique et 13 % l’ont utilisé.”

Ce qui frappe, c’est le changement de ton dans le discours politique, qui fait le distinguo à l’intérieur des pratiques du vapotage, et semble considérer la vape traditionnelle avec une certaine forme de bienveillance.

“Je mettrais un petit bémol à ce propos, précise la députée des Hauts-de-Seine. La vape traditionnelle n’est pas l’objet de cette PPL. La différence que je fais est que la vape est rechargeable, et les puffs ne le sont pas. Nous avons proposé le texte en lien avec le Mois sans tabac et la COP 27, pour lancer l’alerte sur ces cigarettes électroniques à usage unique. Il y a certainement un débat spécifique à avoir sur la vape, et sans doute peut-on aussi parler des batteries au lithium, mais ce n’est pas le but de cette proposition”.

Mais, quelles sont les chances pour le texte d’aboutir ? La question un peu candide fait sourire la députée. “Nous avons lancé le texte de façon ouverte et transpartisane, c’est un sujet à la fois d’urgence écologique et de santé publique qui va au-delà des clivages, et nous souhaitons que tous nos collègues s’en saisissent, prévient-elle. Même si la proposition de loi n’aboutissait pas, au final, mais que cela poussait le gouvernement à se saisir du sujet, nous en serions très satisfaits.”

Certains observateurs ont noté l’apparition d’une taxe sur les produits du tabac dans le texte. Contactée, l’équipe de la députée a expliqué qu’il s’agissait d’une obligation technique. Tout projet de loi qui implique une perte de revenu fiscal pour le gouvernement doit comporter une compensation. Mais il ne s’agit absolument pas d’une taxe sur la vape, contrairement à ce que certains ont pu extrapoler.

Les associations attendent un débat

Jean Moiroud, président de la Fivape, doute un peu du bien-fondé de ces initiatives : “Les puffs sont un produit très exposé, il y a eu un affichage médiatique important, et on regrette, à la Fivape, que députés et sénateurs se soient saisis du sujet sous le coup de l’émotion. Le sujet mérite un débat serein et éclairé.”

Jean Moiroud, président de la Fivape regrette que les députés et sénateurs se soient saisis du sujet sous le coup de l’émotion.

C’est une remise en question complète dont il est question. “Il faut tenir compte de l’âge moyen d’entrée des jeunes dans le tabac. Beaucoup de jeunes commencent à fumer des cigarettes très tôt sans que cela pose de problème sociétal particulier, alors que c’est une catastrophe sanitaire. Ce qu’il faut poser, c’est la question de l’acceptabilité sociale de la consommation de nicotine. C’est une question de long terme. Les citoyens sont-ils prêts pour ce débat ? On ne sait pas”, admet le président de la Fivape.

Et le sujet est clairement posé : voir des mineurs consommer de la nicotine via les puffs est un sujet grave à propos duquel le politique souhaite agir rapidement, mais les voir consommer du tabac sans avoir accès à des produits de substitution ne semble pas requérir d’action urgente de la part des mêmes décideurs. La question étant : si on ne peut pas empêcher les jeunes de consommer de la nicotine, ne vaudrait-il pas mieux se demander plutôt quelle nicotine ?

La Fivape, par la voix de son président, est assez nuancée sur les puffs : “Il faut en débattre avec les bons paramètres. Même si les puffs posent de nombreux problèmes, deux éléments sont à mettre en balance : ça permet à certains fumeurs non technophiles d’accéder à la vape, et ça donne envie à des fumeurs qui n’étaient jusqu’ici pas intéressés de se mettre au vapotage. Mais ça pose la question du circuit de distribution.”

La Fivape estime que le fait que les puffs puissent être distribuées dans les boutiques spécialisées fournit au consommateur un point d’ancrage et de conseil où il peut tenir lieu de produit de découverte. L’objectif étant, bien entendu, d’installer le fumeur sur un produit traditionnel le plus tôt possible. “Nous n’avons aucune volonté et aucun intérêt à vendre le produit sur le long terme”, précise la fédération interprofessionnelle.

Mais la Fivape serait-elle en train de demander le monopole des puffs pour les boutiques spécialisées ? C’est possible ? “En l’état actuel de la réglementation, non, admet Jean Moiroud. Il faudrait une législation spécifique, définir ce qu’est une boutique spécialisée, poser son rôle et sa définition. Mais selon nous, définir ce qu’est une boutique spécialisée et quel est son rôle, c’est une évolution naturelle qui devra se faire tôt ou tard”.

S’il faut en finir

Côté boutiques, le débat est vif. Et nous n’en nommerons aucune afin d’éviter la vindicte d’un côté ou de l’autre. Il y a d’une part les shops qui refusent obstinément d’en vendre, pour des raisons éthiques ou écologiques. Il en est même un dont le gérant a licencié un vendeur qui faisait pression pour que le produit soit référencé.

D’autre part, les boutiques qui en vendent. Selon elles, il y a grosso modo deux explications. La première : si on n’en vend pas, les clients vont aller ailleurs, ils vont retourner chez le buraliste. Et la seconde : c’est un moyen de faire connaître la vape à des fumeurs à qui on va ensuite proposer un kit classique, ce qui correspond à la position défendue par la Fivape.

Contacté par nos soins, le ministère de la Santé, par l’intermédiaire d’un attaché de presse, nous assure que le dossier “Puffs” est bel est bien ouvert. Le gouvernement souhaite en prendre toute la mesure afin de prendre la décision la plus pertinente.

Enfin, les fabricants chinois sont sereins. Que feraient-ils si le marché européen de la puff se fermait ? Ceux qui ont répondu l’ont fait d’un laconique : “Nous avons d’autres produits à notre catalogue.”

Le dossier “Puffs” sera-t-il clos en 2023 ? Grand devin qui pourrait le prédire. Une chose est certaine : investir massivement dans la puff aujourd’hui en France, c’est un pari économiquement risqué, tant la visibilité à moyen terme est nulle. Les questions que les puffs soulèvent, elles, ne sont pas prêtes à trouver des réponses.

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