Suite à l’affaire Kanavape, l’Union des industriels pour la valorisation des extraits de chanvre (UIVEC) a été créée en février 2021 pour représenter et défendre cette filière dans le cadre de l’évolution réglementaire attendue. Nous avons rencontré Zoé Demange, sa déléguée générale, afin d’en savoir plus sur ce nouveau syndicat, sa vision et ses ambitions.

Comment est né l’UIVEC ?

L’UIVEC a été créée dans le contexte particulier de l’affaire Kanavape. Suite aux conclusions de la Cour de Justice de l’Union européenne, nous nous sommes dit qu’il manquait vraiment une organisation sur cette filière spécifique des extraits de chanvre en France pour la représenter et la défendre dans le cadre de l’évolution réglementaire qui est attendue. Nous avions déjà commencé un certain nombre d’actions avant notre création officielle, qui est en fait récente [début février 2021, N.D.L.R.]. Nous comptons une quarantaine de membres, majoritairement de grands groupes industriels français ainsi que quelques start-ups et PME.

Votre mot-clé c’est la transformation, alors qu’InterChanvre est axé sur la production ?

Oui, même si nous comptons quelques chanvrières parmi nos membres, nous n’allons pas sur les sujets agricoles. Nous sommes sur le reste de la filière, de la transformation à la distribution des produits finis. 

Y a-t-il une typologie de produits finis qui surclasse les autres ?

Alors, effectivement, ce sont les compléments alimentaires qui sont le premier débouché. On voit d’ailleurs à l’international que les prévisions indiquent que l’usage des fleurs va baisser au profit des huiles à base de CBD, qui sont le produit phare d’une manière générale.

La réglementation française n’autorise pas l’usage des fleurs. C’est quand même quelque chose qu’on a tendance à oublier.

La fleur vous pose un problème de communication autour du CBD. Même si elle est vendue en boutique sous couvert d’infusion, certains consommateurs la fument, ce qui crée un amalgame avec la fleur de cannabis illicite contenant du THC. De plus, en termes de santé, c’est une catastrophe. De fait, ça arrangerait tout le monde si la fleur venait à disparaître ?

Tout le monde, non… Je ne pense pas que ça arrangerait les CBD shops et les tabacs, dont plusieurs milliers vendent aujourd’hui de la fleur. (sourire) Mais effectivement, la fleur à fumer pose de sérieux problèmes en termes de santé publique et même de gestion des trafics, notamment pour les forces de l’ordre, d’ailleurs, on le voit avec la publication du nouvel arrêté, il s’agit avant tout d’une volonté politique d’écarter ce marché. C’est pour ça qu’on ne va pas sur la fleur sous forme fumée ou tout autre produit apparenté. Le mandat que nous donnent nos adhérents porte uniquement sur les extraits. Nous, on s’intéresse à tout ce qui est extrait de chanvre légal qu’on retrouve dans les différentes catégories de produits finis et on ne va pas sur ses fleurs à fumer, qui pourrissent le débat quand on parle de produits finis. Il s’agit de deux sujets distincts. Nous n’allons pas non plus sur les cannabinoïdes de synthèse puisque nous avons en France une filière chanvre très importante. Nous sommes le premier pays producteur de chanvre en Europe et nous voulons vraiment mettre en avant ces cannabinoïdes et ce CBD qui seraient issus naturellement de la plante. Nous n’allons pas non plus sur les produits à usage thérapeutique, ni sur les graines, qui sont du ressort d’InterChanvre, ni évidemment sur tout ce qui est récréatif.

Ce qui est paradoxal, c’est qu’on a le sentiment que c’est cette fleur-là qui dynamise le marché, qui crée cette excitation auprès des médias et des entrepreneurs français, notamment les boutiques, non ?

Oui, vous avez raison dans votre analyse, mais c’est aussi pour ça que le développement d’un marché encadré du CBD dans les produits finis est important et on verra, je pense, les fleurs décliner au profit de produits plus encadrés. Il faut aussi noter qu’aujourd’hui la réglementation française n’autorise pas l’usage des fleurs. C’est quand même quelque chose qu’on a tendance à oublier. Passée la hype médiatique, c’est le marché et les consommateurs qui donneront le la. En regardant les marchés US et UK, qui ont quelques années d’avance, on s’aperçoit que la fleur brute à fumer (hors THC) a quasiment disparu au profit des autres produits qui s’adressent à une cible bien plus large, la forme fumée restant un frein pour s’adresser à une clientèle large.

Quelles sont vos missions ? Vos objectifs ?

L’UIVEC s’est fixé quatre grandes missions. La première, c’est d’encadrer le marché parce qu’on voit aujourd’hui que tout un tas de produits sont facilement accessibles aux consommateurs, notamment via Internet, donc la qualité et la sécurité des produits ne sont pas du tout garanties. Nous voulons aussi permettre aux acteurs français qui souhaitent pouvoir investir ce marché de manière sereine, ou qui ont cette capacité à produire ou fournir des produits de qualité aux consommateurs, de pouvoir se positionner sur ce marché avec une réglementation claire. Nous voulons également stimuler ce marché. Enfin, il y a un volet éducatif qui consiste à éduquer les différentes parties prenantes autour du CBD, du chanvre et à ne pas faire d’amalgame avec le THC ou autres produits stupéfiants.

