Quand il s'agit de cigarette électronique, la presse française continue sagement à nous enfumer.

L’AFP s’est prise la fumée dans l’oeil quand elle a décidé de parler de la cigarette électronique.

Vous l’avez sans doute remarqué, la semaine dernière la presse française a surfé sur la vague des cigarettes électroniques. Comme d’habitude, la plupart des articles sont des copies plus ou moins fidèles d’un article original, généralement produit par une grosse rédaction.

Dans cette pagaille, un seul article a vraiment attiré mon attention, sans doute parce qu’il provient de l’un des médias les plus influents du monde informatif français : l’Agence de Presse Française (AFP), qui a publié le 1er février un article intitulé “Cigarette électronique, gadget fumeux pour fumeur repenti” [1].

Le communiqué n’est pas très précis voire même incomplet ; il contient même des fautes d’orthographe. On y retrouve les éternelles citations de l’enseigne Clopinette qui investit à tour de bras dans des boutiques physiques et celles du Professeur Dautzenberg, qui est devenu la personne à contacter quand il s’agit de cigarette électronique dans la presse pour je ne sais quelle raison. Même si je regrette un peu le manque d’engagement communautaire de la société Clopinette, c’est surtout les propos de ce médecin qui sont irritants.

Les utilisateurs de cigarette électronique sont complètement ignorés

Les vrais spécialistes de la cigarette électronique sont rarement présents dans les médias.

Le problème d’entendre toujours les mêmes personnes dans les médias, c’est que leur discours en devient presque autoritaire. Le message principal qu’on nous fait passer c’est que la cigarette électronique est devenue très populaire mais qu’un gros doute plane au dessus du produit. La recette de l’audimat pour un journal se résume donc à trouver un vapoteur convaincu, un dealeur opportuniste et un médecin réticent. En montrant que des centaines de milliers de personnes sont en train de braver l’inconnu, c’est le succès assuré.

Pour la presse française, la cigarette électronique aujourd’hui c’est Dautzenberg et Clopinette même si les vapoteurs savent très bien que son univers est bien plus vaste que ça. Il est d’ailleurs assez étrange de ne pas retrouver si souvent ces noms dans les forums.

Si l’on veut l’avis d’experts de l’e-cigarette en France, on devrait plutôt s’adresser aux responsables des forums sur la e-cigarette, à ceux de l’Association Indépendante Des Utilisateurs de Cigarette Electronique (AIDUCE) ou encore du Collectif des Acheteurs de Cigarette Électronique (CACE), à Randall de UnAirNeuf.org, et d’autres vapoteurs de longue date qui en savent surement beaucoup plus que nos tabacologues sur la cigarette électronique.

Alors que beaucoup de médecins approuvent le produit (le mien y compris), il est malheureusement très rare qu’ils s’expriment publiquement. Le docteur Jacques Granger, pneumologue au centre hospitalier de Périgueux, fait par exemple figure d’exception [2].

Le reste du temps la couverture médiatique est toujours tirée du côté des élus, ces professionnels de la communication médicale dont fait partie Dautzenberg.

Quand un spécialiste auto-proclamé de l’e-cigarette désinforme en toute mauvaise foi

Le docteur Bertrand Dautzenberg est l’invité privilégié des médias français pour parler “cigarette électronique”.

Dautzenberg, pneumologue à l’hôpital de La Pitié-Salpêtrière et président de l’association Office de Prévention du Tabagisme (OFT), est aussi gérant de OFT Entreprise, la branche business de l’association qui offre des services pour le sevrage tabagique en entreprise.

Je ne vais pas rentrer dans le débat des conflits d’intérêts et des pressions industrielles en jeu, je laisse ça à d’autres qui le font beaucoup mieux que moi. Ce qui m’intéresse ici c’est de rectifier ce qui me paraît rectifiable et d’apporter des éléments de réflexion.

Voici ce que Dautzenberg prétend à propos de la cigarette électronique :

Pour l’instant rien n’interdit à un prof de fumer sa cigarette électronique en classe, ou un chirurgien dans une salle d’opération.

