Une étude américaine conclut que la cigarette électronique n’aide pas à arrêter de fumer, alors qu’une méta-analyse Cochrane affirme le contraire. Pourquoi ces résultats opposés ? Tout repose sur la méthodologie.
Étude observationnelle vs essais cliniques
L’étude qui prétend que la vape n’aide pas à arrêter de fumer
Cette nouvelle recherche américaine a utilisé les données d’une enquête nationale (Population Assessment of Tobacco and Health (PATH)). Pour évaluer l’efficacité du vaporisateur personnel dans le cadre du sevrage tabagique, ses auteurs ont observé le comportement de 6 013 fumeurs établis en 2017, leur fréquence d’utilisation d’une cigarette électronique à ce moment-là, puis leur statut tabagique quatre ans plus tard, en 2021. Pour qu’un fumeur de 2017 soit considéré comme non-fumeur en 2021, il fallait qu’il ait arrêté de fumer depuis au moins 12 mois.
En 2017, sur les 6 013 fumeurs, 14,4 % déclaraient vapoter en même temps : 3,9 % au quotidien, et 10,6 % de temps en temps. Notons que la somme de 3,9 + 10,6 est égale à 14,5, et non 14,4 comme il est indiqué dans l’étude. Un écart qui peut s’expliquer de plusieurs manières (chevauchement des données, arrondis des valeurs, etc.), mais qui démontre une certaine imprécision dans les chiffres communiqués par les chercheurs.
Soulignons également que pour tenter d’étudier l’efficacité du vapotage pour arrêter de fumer, cette recherche a observé le comportement de fumeurs qui vapotaient en même temps. Ses résultats n’ont donc rien à voir avec l’efficacité du vapotage pour le sevrage tabagique puisqu’elle s’est concentrée sur les doubles utilisateurs, et non sur les fumeurs qui ont tenté de remplacer leur tabagisme par le vapotage. Cette étude ne mesure donc pas l’efficacité du vapotage en tant qu’outil de sevrage tabagique, mais seulement son impact chez des fumeurs qui n’avaient pas fait le choix de remplacer complètement le tabac par la vape. En d’autres termes, elle ne teste pas la vape comme une solution d’arrêt, mais comme un simple complément au tabac. Une énorme différence qui, d’office, rend difficilement compréhensible sa conclusion. Mais revenons-en à l’étude.
Quand la statistique gomme la réalité du sevrage
En 2021, 20,9 % des fumeurs qui vapotaient quotidiennement avaient arrêté de fumer, contre 14,3 % de ceux qui vapotaient seulement de temps en temps. Des chiffres qui démontreraient donc que les fumeurs qui étaient aussi des vapoteurs quotidiens étaient plus nombreux à s’être sevrés du tabac que les fumeurs qui étaient aussi des vapoteurs occasionnels. Mais après avoir réalisé une analyse des régressions logistiques, qui vise à contrôler les facteurs de confusion qui peuvent biaiser les résultats bruts d’une étude, la différence entre les deux groupes n’était plus statistiquement significative. Autrement dit, l’utilisation quotidienne d’une cigarette électronique en parallèle du tabagisme n’était pas plus efficace pour complètement arrêter de fumer que son utilisation occasionnelle. Mais pourquoi ?
Pour simplifier au maximum, une analyse de régression logistique est destinée à lisser certains facteurs qui pourraient biaiser les résultats des calculs d’une étude. Dans le cas présent, les facteurs de confusion retenus par les chercheurs étaient très nombreux (âge, sexe, santé mentale, etc.). Mais l’un d’eux semble particulièrement important à mettre en avant : la volonté d’arrêter de fumer.
