Alors que l’Assemblée nationale poursuit l’examen du projet de loi de finances 2026, acteurs associatifs, scientifiques et juristes se sont réunis en conférence de presse pour dénoncer l’article 23 qui prévoit la taxation du vapotage, l’interdiction de la vente en ligne et le passage des vape shops sous contrôle des douanes. La pétition Vaper n’est pas fumer approche les 200 000 signatures.
Une mobilisation pluridisciplinaire face à une « séquelle d’un budget construit dans l’improvisation »

Le texte gouvernemental prévoit l’instauration d’une accise de 0,03 €/ml pour les e-liquides contenant moins de 15 mg/ml de nicotine, et de 0,05 €/ml pour un taux de nicotine supérieur. En plus de l’interdiction de la vente en ligne des produits du vapotage et le changement de statut des vape shops qui passeraient sous le contrôle des douanes, à l’instar des bureaux de tabac.
L’argument scientifique : la réduction des risques au cœur du débat
Le Pr Antoine Flahault, médecin épidémiologiste et directeur de l’Institut de santé globale à la faculté de médecine de l’université de Genève, a posé les bases scientifiques du débat. Précisant d’emblée n’avoir « aucun conflit d’intérêts, ni avec l’industrie du tabac ni l’industrie de la cigarette électronique », il a rappelé un principe fondamental de la prévention : « Le problème n’est pas de savoir s’il y a un risque résiduel avec les substituts du tabac, mais c’est de savoir comment faire pour réduire ce risque du tabac fumé. »
Le professeur a insisté sur la distinction essentielle entre combustion et absence de combustion. « Tout le monde sait bien maintenant que c’est la combustion des feuilles de tabac qui est nocive pour la santé sur le plan carcinologique », avec les goudrons, responsables de 90% des cancers du poumon, « et aussi le monoxyde de carbone qui est dégagé par la combustion des feuilles de tabac et qui entraîne des risques cardio-vasculaires. » Selon lui, « tout cela n’existe pas du tout avec les produits sans combustion. »
Le Pr Flahault a cité l’exemple japonais comme « une sorte d’expérimentation naturelle qui est extraordinaire ». Le Japon, qui se trouvait il y a sept ans dans une situation comparable à la France avec 30% de sa population qui fumait, « a réduit de plus de 50% sa consommation de cigarettes en moins de 7 ans », grâce au développement des produits du tabac chauffé. « Les gains de santé, notamment de bonne santé, que vont faire les Japonais […] vont être très rapides et vont être extrêmement intéressants à mesurer », a-t-il souligné, avant de conclure : « Il ne faut pas entraver aujourd’hui ce qui limite la consommation de cigarettes. C’est elle l’ennemie, le seul ennemi de la santé publique dans le domaine du tabac. »
L’issue de secours ne doit pas être fermée
Jean-Pierre Couteron, psychologue clinicien spécialisé dans les addictions et ancien président de Fédération Addiction, a apporté le témoignage des praticiens de terrain. Il a rappelé que, dès l’apparition du vapotage, certains professionnels avaient pris le risque de le recommander en s’appuyant sur leur expérience de la réduction des risques dans le contexte du VIH et des hépatites.
« Quel est le problème avec le tabac ? C’est la combustion. Quel est le produit qui crée la dépendance ? C’est la nicotine. Est-ce que cet outil nous permet d’avoir la nicotine sans la combustion ? Oui. Donc, a priori, on va essayer de se donner le recul, on va suivre, mais prenons le risque d’y aller », explique-t-il s’être dit à l’époque.
