Grâce à ce travail, les chercheurs français espèrent avoir mis en lumière des marqueurs protéiques « qui pourraient constituer de nouvelles cibles thérapeutiques ».

1 600 patients suivis depuis près de 30 ans

Si les méfaits du tabagisme sont bien documentés depuis plusieurs décennies, la science n’a que peu rarement décrit les mécanismes biologiques à l’œuvre lors des conséquences de la consommation de tabac. Afin de pallier ce manque, plusieurs chercheurs français dirigés par Tripti Rastogi, pharmacologiste au Centre d’investigation clinique pluridisciplinaire Pierre Drouin du CHRU de Nancy, ont récemment publié une recherche (1) destinée à apporter un début de réponse.

Pour ce faire, ils ont utilisé les données issues d’une cohorte appelée Stanislas (Suivi temporaire annuel non invasif de la Santé des Lorrains assurés sociaux), mise en place en 1993, dont l’objectif est « d’étudier l’évolution de la santé de ces personnes sur le long terme ». Au total, 1 006 familles composées de 2 parents et d’au moins 2 enfants biologiques, qui ne présentaient pas de maladie chronique au moment de leur recrutement, en font partie. Toutes ont réalisé des analyses médicales régulières depuis 1993, ainsi que plusieurs examens comme des analyses sanguines et urinaires, des électrocardiogrammes, ou encore des échocardiographies, entre autres tests. Pour leur étude, les scientifiques se sont penchés sur d’éventuels biomarqueurs présents dans le sang des participants. 

« Pour ce travail, nous avons recherché les liens entre le statut tabagique des participants et les données issues de leurs examens biologiques et cardiovasculaires réalisés au centre d’investigation clinique plurithématique de Nancy entre 2011 et 2015. Des dosages de leurs protéines sanguines ont pu être réalisés dans le cadre du programme de recherche hospitalo-universitaire Fighting Heart Failure », explique T. Rastogi.

20 biomarqueurs repérés 

Sur le plan biologique, les chercheurs auraient identifié un total de 20 protéines sanguines associées au vieillissement prématuré, dont la concentration parmi les fumeurs actifs était différente que chez les non-fumeurs. Parmi elles, certaines seraient impliquées dans des processus pro-inflammatoires, ou favorisant le développement d’un cancer ou la mort cellulaire. D’autres seraient quant à elles connues pour être présentes en quantité supérieure à la normale lors d’une altération des fonctions vasculaires. 

Au contraire, certaines protéines importantes dans le cadre de la régulation de l’inflammation ou du métabolisme des lipides seraient diminuées chez les fumeurs. Des différences que la chercheuse indique avoir vues persister dans tous les cas, même en prenant en compte tous les paramètres individuels des participants tels que l’âge, le sexe, l’IMC, la prise de certains médicaments, etc. 

Le tabac, danger au long cours

Plus inquiétant encore, la recherche aurait révélé des différences entre les anciens fumeurs et les participants qui n’ont jamais fumé. Ainsi, les ex-consommateurs de tabac, même lorsqu’ils avaient cessé leur consommation depuis longtemps (14 ans en moyenne), continuaient de présenter des différences par rapport aux non-fumeurs. Parmi elles, une propension plus élevée à être victimes d’hypertension artérielle ou de souffrir d’une dyslipidémie (taux anormalement élevés de lipides (graisses) dans le sang. Habituellement sans symptômes, mais peut entraîner des maladies cardiovasculaires, N.D.L.R.)

Leur sang contenait également 11 protéines dont la concentration était modifiée par rapport aux participants n’ayant jamais fumé. « Cela suggère que, en dépit de l’ancienneté de l’arrêt de la consommation, certaines modifications biologiques induites par le tabac persistent », note ainsi la chercheuse. 

Vers de nouveaux traitements contre les maladies cardiovasculaires

Grâce à cette recherche, les scientifiques souhaitent désormais conduire une analyse rétrospective afin d’évaluer la trajectoire au cours du temps des biomarqueurs repérés. Grâce à l’ancienneté des données à leur disposition, ils pensent pouvoir étudier les dynamiques de chacun d’entre eux, depuis le début du tabagisme pour certains participants. 

De plus, ils espèrent que grâce aux protéines qu’ils ont pu isoler lors de leur travail, l’industrie pharmaceutique puisse mettre au point de nouveaux médicaments.

« Les traitements anti-inflammatoires ou antioxydants qui ont été testés jusqu’à présent n’ont pas montré de véritable efficacité dans la prise en charge du risque cardiovasculaire. Mais ce travail a permis d’identifier un nombre restreint de marqueurs protéiques qui pourraient constituer de nouvelles cibles thérapeutiques », conclut Tripti Rastogi.


(1) T. Rastogi et coll. Impact of smoking on cardiovascular risk and premature ageing : Findings from the STANISLAS cohort. Atherosclerosis, édition en ligne du 23 février 2022. DOI : 10.1016/j.atherosclerosis.2022.02.017

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