La vape et l’argent, ou plutôt la vape et les banques… Vaste sujet, que nous allons aborder dans ce dossier. Parce qu’il semble bien que les rapports entre les vapoteurs et les financiers soient compliqués, mais que, paradoxalement, cela présente un certain intérêt sur le long terme pour la profession.

Méthodologie

Pour réaliser ce dossier, nous avons interrogé 27 entreprises de vape (de la boutique au fabriquant de liquide), 11 banques et 7 assurances, parfois au niveau des agences, parfois au niveau de sièges régionaux, voire nationaux, quand c’était possible.

Beaucoup de sociétés de vape nous ayant demandé l’anonymat de leur témoignage pour ne pas se mettre en porte-à-faux vis à vis de leur banque ou assurance, nous avons choisi de rendre anonymes, avec l’accord des intéressés, tous les témoignages, afin que tous les témoins se retrouvent sur un pied d’égalité.

Ouvrir un compte pour sa société

Autant le dire tout de suite : entre les banquiers et les professionnels de la vape, les rapports sont compliqués, ceci étant dû souvent à une incompréhension.

“Lorsque nous avons créé notre société”, nous ont expliqué plusieurs dirigeants et dirigeantes d’enseignes de distribution, “nous devions ouvrir un compte pour faire un dépôt de garantie. Il s’agissait tout simplement d’ouvrir un compte et d’y déposer une somme, en l’occurrence 3000 euros, pour garantir la société. Entendons nous bien : il n’était pas question ni de faire un emprunt, ni même de demander un découvert ou une facilité de caisse. C’était ce qu’il y avait de plus basique : pour créer la société, il nous fallait un compte dans une banque avec 3000 euros dessus. On nous a dit non” s’étonnent-ils.

Pour la suite “Nous avons ouvert un compte dans une banque très, très connue, dont le métier à la base n’est pas la banque, d’ailleurs. Il n’y a eu aucun problème.” un des patrons interrogés sourit “on a dû lui répéter plusieurs fois qu’on créait une entreprise de vape, pour être sûr que le conseiller avait bien compris, tellement ça avait l’air simple”.

Le cas se répète assez souvent “finalement, on a ouvert notre compte de dépôt dans ce qui est sans doute la moins bonne banque de France, et ce n’est pas moi qui le dis, ce sont les associations de consommateurs, mais eux au moins ne nous ont pas fait de difficultés. Pour la suite, par contre, on a compris qu’on devrait se débrouiller nous-même.”

Les prêts aux entreprises

Beaucoup de petites sociétés se sont retrouvées échaudées par le premier contact avec leurs banques. Si certains ont eu plus de facilités que d’autres à ouvrir un compte professionnel, les facilités de caisse, autorisations de découvert, voire crédits appartiennent à la science-fiction. Du moins, pour les créations d’entreprise ou pour les petites enseignes.

“On n’a pas pu emprunter un sou »  est ce que l’on a le plus souvent entendu, avec toujours la même solution “alors on a fait avec les moyens du bord, on a mis toutes nos économies, on a vu nos ambitions à la baisse, et on a emprunté tout ce qu’on a pu à notre famille et à nos proches.”

Beaucoup nous ont confié en rigolant “Aujourd’hui, ce sont les banques qui nous démarchent pour nous proposer de nous prêter des sous”.

“La première année, j’ai fait moins de cinquante mille euros de chiffre d’affaire” explique un patron “j’ai voulu emprunter, et on m’a dit que j’étais trop petit dans un secteur avec trop de risque. Aujourd’hui, je fais plusieurs millions et ma banque m’a signifié qu’ils me prêteraient de l’argent avec plaisir. Mais je n’en ai pas besoin.” 

Il est impossible de clore ce sujet sans parler de cette société qui fabriquait un consommable très apprécié pour la vape. A un moment crucial de son existence, alors qu’elle avait besoin d’argent pour son développement, les banques ne l’ont pas suivie. Faute de pouvoir faire franchir un cap à leur entreprise, les dirigeants se sont résignés à jeter l’éponge. 

Difficile même sur le plan personnel

Mais en dehors des problèmes liés à l’entreprise, il y a également des répercussions sur la vie privée. Ainsi, ce couple qui a créé une entreprise de vape, connue et qui marche bien. Ce n’est pas le seul exemple, mais c’est sans doute le plus parlant.

“Lorsque nous avons voulu acheter une maison, nous avons fait estimer notre capacité d’emprunt. Tous les feux étaient au vert pour que nous puissions obtenir 350 000 euros de prêt. Nous avons donc cherché une maison dans ces tarifs, et nous l’avons achetée.” félicitations “euh… Non, pas vraiment. Nous sommes passés par un courtier en crédit, pour obtenir la meilleure offre. C’est quelqu’un qui ne fait que ça, qui connaît les banques, et il nous a dit, au vu du dossier, que ça allait être simple”.

On devine que pas du tout ? “Non. Dès qu’il annonçait notre secteur d’activité aux banques, c’était un refus catégorique. Au final, on a été obligé d’annuler l’achat de la maison que nous avions trouvée.”

Les deux entrepreneurs, furieux, prennent les choses à bras-le-corps “On a été voir le directeur de la banque où nous avons les comptes de l’entreprise, et qui nous avait refusé un prêt immobilier, lui aussi. Nous lui avons dit que, puisque c’était comme ça, nous allions fermer les comptes de notre société, et les transférer ailleurs. Notre société est devenue importante, et nous faisons plusieurs millions d’euros de chiffre d’affaire annuel.”