Jean-Pierre Couteron a utilisé une métaphore puissante pour illustrer l’absurdité de la situation : « La réduction des risques, elle ouvre des portes de sortie. Dès que vous ouvrez une porte de sortie, dès que vous ouvrez une issue de secours, il y a des personnes qui vont tricher, qui vont passer à contresens […] Ceci dit, toutes les personnes responsables vous diront : ce n’est pas pour ça qu’il faut fermer les issues de secours. Si on bloque une issue de secours, ça sera toujours une catastrophe. Il vaut mieux prendre le risque de quelques tricheurs que d’enfermer l’ensemble de la population là où l’issue de secours lui permettrait de sortir. »
Il a également dénoncé l’idée que le vapotage serait une « solution de confort » qui ne mériterait pas d’être soutenue : « Pourquoi vouloir que l’outil de réduction des risques qui leur permettra de sortir [du tabagisme, N.D.L.R.] soit quelque chose qui ne soit que souffrance, que punition, et n’a pas le droit d’avoir ce minimum d’attractivité ? »
Des professionnels confrontés à une réalité de terrain
David Saint Vincent, psychologue au CHU de Rouen et administrateur de la Fédération Addiction, a lui aussi apporté son expérience. Représentant « le premier réseau de professionnels en addictologie en France », il a souligné que l’accompagnement en addictologie « s’appuie sur trois éléments : la prévention, le soin et la réduction des risques. Si on ne marche pas sur ces trois jambes-là, on est bancal. »
Il a particulièrement insisté sur l’accessibilité du vapotage pour les populations les plus vulnérables : « Je pense particulièrement aux personnes en situation de précarité. On voit très bien que l’effet : rentrer dans une consultation de tabacologie à l’hôpital, rentrer dans un bureau, où ces personnes auront une consultation d’une demi-heure après laquelle elles devront passer leur carte vitale… Quand on est à la rue […] ce n’est pas si simple. »
David Saint Vincent a également mis en garde contre « l’hystérisation du débat » :
« Si vous voulez hystériser un débat de façon générale, vous sortez deux cartes maîtresses : les jeunes et les femmes enceintes. À ce moment-là, on n’est plus du tout dans un débat rationnel, on commence à arriver dans des débats complètement émotionnels et on commence à sortir les fourches et les torches. » Et ces questions sont régulièrement mises sur la table lorsque les pouvoirs publics parlent de la cigarette électronique.
Concernant la théorie de la passerelle, il a rappelé qu’elle « n’existe pas ». Faisant par ailleurs le parallèle avec la théorie de l’escalade : « qui fume un joint finira avec une seringue dans le bras dix ans plus tard. Depuis une cinquantaine d’années, on se tue à répéter que la théorie de l’escalade est un fantasme, mais il y a une sorte d’histoire qu’on aime bien se raconter, qui n’est ni rationnelle ni étayée scientifiquement. »
Précision apportée par Yann Bisiou à ce sujet : « La théorie de l’escalade sort pour la première fois au Sénat en 1969, lorsque, pour interdire le cannabis, l’argument principal était le coût pour la Sécurité sociale. Lorsque le gouvernement s’est rendu compte que la pratique du ski ou du tennis était plus coûteuse pour la Sécu que le cannabis, la théorie de l’escalade est apparue. »
Le point de vue des usagers : un outil efficace menacé
Claude Bamberger, président de l’Association Indépendante des Utilisateurs de Cigarette Électronique (AIDUCE), a quant à lui rappelé des chiffres essentiels : « Aujourd’hui le vapotage est le moyen le plus utilisé pour arrêter de fumer en France. C’est le plus efficace dans les études cliniques, et c’est le plus efficient parce qu’en étant très efficace, il est aussi très utilisé par beaucoup de gens. »
Selon l’Eurobaromètre 2023, près de 2 millions de personnes en France déclarent avoir arrêté de fumer grâce au vapotage. « Quand on parle de 4 millions de nouveaux ex-fumeurs ou de fumeurs en moins en France, s’il y en a plus de 2 millions qui l’ont fait avec le vapotage, c’est très significatif et ne justifie en aucun cas de l’attaquer, au contraire », a-t-il souligné.
Sur la question controversée de l’effet passerelle, Claude Bamberger a été catégorique : « Les tricheurs en question [en référence à la métaphore des personnes qui empruntent des sorties de secours pour entrer quelque part, N.D.L.R.], ils sont inférieurs à 1%. » Il a également rappelé une donnée souvent négligée : « La moitié des cas d’ex-fumeurs » qui a arrêté avec la vape a également arrêté le vapotage ensuite.
La position de l’AIDUCE est claire : « Une taxe sur la vape, c’est une promotion du tabagisme. L’assimiler sous une forme réglementaire équivalente au tabac, c’est en plus donner un avantage à l’industrie du tabac, ce qui est inacceptable. On n’équilibre pas les comptes d’une nation en tuant ses citoyens, même si on a un problème de retraite. »
Une filière indépendante menacée de disparition
Jean Moiroud, président de la FIVAPE (Filière Française de la Vape), a présenté les enjeux économiques et sociaux de cette mobilisation. Il a d’abord tenu à clarifier un point essentiel : la FIVAPE est « farouchement indépendante de l’industrie du tabac » depuis sa création.
