Alors que la France, le Royaume-Uni ou encore la Nouvelle-Zélande réussissent à lutter contre l’ingérence de l’industrie du tabac lors de l’élaboration de politiques de santé publique, d’autres pays comme le Japon, la Chine ou la Roumanie, semblent très à l’écoute de ses volontés.

Second rapport d’une fondation de M.Bloomberg

Homme fumant une cigarette sur un coucher de soleilSi le célèbre milliardaire antivape, Michael Bloomberg, est bien connu dans le monde de la cigarette électronique pour sa volonté de lutter contre ce qui est aujourd’hui reconnu comme le substitut nicotinique le plus efficace, il est important de noter que l’homme est avant tout un activiste antitabac, et même anti nicotine. Ainsi, lorsqu’il n’est pas occupé à combattre le vapotage, il revient régulièrement à la mission qu’il s’est donnée à l’origine, lutter contre l’industrie du tabac. Dans ce cadre, et par le biais de la fondation qu’il a créée en 2018, baptisée Stopping Tobacco Organizations and Products (STOP), Bloomberg est à l’origine d’un rapport qui classe 57 pays du monde selon le niveau d’interférence de l’industrie du tabac au cœur des politiques publiques.

L’ingérence sous toutes ses formes

Si le document rappelle qu’aucun pays du monde n’est épargné par l’ingérence de l’industrie du tabac, les mesures prises par les gouvernements afin d’y remédier changent drastiquement d’un pays à l’autre. Alors que certains font tout pour lutter contre, d’autres, au contraire, semblent s’en satisfaire.

Mais de quoi sont précisément accusés l’industrie du tabac, et les pays auprès desquels elle tente de s’imposer ? À cette question, le rapport fait 9 constatations principales.

L’industrie du tabac a intensifié ses activités de responsabilité sociale des entreprises (RSE) pendant la pandémie COVID-19.
Le Royaume-Uni, l’Iran, le Kenya, le Brésil et l’Uruguay ont bien résisté à l’ingérence de l’industrie en adoptant les mesures préventives prévues dans les lignes directrices de l’article 5.3 pour faciliter la transparence et éviter les conflits d’intérêts. Ces pays n’ont pas collaboré avec l’industrie.

L’industrie du tabac a tenté d’orienter l’élaboration des politiques.
Elle a cherché à saper le rôle de chef de file du ministère de la Santé dans la lutte contre le tabagisme en transférant la prise de décision au secteur autre que celui de la santé afin d’obtenir des résultats favorables à l’industrie. Dans plusieurs pays, des mesures strictes de lutte antitabac ont été rejetées ou édulcorées lorsque l’industrie avait une place à la table des décideurs ou exerçait une influence par l’intermédiaire de représentants d’autres secteurs que celui de la santé pour retarder la lutte antitabac ou s’y opposer.

L’industrie du tabac a intensifié son lobbying.
Alors que les pays prenaient des mesures pour lutter contre l’ingérence de l’industrie du tabac, celle-ci a également intensifié son lobbying auprès des gouvernements. Entre 2018 et 2019, 11 pays ont enregistré une amélioration, tandis que 15 pays ont vu leur score se détériorer, ce qui signifie qu’il y a eu davantage de cas d’ingérence.

L’industrie a fait pression pour que les produits alternatifs du tabac soient acceptés et promus.
Philip Morris International (PMI) a fait un lobbying agressif pour la promotion et la vente de son produit de tabac chauffé (HTP), IQOS, dans au moins 12 pays, ce qui a conduit le gouvernement: 1) à annuler une précédente interdiction des HTP ; 2) à autoriser la vente de HTP après que PMI ait menacé de retirer ses activités ; 3) à accorder un niveau de taxation plus faible pour les HTP par rapport aux cigarettes ; 4) à signer un protocole d’accord avec PMI pour mener des recherches sur les HTP ; et 5) à permettre à l’industrie du tabac de siéger dans l’organisme de normalisation chargé de statuer sur les HTP.