Le ton est volontairement provoquant pour attirer l’attention sur le flou juridique qui subsiste autour de l’utilisation de cigarettes électroniques dans les lieux publics. Alors que le vapotage passif fait presque figure de mythe et que rien ne justifie scientifiquement son interdiction dans les lieux à usage collectif, je ne pense pas que le vapoteur vapote par provocation. Il le fait car il essaie de se débarrasser de ses cigarettes : félicitons-le.

Je n’aurais toutefois personnellement pas grande confiance envers un chirurgien qui prendrait le temps de vapoter en plein salle opération ni à un enseignant qui se permettrait de faire des volutes au tableau.

La SNCF a arrêté une position sur la question : interdiction de vapoter dans les gares et dans les trains [3]. Même scénario pour les avions [4].

En tant que médecin je ne peux pas recommander la cigarette électronique. Mais je laisserais faire un gros fumeur qui veut s’y mettre.

Dans ma conception naïve de la profession, un médecin est là pour trouver des solutions afin d’améliorer son état de santé. Dauztenberg approuve le comportement du patient mais ne signe pas le papier. Il lui faudrait attendre sagement la commercialisation d’une cigarette électronique pharmaceutique pour pouvoir officiellement la recommander.

Avec la cigarette, c’est 50% de chances de se tuer. Avec la cigarette électronique, on ne sait pas trop mais a priori c’est moins.

Si c’est moins, alors c’est mieux. Pourquoi donc ne pas la recommander à un fumeur qui a déjà échoué avec des méthodes médicamenteuses et qui continue à mettre sa vie en danger ? Non, à moins de trouver l’objet par lui même, je le laisserai repartir en toussant.

Est-il normal de ne pas conseiller le patient avec une solution à moindre risque ? Et je passe sur le tabagisme passif des proches ou de l’entourage, mortel à près de 10 mètres selon certaines études. Non seulement le fumeur court un risque démontré à fumer, mais en outre il met la vie des autres en danger. Il serait donc logique que tout ce qui peut prévenir le tabagisme soit promu, non ?

Il critique l’absence d’encadrement sur ce produit taxé à 19,6% (80% pour le tabac) et qui risque de devenir un “produit d’initiation au tabac” pour les jeunes.

Que faut-il entendre par “absence d’encadrement” ? Sans doute la venue prochaine des lois conservatrices de l’Union Européenne qui visent à protéger l’industrie pharmaceutique en nous interdisant de vapoter des e-liquides dont les taux de nicotine seraient supérieures à 4mg/ml ?

Concernant le risque pour les jeunes, c’est toujours la même enquête de l’équipe Dautzenberg qui est citée.

Une enquête réalisée auprès de 3.400 collégiens et lycéens parisiens montre que 12% des 15-16 ans l’ont déjà expérimentée (19% pour les 17 ans), dont une part importante qui n’avaient jamais fumé auparavant.

Si je comprends bien le résumé de l’enquête [5], pour la tranche des 17 ans non-fumeurs, la “part importante” est en l’occurrence ici de 5%. Dans ce cas, il s’agit d’un pourcentage de pourcentage, soit 5% de 19%, ce qui donne 0,95% du groupe concerné. Autrement dit : les jeunes non-fumeurs de 17 ans n’ont pas été enclins à expérimenter la cigarette électronique.

Le reste des statistiques évoquées (33% des jeunes fumeurs réguliers connaissent l’e-cigarette) montre à l’inverse que le jeune fumeur est déjà sensibilisé à une méthode de réduction des risques et considère donc le tabagisme comme quelque chose de dangereux pour sa santé. Les mineurs, c’est bien connu, ont de toute manière besoin de faire leurs propres expériences : difficile de les empêcher de se biturer un samedi soir au moins une fois dans leur vie. Mais le faire en réduisant ses risques ne serait-il pas une preuve de maturité ?

Le Champomy ou la théorie de l’escalade vers l’alcoolisme

Alors que penser du Canada Dry ou encore de la marque Champomy qui organise des animations à destination des enfants [6] ?

Dans la logique de Dautzenberg, ces marques inciteraient à la consommation d’alcool chez les jeunes ? Sommes-nous nombreux à être passé par le Champony avant de développer notre dépendance morbide au champagne ? Ce raisonnement ridicule relève du fantasme.

