J’entends très souvent dire que la cigarette électronique ce n’est qu’une histoire de fric, que l’État n’est là que pour se faire du pognon. Il veut la contrôler en lui donnant une orientation pharmaceutique tout en maintenant la vente de tabac. J’ai même entendu dire que l’État souhaitait que l’on continue de fumer.
De mon côté j’ai le sentiment que l’État cherche effectivement à protéger ses intérêts financiers mais que certaines nuances sont d’importance pour comprendre la situation.
Cela peut vous paraitre évident mais ce n’est pas si facile pour moi de dire ça, car je considère (un peu naïvement) que l’État, c’est nous. Étant issu d’une famille plutôt de gauche, ou Télérama rivalise avec Libération sur la table du salon, j’ai toujours eu une vision très pure de la politique. Les grandes valeurs humaines, de partage et de tolérance, ont toujours été pour moi au centre des débats, loin des dogmes économiques et du pouvoir de l’argent.
La vente des armes, des médicaments, le contrôle de l’alcool, du tabac et des jeux d’argent, ont toujours été pour moi des terrains glissants sur lesquels on voit très vite débouler d’innombrables clichés. Les conversations finissant toujours par : “De toute manière, tous des pourris“.
Trop facile.
Même si je commence à acquérir certaines convictions politiques qui peuvent d’une certaine manière contraster avec cette culture de gauche, j’ai toujours du mal à me construire une opinion, une vision sur laquelle je puisse vraiment m’appuyer. J’ai toujours tendance à me dire : “C’est vrai mais il faut aussi considérer l’opposé, au final c’est compliqué. Ce n’est pas aussi facile.”
Par excès de philosophie (je remercie chaleureusement au passage Jean-claude Michéa pour m’avoir inculqué le goût de cette matière au lycée), ou par peur de l’extrémisme transmise par mes parents, j’ai souvent considéré être atteint d’une vilaine maladie : l’indécision.
Mais pour la première fois dans ma vie de citoyen, j’ai le sentiment très net de savoir quoi penser sur un sujet de société comme celui de la cigarette électronique.
Ceci est sans aucun doute le résultat d’une situation finalement très simple : je me sens extrêmement concerné.
La cigarette électronique au même rang moral que la cigarette de tabac
On pourrait résumer la situation politique actuelle au sujet de la cigarette électronique de la manière suivante : la ministre de la Santé, Marisol Touraine, veut classer la cigarette électronique au même “rang moral” que la cigarette au tabac. Dès le 31 mai 2013 elle a souhaité interdire sa publicité, son usage dans les lieux publics et son accès aux mineurs.
Marisol Touraine ne veut pas pour autant interdire la commercialisation de la cigarette électronique mais souhaite mieux la contrôler pour protéger les citoyens d’une “initiation passive” au tabagisme.
Pourquoi, sous couvert d’un principe de précaution, l’État tenterait-il de freiner le développement de la cigarette électronique ?
C’est le cœur de mon débat personnel, c’est la question qui m’a empêché de dormir durant de nombreuses nuits cette semaine. Si le tabagisme tue 70 000 personnes par an et coûte à la société 47 milliards d’euros chaque année (même en soustrayant les 13 milliards qu’il rapporte), pourquoi vouloir freiner le développement du premier produit qui permettrait enfin de réduire le tabagisme en France et donc de faire des économies ?
Même si (selon Bercy) la majeure partie des recettes perçues par les taxes sur le tabac viennent directement dans les caisses de la sécurité sociale, les fumeurs coûtent plus à la société qu’ils n’en rapportent. C’est le discours officiel.
Vraiment ? En autorisant alors la vente contrôlée du tabac, l’État ferait finalement preuve d’un respect de la liberté individuelle et chaque citoyen paierait chaque année 772 euros pour permettre aux fumeurs de continuer à assouvir leur petit plaisir. L’électorat est préservé, les grèves évitées, l’ordre naturel des choses est stabilisé.
La théorie conspirationniste
Une autre explication très courante pour expliquer de tels non-sens politiques concerne les enjeux industriels, ces grandes opportunités financières qui viendraient corrompre les leaders d’opinion, chargés à leur tour d’influencer les législateurs pour préserver leurs propres intérêts.
Pour moi cela ne fait aucune doute, l’industrie pharmaceutique et celle du tabac sont très excitées à l’idée d’étouffer ou de conquérir ce nouveau marché, après tout c’est leur métier. Même si c’est très tentant, dire que les législateurs ne cherchent qu’à protéger des intérêts industriels directs me parait néanmoins très exagéré.
Les lobbys industriels ont parfois bon dos
Les lobbys existent, c’est pour moi une évidence. Plus il y a de l’argent en jeu et plus les gens sont motivés pour préserver leurs intérêts. En revanche, expliquer la situation de la cigarette électronique en France par ces seules raisons me parait un peu trop réducteur.
J’ai plutôt le sentiment que l’État est pris avant tout, dans une problématique temporelle.
Si le nombre de fumeurs diminue fortement et d’un seul coup, le manque à gagner en terme de taxes est immédiat. La transition doit se faire doucement pour que la balance s’équilibre. Les bénéfices répercutés sur la sécurité sociale (via une meilleure santé de la population) ne se seront visibles qu’après au moins une génération, voire plus.
Même si la balance est à l’heure actuelle complètement déséquilibrée, que le fumeur coûte plus à l’État qu’il n’en rapporte, il représente néanmoins un apport de trésorerie qu’il faut à tout prix protéger. On ne peut pas couper comme ça, l’un des principaux câbles d’alimentation fiscale.
Certains experts en santé publique attendent ainsi qu’un ministre de la Santé ait le courage un jour de prendre des décisions radicales (menant à l’éradication du tabac dans la société) mais dont les plus gros fruits ne seront récoltés que des décennies après.
Un basique problème de trésorerie
Pour résumer je pense que l’État est conscient des bénéfices que peut apporter la cigarette électronique au sein de la population de fumeurs mais se trouve coincé dans un basique problème de trésorerie. Il faut ralentir doucement la machine et contrebalancer les pertes pas des gains de même niveau. C’est d’ailleurs le schéma déjà suivi pour la vente du tabac : on tente de réduire le nombre de fumeurs (via des campagnes de prévention) tout en préservant les rentrées fiscales via l’augmentation du prix des cigarettes. De ce point de vue là, ralentir la pénétration de la cigarette électronique dans la société prendrait alors du sens.
Et vous, quelle est votre vision des choses ?