Pour l’industrie du tabac, « le vapotage est un concurrent, le concurrent le plus sérieux depuis l’invention de la cigarette industrielle, a-t-il expliqué. Le vapotage, c’est une catégorie de produits que n’avait pas vue venir l’industrie du tabac et qui concourt à la baisse systémique accélérée de ses parts de marché. »
Jean Moiroud a souligné que le marché du vapotage indépendant représente « environ 85 % de cette filière », avec plus de 3 500 boutiques spécialisées en France. Ces boutiques jouent un rôle sociologique crucial : « Ce sont des points de vente qui sont ouverts avec une grande amplitude horaire et qui sont autant de points d’entrée dans une stratégie d’arrêt du tabac librement accessible. »
Les conséquences de l’article 23 seraient multiples selon lui :
L’interdiction de la vente en ligne menacerait directement plus de 3 000 emplois, alors que « plus de 30 % des échanges de produits du vapotage se font par le biais de la vente à distance. » Cette fermeture présenterait « un risque très conséquent pour la santé publique, puisqu’il y a un risque de retour au tabac des vapoteurs et des vapoteuses. »
La taxation, quant à elle, enverrait « un signal absolument nocif quant à l’adoption des produits du vapotage, au déclenchement des envies et à la motivation d’arrêt du tabac. » Une taxe sous-entend « l’idée d’une externalité négative à compenser, alors que l’effet est très positif sur les comptes de l’État en améliorant instantanément la santé des fumeurs. »
Enfin, la mise sous tutelle des douanes transformerait les fabricants de liquides en « fabricants de cigarettes », un statut que Jean Moiroud juge inacceptable. En tant que cofondateur de la marque Fuu, il a ajouté : « Je ne me considère pas comme un fabricant de cigarettes, je suis un fabricant de liquides depuis plus de 10 ans. C’est un métier qui a du sens et qui nous tient à cœur. » Expliquant que son entreprise « ne pourrait pas survivre à la mise sous tutelle des douanes. »
Un texte juridiquement fragile selon les experts
Yann Bisiou, juriste et maître de conférences en droit commercial international et fiscalité internationale à l’Université Paul Valéry, a livré une analyse sans concession du texte : « C’est une séquelle d’un budget construit dans l’improvisation. Un budget normal n’aurait jamais permis à un article de ce type de sortir. »
Selon lui, les objectifs du texte sont « confus » : « On n’est clairement pas dans la santé publique, puisqu’à partir du moment où on taxe de la même manière les produits sans nicotine, c’est qu’on ne se préoccupe pas de la question de la réduction des risques et de la lutte antitabac. »
Sur le plan du droit européen, Yann Bisiou est catégorique. « Pour moi, ce texte est totalement contraire au droit européen. » Il a rappelé que trois arrêts de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) sur le tabac et l’alcool établissent que, concernant ces produits, « c’est une décision commune qui doit être prise et que la marge des États est très faible. »
Le juriste a également souligné que la procédure TRIS (notification préalable à la Commission européenne) n’a pas été respectée, ce qui « emporte l’annulation de l’acte » selon un arrêt récent du Conseil d’État.
Mais le problème principal reste le calendrier : « On aura une décision, un jour, de la Cour de Justice de l’Union Européenne, mais dans 5 ans, dans 10 ans. Et d’ici là, c’est exactement ce qu’on a vu avec la filière du CBD. Les procédures et les dispositifs vont épuiser économiquement les acteurs de la filière, et donc la filière s’effondre. »
Yann Bisiou a fait un parallèle historique troublant : lors de l’interdiction de fumer dans les lieux publics, « le gouvernement avait pris soin de séparer le tabac et le vapotage et il avait autorisé le vapotage dans des lieux où fumer était interdit. Et l’industrie du tabac s’est précipitée pour communiquer auprès de tous les journalistes de l’AFP pour dire “la vape est interdite dans les mêmes lieux.” » Résultat : « Aujourd’hui vous allez dans les gares, il y a marqué que vous n’avez pas le droit de vapoter alors que, légalement vous avez parfaitement le droit de vapoter dans les gares. »
Une situation parlementaire tendue
L’Assemblée nationale a jusqu’au 23 novembre à minuit pour se prononcer sur le PLF 2026, faute de quoi le texte initial du gouvernement, ou incomplètement amendé, sera transmis au Sénat.
Avec 1 648 amendements encore à examiner au moment de la rédaction de cet article, et seulement quelques jours de séance, la course contre la montre est engagée.
Cette conférence de presse a mis en lumière le consensus qui existe entre professionnels de santé, scientifiques, juristes, acteurs économiques et usagers : l’article 23 du PLF 2026, dans sa forme actuelle, constitue une menace pour la santé publique, l’économie et le droit européen.
Comme l’a résumé le Pr Flahault : « On a absolument besoin de vous et il ne faut pas entraver aujourd’hui tout ce qui limite la consommation de cigarettes. » La mobilisation se poursuit avec la pétition Vaper n’est pas fumer, qui devrait atteindre les 200 000 signatures dans les heures qui suivent, et les débats parlementaires des prochains jours seront décisifs pour l’avenir de la réduction des risques tabagiques en France.
Au sujet du PLF 2026 en France