Aucune donnée ne fait penser qu’elle puisse arriver à la cheville de la cigarette en terme de toxicité.

Il s’agit là d’une faute d’édition. La phrase provient en fait de l’intervention de Dautzenberg intégrée dans le reportage de l’émission « Allo Docteur » sur France 5 diffusée le 25 janvier 2013 [7], puis sans doute reprise – bêtement – par un des journalistes de l’AFP. Il faut en fait lire : « La toxicité du produit n’arrive pas, a priori, à la cheville de la toxicité de la cigarette ». Un point sur lequel tout le monde est d’accord et sans grande réserve.

On ne sait pas trop, on attend le feu vert

L’industrie pharmaceutique s’échauffe, prête à bondir sur le marché de la cigarette électronique en lançant ses plus beaux arguments marketing : les médecins.

Dautzenberg tient un discours assez particulier sur la cigarette électronique, on sent un certain engouement et en même temps une évidente retenue.

Sans études probantes, il ne peut rien dire. On comprend que pour délier la parole, une première Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) devra voir le jour. Même si l’observation scientifique sur l’e-cigarette se concrétise de plus en plus, elle n’a apparemment aucune valeur de preuve pour un médecin comme Dautzenberg.

Les vapoteurs devraient attendre l’étude qui établira une bonne fois pour toutes le statut de la cigarette électronique comme méthode de réduction des risques, ou comme méthode de sevrage tabagique. Malheureusement cela risque aussi de signer la fin de la vente libre et le début d’une augmentation des risques (marché noir, contrôle qualité) pour l’utilisateur qui désire continuer à vapoter ses e-liquides favoris.

La pression augmente de plus en plus, les fameux 500 000 vapoteurs annoncés par les quelques interviews du Figaro sont à mon avis bien loin du compte. Le corps médical ne sait plus où donner de la tête, persuadé qu’il s’agit bien là d’une révolution en terme de santé publique et se tient prêt à dégainer à la moindre AMM pour en faire LA méthode de sevrage tabagique du siècle. En attendant, les médias font monter la mayonnaise en multipliant les titres douteux afin d’attirer le badeau potentiel ou d’apeurer le vapoteur, en mettant en avant une interprétation erronnée du principe de précaution.

Le bon côté de l’histoire c’est l’internet. Pas besoin de chaines de télé ou de journaux tirés en millions d’exemplaires pour faire passer un autre message que celui de journalistes adeptes du copier+coller. Mon message reste en tous cas très simple : depuis que l’on vapote on se sent mieux, alors lâchez-nous la grappe.

 

Références

[1] AFP – “Cigarette électronique, gadget fumeux pour fumeur repenti” : http://www.ladepeche.fr/article/2013/02/01/1550537-cigarette-electronique-gadget-fumeux-pour-fumeur-repenti.html 
[2] Communiqué Comité Maladies Respiratoires Dordogne – Forum ecigarette, 5 dec 2012 : http://www.forum-ecigarette.com/tests-etudes-scientifiques-f757/ecig-communique-comite-maladies-respiratoires-dordogne-t67108.html
[3] SNCF – Opinions et débats – cigarette électronique : http://debats.sncf.com/feedbacks/85885-cigarette-electronique
[4] IATA – Electronic cigarettes : https://www.iata.org/whatwedo/safety/Documents/guidance-electronic-cigarettes.pdf
[5] Forum-ecigarette – Traduction du résumé de l’enquête par Amanda – E-CIGARETTE, UN NOUVEAU PRODUIT POUR L’INITIATION AU TABAC DES ECOLIERS PARISIENS (Bertrand Dautzenberg, Maryvonne NOEL, Pierre BIRKUI, Joseph OSMAN, Marie-Dominique DAUTZENBERG) Paris Sans Tabac, Rectorat Académie de Paris, OFT France : http://www.forum-ecigarette.com/tests-etudes-scientifiques-f757/l-ecigarette-un-nouveau-produit-pour-les-adolescents-t58876.html
[6] Champomy – Wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Champomy
[7] “Allo Docteur” – France5, émission diffusée le 25 janvier 2013 : http://www.youtube.com/watch?v=z8H5Ib7pKWg

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