Ils sont un sujet de la vape : les vapofumeurs, qui mixent dans leur consommation de nicotine tabac fumé et vape. Bonne chose pour les uns, aberration pour les autres, qu’en est-il réellement ? Spécialistes du sevrage et scientifiques répondent.

Néologisme vaporeux

Un vapofumeur, qu’est-ce que c’est ? C’est un vapoteur qui continue de fumer régulièrement des cigarettes. Ou un fumeur qui vapote quotidiennement, ce qui revient au même. Et il n’est pas question de quantité : si une personne est totalement vapoteuse, exception faite du vendredi soir, où elle fume quatre cigarettes à l’apéritif, c’est une consommation régulière, même si ce type de cas reste exceptionnel.

Et alors ? Ils ont baissé leur consommation de tabac, ils ont fait des efforts, il y a forcément un bénéfice pour la santé, et, surtout, ils ont un pied dans la vape, et ils seront prêts à mettre l’autre lorsque le moment sera venu, diront certains.

Le bénéfice n’est pas réel ou suffisant, c’est une mauvaise habitude qui rendra plus difficile le switch au vapotage complet le moment venu, ça encourage une certaine forme de fainéantise, diront d’autres.

Quelle est la bonne réponse ? Y a-t-il un juste milieu ? Les vapofumeurs sont-ils une bonne ou une mauvaise chose pour la santé publique ? Ce sont ces questions auxquelles nous allons nous efforcer de répondre, tout d’abord en les posant à des spécialistes du sevrage tabagique, puis en convoquant la science comme arbitre.

Un phénomène ancien sous un nouveau jour

Pour Jacques Le Houezec, tabacologue et dirigeant d’Amzer Glas, ce n’est ni plus ni moins que du sevrage tabagique traditionnel : “Substituts nicotiniques, vape, ça reste la même problématique.”

Selon lui, le phénomène vapofumeurs n’est pas vraiment surprenant. “Le sevrage tabagique, c’est très dépendant de la motivation, ça l’a toujours été. La première chose que fait un fumeur, c’est se dire ‘tiens, je vais fumer moins’, c’est illusoire. On compense sur les cigarettes qui restent. Ça rejoint un autre sujet, celui des gynécologues criminels qui conseillent aux femmes enceintes d’arrêter de vapoter et de fumer plutôt trois ou quatre cigarettes, elles vont tirer deux fois plus dessus et le résultat sera le même. Pareil pour les fumeurs, ils vont compenser, alors ça ne sert pas à grand-chose.”

Donc, au début de toute chose vient la motivation. “Pour quelle raison un fumeur rentre-t-il pour la première fois dans une boutique de vape ? Si c’est pour des raisons économiques ou de santé, ce n’est pas gagné parce que ça ne vient pas d’eux.”

Et pourtant, le phénomène a une bonne raison d’être, souligne Jacques Le Houezec. “Gilbert Lagrue expliquait que l’arrêt du tabac est un succès différé. On sait aujourd’hui que c’est une suite d’essais et d’erreurs, et on apprend à chaque fois.”

Néanmoins, cela ne suscite pas l’indulgence du tabacologue. “Au début, j’étais bienveillant avec les vapofumeurs. Je me disais qu’ils allaient progresser, éliminer les dernières cigarettes, etc. Mais non, parce qu’en réalité, ils n’ont pas la motivation suffisante. Le problème, c’est qu’à chaque cigarette allumée, on remet en route le processus.”

Une fois formulé le problème, il reste à y opposer une solution. Et c’est la compagne de Jacques, Patricia Côme, qui a une boutique de vape à Pont-l’Abbé, qui a trouvé. “Elle propose au client d’essayer de ne pas fumer pendant trois jours”, explique le tabacologue. Trois jours, pour un fumeur, c’est envisageable. Ça ne fonctionne pas à tous les coups, mais on obtient des résultats supérieurs à la moyenne avec cette méthode.” En effet, le fumeur, après avoir réalisé qu’il pouvait le faire, crée le projet d’arrêter totalement le tabac et sa propre motivation.

Pour conclure, “Je n’ai pas de critique à formuler sur les vapofumeurs, ce sont juste des gens qui n’ont pas la motivation suffisante pour passer le cap. Le sevrage tabagique, quelle que soit la méthode, c’est un lent processus de maturation, il faut, pour réussir, en avoir l’envie”, estime le formateur d’Amzer Glas.

Mais est-ce que ça hypothèque les chances d’arrêter, de commencer par vapofumer ? “Non, rétorque Jacques Le Houezec. C’est comme avec les substituts. Le jour où la vape fonctionne, c’est quand elle devient un plaisir perçu supérieur à celui de fumer.”

