Quel avenir pour les buralistes ? La profession, si l’on en croit le président de la confédération, prend acte de la diminution du tabagisme, mais n’est pas prête à y renoncer pour autant. En ignorant superbement, au passage, le sens de l’histoire.
Soixante dix, cinquante, zéro
L‘accord avec le PMU était donc censé aider les buralistes à faire une transition, ce qui est légitime : après tous, ce sont des commerçants, et il est normal qu’ils assurent la survie de leur gagne-pain.
La baisse des ventes de tabac dans le réseau est notable et inexorable. Surtout, avec l’augmentation planifiée pour arriver au paquet à dix euros en 2020, ce phénomène ne pourra que s’amplifier. Si les ventes hors réseau, façon polie de désigner le trafic et la contrebande, se développent et font souffrir les buralistes, principalement frontaliers, mais pas seulement, d’autres facteurs viennent compliquer la situation des débits de tabac.
A commencer par la vape, mais pas uniquement. Tous les moyens de sevrage tabagique bénéficient de l’augmentation du prix du paquet, et les substituts pharmaceutiques voient également leurs ventes accélérer grâce au remboursement décidé par la Ministre de la santé française.
Une saine prise de conscience des buralistes qui leur permettrait d’aborder la transition avec sérénité ? On se plaît à le croire… Jusqu’à la ligne suivante. Parce que Philippe Coy l’a dit à l’AFP, d’après l’AFP, du moins, ces mesures doivent permettre aux buralistes de ramener le tabac à 50 % de leurs revenus dans 5 à 7 ans.
Il y a finalité et fin
C’est donc clair et net : les buralistes ne comptent pas se reconvertir, simplement encaisser le choc de la baisse des ventes de tabac, et continuer ad libitum.
Il s’agit, il faut le reconnaître, d’une forte baisse. Bien qu’aucune étude de prospective économique sérieuse n’existe à ce jour sur ce sujet, à notre connaissance, le chiffre qui revient régulièrement dans la bouche de nos interlocuteurs au fait du secteur est le même : d’ici cinq à sept ans, soit la même période que celle prise en compte par la confédération des buralistes pour la transition, le nombre de bureaux de tabac devrait avoir drastiquement baissé. Le chiffre qui fait consensus, c’est un passage d’un peu moins de 25 000 bureaux de tabacs aujourd’hui en France à environ 15 000.
Un passage de 25 000 buralistes qui font 70 % de leur chiffre d’affaire avec le tabac à 15 000 qui n’assureront plus que 50 % de leurs revenus avec ce produit, c’est une belle baisse du nombre de fumeurs, une victoire sans commune mesure avec ce qui a été obtenu jusqu’ici en terme de politiques de réduction du tabagisme.
Mais cela implique une poursuite de la consommation de tabac à combustion, donc une poursuite, malgré sans doute une forte baisse, du nombre de maladies liées. Pire : si l’on s’en tient aux déclarations des buralistes qui n’envisagent pas de plan pour la suite, cela voudrait dire une poursuite du turn over, c’est à dire d’arrivée de nouveaux clients pour remplacer les anciens, qu’ils aient arrêté avec ou contre leur gré (si, on peut arrêter contre son gré, en mourant, généralement).
Vers le futur et au delà
Nul doute que si les buralistes avaient expliqué que cette transition avait pour but de transformer à fond leur métier et, à terme, de cesser la vente de tabac, la partie la plus raisonnable et réfléchie des opposants au tabac les aurait applaudis et, sans doute, aidés. L’annonce du fait qu’ils veulent simplement se préparer à encaisser le contrecoups de la baisse des ventes pour pouvoir continuer à vendre un produit mortellement dangereux fait tousser.
Cela se passera, comme on l’a vu, par le renouvellement de la clientèle, d’une part, mais aussi de procédés plus retors. A travers les publications et blogs dédiés à ce métier, d’ailleurs, on peut voir que les buralistes voient généralement d’un bon œil le vapofumage. Un paquet de Chameau, un Quinté + et un flacon de Nonos en 18 mg, par rapport à deux paquets de Chameau, en terme de marge, c’est le jour et la nuit.
Le problème, c’est qu’en terme de santé, un paquet de cigarettes par semaine tuera le client presque aussi efficacement que deux sur la durée. Ce n’est pas une affirmation en l’air, c’est de la science.
Le problème des buralistes, en réalité, n’est pas purement commercial, c’est un problème de raisonnement. La profession est terrorisée à l’idée de devoir se retrouver en secteur concurrentiel pur. Jusqu’ici, les buralistes ont la sérénite de se retrouver en situation de monopole sur un produit dont le prix est fixe et dont leurs clients sont dépendants, ce qui leur assure un passage minimum. Si demain le tabac disparaissait des rayons, ils seraient alors des commerçants comme les autres.
Ils en sont sans doute capables. Les buralistes savent tenir un commerce, sont rompus à des exigences de gestion infiniment plus complexe que le magasin lambda, et ne ménagent pas leur peine. Mais cette sécurité que leur apportait leur position monopolistique confortable s’avère être un géant aux pieds d’argile, et risque de faire d’eux, si ils ne changent pas rapidement de cap, des victimes inattendues de la dépendance au tabac.