Des interactions inutiles avec l’industrie ont compromis le rôle du gouvernement en tant que régulateur.
Les interactions inutiles entre les hauts fonctionnaires du gouvernement et les compagnies de tabac ont conduit ces fonctionnaires à décerner des récompenses insignifiantes aux compagnies de tabac pour leurs “bonnes actions”, les cautionnant ainsi aux yeux du public. Les partenariats avec l’industrie du tabac ont été facilités au cours de ces interactions. Dans au moins six pays, l’industrie du tabac s’est engagée avec le bureau du Premier ministre, ce qui a permis d’établir une relation positive avec les autorités dirigeantes et a servi à cautionner l’industrie du tabac auprès du public.

Le manque de transparence reste un problème.
Un manque de transparence a persisté pour faciliter les accords avec l’industrie du tabac. En 2019, sept pays ont conclu des protocoles d’accord avec l’industrie du tabac. Ces accords, rendus publics uniquement lors des cérémonies de signature, portaient sur la lutte contre le commerce illicite du tabac. En revanche, les pays qui ont mis en place des procédures ont demandé aux fonctionnaires de rendre compte de toutes les réunions avec l’industrie du tabac.

De nombreux pays ont continué à accorder des avantages à l’industrie du tabac.
Les incitations accordées à l’industrie du tabac comprenaient des plafonds et des exonérations fiscales, y compris la vente de cigarettes hors taxes. Ces incitations n’ont pas été chiffrées afin de déterminer les pertes pour les gouvernements.

La plupart des gouvernements n’ont pas réussi à résoudre les situations de conflit d’intérêts.
La plupart ont omis d’instaurer une période de délai entre le moment où les fonctionnaires prennent leur retraite et celui où ils peuvent rejoindre ou conseiller l’industrie du tabac. Dans quatre pays, les entités publiques liées au tabac ne sont pas traitées de la même manière que les sociétés privées de tabac, et il y avait une porte tournante entre les fonctionnaires et les dirigeants de l’industrie passant d’un secteur à l’autre.

Les pays persistent à considérer l’industrie du tabac comme un secteur économiquement crucial.
L’Indonésie, le Japon, le Kazakhstan, le Mozambique, la Roumanie, la Tanzanie et la Zambie ont exposé leurs politiques de lutte contre le tabac à un risque de compromission et de défaillance. Ces pays ont négligé d’utiliser les outils à leur disposition, comme le prévoit l’article 5.3 des lignes directrices, pour protéger leurs efforts de lutte contre le tabagisme et ont été exposés à des niveaux élevés d’interférence de l’industrie.

La France bien classée, le Japon obtient la plus mauvaise note

C’est à l’aide de diverses données publiquement disponibles que le rapport de la fondation note différents pays du monde par rapport à leur bonne application de l’article 5.3 de la Convention Cadre pour la Lutte Antitabac (CCLAT), dont le sujet est la « protection des politiques publiques à l’égard de l’interférence de l’industrie du tabac ».

Alors que les pays les mieux notés ne permettent pas aux cigarettiers de participer à l’élaboration des politiques de santé publique, d’autres, tels que le Japon, la Chine ou encore le Laos, ne l’empêchent pas, notamment en raison du fait qu’ils possèdent des parts plus ou moins importantes dans plusieurs compagnies de tabac. Mais d’autres raisons peuvent expliquer l’immense pouvoir de l’industrie dans d’autres pays.

En Colombie, suite à des pressions de Big Tobacco auprès du ministère des Finances, celle-ci a réussi à obtenir un jugement de la Cour constitutionnelle quant au fait qu’une augmentation des taxes sur les cigarettes serait inconstitutionnelle.

Au Kazakhstan, à cause d’une loi locale permettant aux entreprises de participer à l’élaboration des lois, le gouvernement est forcé de discuter avec les cigarettiers concernant les augmentations de prix des produits du tabac.

En Israël, lors des auditions de la commission des affaires économiques sur le projet de loi sur la restriction de la publicité et du marketing des produits du tabac, le président de la commission et d’autres membres ont demandé aux représentants du ministère de la Santé  de rencontrer les représentants des sociétés de tabac et d’entendre leurs arguments.

Enfin, en Espagne, les cigarettiers sont même représentés au sein du comité de consultation du ministère des Finances.

Une liste d’exemples, bien sûr, loin d’être exhaustive.

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