“Il faut expliquer l’intérêt d’une bonne substitution. Si vous vapez et que vous fumez encore à côté, c’est que la vape ne suffit pas. Il faut chercher un moyen de compléter. <span class="su-quote-cite">Françoise Gaudel, fondatrice de groupe FaceBook Je Ne Fume Plus.</span>

Conseils et accompagnement

Je Ne Fume Plus (JNFP) est le plus gros groupe Facebook consacré à l’arrêt du tabac sous toutes ses formes. Basé sur l’entraide et le conseil, il est guidé par sa fondatrice, Françoise Gaudel. JNFP est devenu une association, et a vu passer des milliers de fumeurs libérés de la cigarette. Ici, la recette est simple : écoute, bienveillance et conseils adaptés.

“Nous ne leur disons pas que c’est mauvais pour la santé”, explique Françoise Gaudel lorsque nous lui demandons comment sont accueillis les vapofumeurs. “Nous leur disons pourquoi pas, si c’est une étape transitoire.”

Vaper et fumer en même temps est souvent le signe d’un problème. “Il faut expliquer l’intérêt d’une bonne substitution. Si vous vapez et que vous fumez encore à côté, c’est que la vape ne suffit pas. Il faut chercher un moyen de compléter.”

Et d’abord, les bases : “On commence par les adresser à la team vape”. En effet, dans JNFP, il y a des “groupes de spécialités”, qui permettent, plutôt que d’imposer telle ou telle méthode, d’accompagner le défumeur au mieux dans celle qu’il a lui-même choisie. Les vapoteurs sur le groupe sont tous très efficaces et précis dans leurs conseils.

“Souvent, ce que l’on constate, c’est qu’on leur a conseillé du matériel très beau, mais qui sert à faire de gros nuages et en 3 mg/ml, constate Françoise. Ce qui est nettement insuffisant, mais hélas très répandu (voir à ce sujet notre dossier sur la formation, N.D.L.R.).

Les vapofumeurs sont minoritaires sur le groupe. “Nous les accompagnons vers une utilisation exclusive de la vape et un sevrage progressif. Avec toujours cette optique de savoir s’ils ont envie d’arrêter. Mais les vapofumeurs restent une frange marginale sur le groupe, ils sont très peu nombreux, et ce sont souvent des fumeurs qui ont peur de franchir ce pas qui peut leur sembler immense. Augmenter leur dosage de nicotine peut les rassurer, mais surtout, ce que l’on constate, c’est qu’ils ont un matériel inadapté au sevrage.” Françoise reste bienveillante, mais sans encourager pour autant la pratique. “Diminuer la consommation de cigarettes réduit certains risques, mais pas tous. Ce qui compte, c’est la durée d’exposition au tabac. La meilleure solution, c’est d’arrêter complètement la cigarette”, conclut-elle.

Pour Didier Gonin, fondateur et directeur de LGF Formations, qui intervient auprès de buralistes, de vape shops et de certains industriels, comme Alfaliquid. “Les vapofumeurs sont un problème ? Oui et non, explique le formateur. Si ça dure pendant quinze jours, il n’y a pas de soucis. Il vaut mieux ça plutôt que de se frustrer.” Mais ce n’est pas toujours le cas. “D’après les chiffres du ministère de la Santé, il y aurait 60 à 70 % de vapofumeurs, explique Didier Gonin. Pour moi, c’est le résultat d’un mauvais accompagnement.” Tout ne dépend donc pas uniquement du fumeur : “Il faut comprendre la vie des gens, analyser la personne que vous avez en face, pour lui proposer les solutions les plus.”

En fumant 1 à 4 cigarettes par jour, le risque de développer un cancer lié au tabagisme est quasiment le même que pour un ‘gros fumeur’.<span class="su-quote-cite">Ingésciences</span>

Que dit la science ?

Alors, vapofumer dans le but de réduire sa consommation de cigarettes, est-ce qu’au niveau sanitaire, ça a réellement un sens ? Nous avons posé la question à Sébastien Soulet, chargé de recherche, et Jérémy Sorin, ingénieur de recherche, d’Ingésciences. Nous reproduisons leur réponse in extenso :

“Plus de la moitié des vapoteurs Français sont des vapofumeurs, ils sont donc des fumeurs qui continuent de s’exposer aux risques du tabagisme. Une très large majorité d’entre eux ont réduit leur consommation de tabac avec l’adoption du vapotage. La diminution de la consommation de tabac serait d’ailleurs la principale raison de vapoter pour les vapofumeurs, loin devant la volonté d’arrêter totalement de fumer.

D’après ce que nous avons observé chez Ingésciences, nous pourrions définir trois catégories de vapofumeurs :
Ceux qui considèrent le double usage (vape + tabac) comme un état de transition plus ou moins long vers un arrêt total de la consommation de tabac, ils sont minoritaires. Ils considèrent la vape comme un outil d’arrêt du tabac, voire de sevrage tabagique.
Ceux dont l’objectif est de diminuer la consommation de tabac sans la stopper totalement, ils sont majoritaires. Ils considèrent la vape comme un outil de réduction des risques permettant de fumer moins de cigarettes.
Ceux qui adoptent le vapotage en plus de leur tabagisme et qui ne diminuent pas leur consommation de tabac, ils sont largement minoritaires. Ils considèrent la vape comme une pratique de consommation ludique et plaisante.