Notre objectif principal était d’obtenir que les agriculteurs français puissent utiliser la fleur de chanvre afin de fabriquer du CBD et d’autres cannabinoïdes, c’est ce que nous avons obtenu en travaillant en lien avec l’administration. Il s’agit maintenant de clarifier l’utilisation du CBD dans les différentes typologies de produits afin de permettre à ce marché de se développer et de garantir des débouchés à nos agriculteurs.

Dans certains pays comme les États-Unis ou la Suisse, il y a eu un effet “bulle” autour du CBD, qui a entraîné la faillite de nombreuses sociétés quand la bulle a éclaté. Est-ce que vous craignez aussi ce phénomène en France ?

Oui, nous appelons à la prudence. Pour le moment, la réglementation n’a pas encore été modifiée et on ne sait pas encore exactement comment elle le sera. Il reste encore beaucoup de choses à préciser outre l’arrêté : l’encadrement des activités d’extraction, les règles par typologie de produits finis…

La France a tous les atouts pour mettre en place une filière d’excellence.

En France, certains producteurs se mettent à cultiver du chanvre pour conserver la fleur, faisant fi de la loi. Ça vous inspire quoi, ce type de comportement ?

Nous sommes contre, nous sommes pour le respect de la loi et pour la mise en place d’un cadre réglementaire qui permette aux acteurs de se développer sur ce marché. En attendant la réglementation, nous ne sommes évidemment pas pour ce genre d’action.

Quand on voit l’avance technologique de certains pays, est-ce que vous n’avez pas peur que la France arrive trop tard, même si historiquement nous avons une grande culture chanvre ?

Non, je pense que nous avons tous les atouts pour mettre en place une filière d’excellence puisque nous avons la chance d’avoir un certain nombre d’acteurs qui sont déjà très au point, en particulier sur l’extraction, grâce notamment à la filière des plantes à parfum. De ce fait, nous avons toujours la possibilité de devenir un marché référent. Aujourd’hui, le Royaume-Uni est à la tête du marché du CBD en Europe, mais ils n’ont pas de filière chanvre. En France, nous avons la chance d’avoir toute la filière, avec un très fort degré d’expertise.

À votre avis, où doit être vendu un complément alimentaire au CBD ?

En France, les compléments alimentaires peuvent être librement vendus dans tout type de surface : pharmacies, épiceries, supermarchés, CBD shops…

L’alimentation animale (...) est en train d’exploser aux États-Unis.

Les bureaux de tabac souhaiteraient avoir le monopole, les CBD shops revendiquent leur liberté et leur spécialisation, la pharmacie dit : “Le gardien des drogues, c’est moi”. Il y a aussi les magasins bio, les grandes surfaces qui sont intéressées.

Sur ce sujet, je n’ai pas envie de me prononcer au nom de l’UIVEC. Comme je vous l’ai dit, les CBD shops peuvent poser problème vis-à-vis des tabacs et du monopole des produits à fumer, mais l’interdiction de la fleur devrait permettre aux CBD shops de garder la main sur les autres produits avec du CBD car ils disposent d’une solide expertise et d’une clientèle sur ce segment spécifique. Ce qu’on voit à l’étranger est intéressant, c’est-à-dire que les produits à base de CBD sont devenus une commodité comme aux États-Unis ou au Royaume-Uni et on les trouve donc en grande surface. Je pense qu’à partir du moment où des produits de qualité et sûrs sont mis sur le marché, ça ne pose pas nécessairement de problème.

Ce qu’il manque donc, c’est un cadre réglementaire clair et précis.

Exactement, et c’est ce que nous souhaitons.

Selon vous, quels sont les produits en vogue et les produits d’avenir ?

Il y a un domaine assez intéressant je pense, c’est celui de l’alimentation animale. C’est un marché qui est en train d’exploser aux États-Unis. Il y a aussi des opportunités dans le domaine du sport, beaucoup de sportifs mettent en avant les qualités du CBD, notamment dans la récupération musculaire.

Quels conseils donneriez-vous à un entrepreneur qui souhaite se lancer sur le marché du CBD ?

Même si, aujourd’hui, il y a un grand engouement autour du produit, nous lui dirions d’être prudent puisque la réglementation est en train d’être modifiée et que peut-être qu’un certain nombre de produits qui sont aujourd’hui facilement accessibles seront retirés du marché. Il faut aussi bien garder en tête la ligne rouge, qui est celle de l’incitation à la consommation de produits stupéfiants. Ça, ça ne changera jamais.

Pour finir, une question très large, que nous réserve l’avenir ?

Nous espérons une réglementation plus claire, qui permette aux entrepreneurs et aux agriculteurs français d’investir sereinement sur ce marché et ses nouveaux débouchés. Ça nous permettra aussi d’avoir des produits sûrs, avec une garantie de qualité et de sécurité. De cette manière, nous aurons un cadre sûr, à la fois pour les entreprises, les consommateurs et les autorités françaises

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