Au pied du mur, le directeur d’agence trouve un compromis “Il nous a proposé un prêt de 200 000 euros, parce que jusqu’à cette somme, il pouvait décider seul. Au delà, il fallait que le dossier parte au siège, et ce serait à nouveau un refus.” le couple finit par accepter “on a acheté une maison à 200 000 euros, dans laquelle on a fait énormément de travaux pour qu’elle soit habitable, alors que nous avions la capacité d’avoir plus et de pouvoir nous installer confortablement.”

Ces témoignages sont les plus représentatifs des difficultés rencontrées par les entrepreneurs de la vape à titre personnel. Mais les banques ne perdent pas le nord : en dessous d’un certain montant facile à garantir, ou au-delà d’un certain chiffre d’affaires (on parle en dizaines de millions), ces difficultés disparaissent comme par magie.

La vape s’adapte et y trouve son avantage

Paradoxalement, cette frilosité bancaire présente divers avantages : la vape est, au niveau entrepreneurial, un des secteurs d’activité les moins endettés. Plusieurs entrepreneurs nous l’ont confirmé : devant l’impossibilité d’emprunter de l’argent, et donc de s’endetter, ils ont eu recours au système D et à une bonne dose d’imagination. Leurs entreprises ont grossi sans emprunt à rembourser.

“Ça ne veut pas dire que tout ce que nous gagnons va dans notre poche” soulignent plusieurs dirigeants “une bonne partie de l’argent qu’on gagne sert à développer notre société, puisqu’on n’a pas la possibilité d’emprunter. Mais si on a une difficulté, un passage à vide, on sait qu’on n’aura pas à rendre de comptes à la banque.”

Et surtout “quand on économise et qu’on achète le local de notre boutique, c’est à nous, pas à la banque, pas au propriétaire à qui on paie un loyer, à nous.”

La réponse des banques 

Au niveau des banques, la situation ressemble fort au jeu de la patate chaude. En agence, on nous répond que les décisions sont souvent prises au niveau régional. Au niveau régional, on nous explique que toutes ces décisions sont en fonction des grandes orientations des sièges nationaux. Dans les sièges nationaux… Quand on arrive à avoir une réponse, on nous répond qu’il n’y a pas de consignes précises et qu’ils s’en remettent aux décisions des directeurs de régions ou de secteurs. C’est pas moi, c’est l’autre. Le cadre d’une banque française de stature internationale nous le résume en une phrase “la vape, ça peut s’effondrer comme ça peut exploser et dominer le monde demain. On ne sait pas, pour l’instant, au vu du nombre de facteurs. Pour l’instant, dans nos esprits, ce n’est pas encore un marché à part entière, mais plus une forme de spéculation.”

Et force est de constater qu’il n’y a pas d’uniformité. Tel shop au nord de la France nous dit que la banque X n’a pas voulu d’eux ? Une autre boutique au sud nous explique que eux sont à la banque X, justement, et qu’il n’y a eu aucun problème.

Un directeur d’agence dans une grande banque mutualiste nous confirme nos soupçons “Au niveau national, il n’y a pas, aussi bien chez nous que chez nos concurrents, de prise en compte de la vape au niveau économique. On sait que des sociétés marchent bien, et on les traite souvent bien, mais globalement, on ne sait pas trop quoi faire de cette activité.”

Dans quel sens ? “on ne sait pas trop comment ça va évoluer sur le plan législatif, si demain des entreprises prospères ne se retrouveront pas écrasées par les taxes et obligées de fermer. On sait que les buralistes, par exemple, et les grandes entreprises du tabac ne vont pas se laisser faire. Alors, de nos agences, on compte les points, on attend que le marché se stabilise.” pourtant, les entreprises marchent souvent bien, avec des taux d’endettement très faibles “Oui, nous sommes au courant”.

Mais ce mouvement ne s’arrête pas aux frontières de la vape “Je sais que dans certaines grandes banques, et c’est le cas chez nous, le regard a changé sur les buralistes. Il y a quelques années, le propriétaire d’un bureau de tabac, on lui prêtait de l’argent sans soucis. Aujourd’hui, nous avons ordre de scruter les dossiers et de faire très attention. Nous savons pertinemment que le tabac, c’est désormais une voie de garage. Par contre, la vape est trop jeune et encore trop disputée, il nous faut plus de visibilité à long terme.”

Des relations compliquées, mais évolutives

Les relations entre la vape et les banques sont encore compliquées. Si, pour certaines entreprises devenues très importantes, les banques suivent, c’est plus comme un pari sur l’avenir avec un facteur risque que comme un client lambda.

Ceci dit, durant notre enquête, nous avons senti un frémissement : les banques sont encore frileuses sur la vape, mais elles ne sont pas aveugles, le volume de transactions financières que brasse cette activité et la bonne santé économique des entreprises bien gérées les font réfléchir. C’est une question de patience.

Le second volet de cet article portera sur la vape et les assurances. 

Souvent entendu

Petit florilège des phrases récurrentes durant les entretiens :

  • “Les premiers temps, on était obligé d’expliquer ce que c’est que la vape. et quand on disait cigarette électronique, on nous demandait si on était buralistes” (Pro)
  • “Le banquier m’a refusé un prêt en me disant que la vape serait bientôt interdite, il avait vu ça à la télévision.” (Pro)
  • “Beaucoup de banques prennent leurs distances vis à vis du tabac pour des questions d’image, ce n’est pas pour se rapprocher de la vape.” (Banquier)
  • “Et si un de vos clients tombe malade ou que son appareil explose et qu’il vous fait un procès, comment vous allez payer les frais ?” (Banquier, à un professionnel)
  • “Les boutiques de vape, c’est comme les boutiques de bonbons à une époque, il s’en ouvrait partout. Elles ont toutes fait faillite.” (Banquier, à un professionnel)
Annonce