Les journalistes de la presse mainstream se plaignent qu’on ne les aime pas. Ils en sont contrariés, fort marris, voire, osons le terme, chonchons. Et c’est vrai, mais il y a une raison. Expliquons leur pourquoi avec un article de Slate et un petit renfort de Libé et Atlantico, qui n’ont pourtant rien demandé.
L’ardoise de Slate
Tout commence avec un titre choc dans Slate : « Le vapotage pourrait réveiller les cellules cancéreuses ». Terrifiant, par réflexe, je glisse un regard inquiet vers mon set-up. Lisons le chapeau : il nous explique que, « comme la pollution, la vape pourrait devenir une cause de cancer du poumon chez les non-fumeurs ».
Puis, en dessous, il y a le texte. Le problème, c’est ce que toutes les études confirment : seules les personnes concernées ou quelques curieux qui ont du temps devant eux lisent l’article. L’immense majorité des gens ne lisent que le titre, un nombre considérablement moindre les trois premières lignes, et un échantillon même pas représentatif se donnera la peine de tout lire.
Et une autre loi que pourtant tout journaliste devrait connaître est ignorée, tenir compte du fait que trois choses sont systématiquement mal comprises d’une grande partie des lecteurs : l’ironie, la physique quantique et le conditionnel.
Il suffit de voir combien de gens lisent « le signal Wow ! capté par un radiotélescope en 1977 reste à ce jour inexpliqué et une des nombreuses théories avancées dit pourrait être d’origine artificielle » et comprennent « les extraterrestres se promènent chez nous en soucoupes volantes et kidnappent des vaches et des gens pour faire des expériences dessus parce qu’ils en ont marre de construire des pyramides, le gouvernement est au courant et collabore ».
Ce n’est pas la majorité, loin de là. Mais en ce qui concerne l’arrêt du tabac, il en suffit de deux, qui parviennent à décourager deux fumeurs de passer à la vape pour arrêter le tabac. Statistiquement, un des deux fumeurs va mourir. Deux lecteurs qui comprennent mal, un mort : il faut être sacrément sûr de soi.
Ardoise de charcuteries
L’article de Slate, rapidement résumé : les chercheurs de l’Institut Francis Crick, (FCI), un institut de recherche biomédical à Londres, sont d’accord pour dire que vapoter est moins dangereux que fumer. Mais l’un d’eux dit dans une interview à The Independant qu’il est impossible d’affirmer que ça ne présente aucun risque. Et jusqu’ici, c’est correct, rien à redire.
Ensuite, l’article part dans une explication. Et un des problèmes, c’est qu’on ne sait pas si c’est toujours le scientifique du FCI qui s’exprime, ou le journaliste de Slate qui extrapole.
L’explication, donc, est que certains polluants de l’air provoquent des irritations des poumons, ce qui provoquerait une inflammation, suivie d’une cicatrisation qui pourrait réveiller des cellules dormantes du cancer.
Précision : les chercheurs en sont, à ce stade, au niveau hypothétique : ils ont observé des causes et des effets qui, dans certains cas, provoquent certaines réactions, mais n’ont pas suffisamment de données pour publier une étude. Et, peut-être que, éventuellement, si cet effet était avéré, la vape aussi pourrait le provoquer et causer un cancer du poumon chez les non-fumeurs, se demandent certains, pas tous, et en dehors de tout cadre expérimental.
Pour situer sur l’échelle des preuves scientifiques, dont le somment est le consensus obtenu par la publication de plusieurs méta-analyses, dans le cas cité par Slate sur la vape, on est juste au dessus du niveau de la conversation entre collègues le midi en faisant la queue à la cafétéria. Sauf que l’échelle des preuves scientifiques, Slate n’en tient manifestement pas compte en faisant ses titres, avec juste un conditionnel pour se dédouaner.
Ni en faisant son article, soyons honnêtes. Lorsqu’on l’a lu en entier, tout ce qu’on a appris, c’est que les journalistes de Slate ne craignent pas de faire peur aux gens sur la base de rien.
Libérez Slate !
Et c’est là que Libé intervient, par l’entremise d’Atlantico, qui fait un article ironique sur un article de Libé, lui-même assez ironique, qui parle du livre, lui aussi ironique (mais pas que), de Olivier Milleron, cardiologue à l’hôpital Bichat, qui affirme que « fumer est de droite ». Reste à savoir si Benoît Rayski d’Atlantico, maître ès ironie (et ça n’en est pas), est passé à côté de celle de sa consœur Marie-Eve Lacasse de Libé, ou s’il en rajoute, mais on se prend à se demander, avec toutes ces intrications, si Christopher Nolan n’est pas impliqué dans cette séquence.
La théorie du Professeur Milleron, pour faire court : fumer revient à entretenir la fortune de l’industrie capitaliste la plus cynique de l’histoire. C’est un point de vue, et il faut dire qu’il se tient.
Mais on pourra dire aussi, en prolongeant sa démonstration, que combattre le tabagisme par tous les moyens, y compris la vape, est de gauche. Et qu’effrayer gratuitement les gens sur la vape par cynisme, pour vendre son article, sans se soucier du fait que les conséquences bénéficient à l’industrie du tabac, est très de droite. Ce qui fait désordre pour Slate, qui se positionne ouvertement à gauche. Il va falloir choisir son camp, camarade.
Reste qu’en attendant, le tabac tue un consommateur sur deux. Et qu’il continuera, qu’on le politise ou non. S’il y a une cause qui mérite l’union des bonnes volontés plutôt que des clivages politiques stériles, ce ne serait pas celle-ci ?
Cet article d’opinion n’engage que le point de vue de son auteur et ne représente pas forcément l’avis de la rédaction.
Sources :
“Le vapotage pourrait réveiller les cellules cancéreuses” sur Slate.
“Vaping may ‘wake up’ cancer cells and trigger wave of disease in a decade” sur The Independant
“Fumer est de droite” sur Atlantico
“Pourquoi fumer est de droite” sur Libération