D’un point de vue toxicologique, la question est donc : est-ce que réduire significativement sa consommation de tabac réduit les risques du tabagisme ? L’élément le plus prépondérant pour estimer les risques liés au tabagisme est la durée de consommation, bien plus que la quantité de cigarettes fumées quotidiennement.

Par exemple, il est clairement et largement plus risqué à long terme de fumer peu (5 cigarettes/jour) durant 40 ans que de fumer beaucoup (20 cigarettes/jour) pendant 10 ans, même si dans les deux cas, le nombre de cigarettes fumées est le même.
La diminution de la quantité de tabac fumé par jour constitue indéniablement une réduction de certains risques tabagiques, cependant maintenir une consommation quotidienne, même d’une cigarette par jour, entraîne toujours des risques importants.

En fumant 1 à 4 cigarettes par jour, le risque de développer un cancer lié au tabagisme est quasiment le même que pour un “gros fumeur”. 1 à 4 cigarettes par jour augmentent par 3 le risque d’infarctus…

Ceci tient au fait que la consommation quotidienne de tabac, quelle qu’en soit la quantité, maintient un certain état d’intoxication de l’organisme. Celui-ci n’a pas “le temps de traiter” cette toxicité responsable des effets du tabagisme sur la santé à moyen ou long terme.

La notion de seuil intervient pour certaines substances présentes dans la fumée de tabac. Une seule cigarette par jour maintient dans l’organisme une quantité “permanente” d’un composé toxique au-dessus du seuil induisant un risque, comme les “chances” de développement d’un cancer.

Par analogie, prenons la caféine dont la dose létale médiane est de 13,4 g pour un homme de 70 kg. Si je consomme 100 g de caféine, je vais mourir. Si je consomme 20 g de caféine, j’ai donc réduit ma consommation par 5, mais je vais mourir de la même manière (je reste au-dessus du seuil de déclenchement du risque de mort). La réduction de ma consommation par cinq n’a en aucun cas réduit le risque auquel je m’expose par cinq dans cet exemple.

Une grande partie des substances nocives présentes dans la fumée de tabac répondent à cette logique. Elles dépassent le seuil dans l’organisme, dès une cigarette par jour, déclenchant la majorité des risques liés au tabagisme, cancérogénicité, cardiovasculaires, respiratoires…

Ainsi, il est important d’informer que réduire sa consommation de tabac par 5, comme c’est souvent le cas des vapofumeurs par l’adoption de la pratique de la vape, ne diminue pas d’autant les risques auxquels ils s’exposent. Si la volonté est d’améliorer sa santé et d’allonger significativement son espérance de vie, l’unique objectif à se fixer à court, moyen ou long terme, est de stopper toute consommation de tabac par n’importe quel moyen. Sur cela, il ne peut malheureusement pas exister de compromis.

Cela ne veut pas dire qu’il faut stigmatiser les vapofumeurs, bien au contraire. Simplement, valoriser leur réduction de consommation de cigarette comme une première étape validée devant conduire à l’abstinence et non comme une finalité.”

Conclusion : une bataille à gagner

Alors, la question : que faire des vapofumeurs ? D’ores et déjà, on peut l’affirmer, la science l’a expliqué : le bénéfice de la diminution de la consommation de cigarettes est réduit, et inexistant pour certains risques. Dès lors, on peut l’affirmer en boutique, si le fumeur cherche à réduire sa consommation de cigarettes pour sa santé : ça ne sert rien, ou presque.

Pour oser une métaphore, ça revient à jouer à la roulette russe, mais, au lieu de s’efforcer de retirer une balle du barillet de l’arme, laisser le même nombre de balles avec un tout petit peu de poudre en moins.

Néanmoins, il ne faut pas stigmatiser : vapofumer est l’entame d’une démarche, celle de la vape, qui peut servir à terme au fumeur à switcher définitivement et se libérer du tabac. Il convient dès lors, pour le conseiller, de s’efforcer de comprendre et de trouver le déclic qui convaincra le fumeur de franchir le pas.
Il est important de noter que, pour les autorités de santé publique, un vapofumeur est toujours considéré comme un fumeur. Si la vape veut démontrer qu’elle est une arme pour lutter contre le tabagisme, alors chaque vapoteur qui rentre dans une boutique en consommant encore du tabac par combustion doit être considéré comme un travail inachevé qui va exiger compétences et talent de la part du conseiller.
En un mot, les vapofumeurs démontrent, eux aussi, s’il en était besoin, que la vape, c’est un métier.

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