En incluant ce facteur dans leur analyse de régression logistique, les chercheurs ont donc ajusté les résultats de leur étude afin que les fumeurs motivés à arrêter ne faussent pas les résultats. Étrange lorsqu’on sait qu’il s’agit d’une étude destinée à calculer l’efficacité du vapotage pour arrêter de fumer, et que dans le cadre du sevrage tabagique, la volonté est incontestablement l’outil le plus efficace pour y parvenir…
En incluant la volonté d’arrêter à leur analyse de régression logistique, les chercheurs ont donc potentiellement (très probablement) masqué l’efficacité réelle du vapotage dans le cadre du sevrage tabagique, gommant ainsi son potentiel effet bénéfique chez les fumeurs désireux de se sevrer du tabagisme.
Un fait qui leur a permis de conclure que « l’utilisation de la cigarette électronique n’était pas associée à une augmentation du sevrage tabagique futur ».
Deux études, deux méthodologies, deux résultats opposés
Ces différences de méthodologie expliquent en partie pourquoi Cochrane trouve la vape efficace pour arrêter de fumer, et PATH non. Alors que la première se concentre sur des fumeurs motivés à arrêter, la seconde mélange tout le monde, qu’ils veuillent arrêter ou non. Selon la méta-analyse Cochrane, « il existe des données probantes d’un niveau de confiance élevé indiquant que les cigarettes électroniques contenant de la nicotine augmentent les taux d’abandon [du tabagisme, N.D.L.R.] par rapport aux substituts nicotiniques ».
La méta-analyse incluait également des essais contrôlés randomisés, un type d’étude spécifique, bien plus rigoureux pour établir des relations causales, qu’une étude observationnelle comme l’est la recherche américaine dont nous parlons aujourd’hui.
Les différences entre un essai contrôlé randomisé (ECR) et une étude observationnelle (EO) :
- Dans un essai contrôlé randomisé, les participants sont répartis aléatoirement dans différents groupes, ce qui élimine les biais de confusion. Ce n’est pas le cas dans une étude observationnelle.
- Dans un ECR, les chercheurs peuvent contrôler toutes les variables. Par exemple, dans le cadre d’une étude sur le vapotage, ils peuvent distribuer le même matériel à tous les participants du groupe des vapoteurs. Dans une EO, les participants sont de parfaits inconnus, tous différents les uns des autres, qui n’ont aucune chance d’avoir tous utilisé le même matériel. Difficile, dans ces conditions, de tirer des conclusions générales sur la vape.
- Dans un essai contrôlé randomisé, les chercheurs peuvent observer ce qui se passe pendant et après l’étude. Autrement dit, vérifier si le nombre de participants du groupe des vapoteurs a été plus nombreux à arrêter de fumer que ceux du groupe non vapoteurs. Dans le cadre d’une étude observationnelle, il ne s’agit que de tendances.
- Les ECR permettent également d’éviter la confusion entre corrélation et causalité puisque sans randomisation, il est impossible de l’éviter. De même qu’un essai contrôlé randomisé élimine d’office les risques de biais de sélection, puisqu’il y a une répartition aléatoire des participants. Ce qui n’est pas le cas dans une étude observationnelle.
En d’autres termes, lorsqu’il s’agit d’étudier un effet causal, les essais contrôlés randomisés sont le type de recherche le plus fiable, et de loin.
Et ce n’est pas tout ! Cette étude américaine s’est en plus intéressée à des fumeurs qui utilisaient une cigarette électronique à partir de 2017. Depuis cette époque, le marché a évolué et des modèles plus performants ont vu le jour. En se basant sur des données dépassées, cette étude ne reflète pas la réalité actuelle de l’efficacité du vaporisateur personnel comme outil de sevrage tabagique.
Une étude imprécise aux conclusions discutables
En conclusion, cette étude américaine est particulièrement imprécise.
Non seulement elle utilise des données dont les premières remontent à huit ans et se focalisent sur des vapo-fumeurs, mais en plus, pour ses calculs, elle ne fait aucune différence entre les fumeurs qui utilisent une cigarette électronique pour arrêter de fumer, et ceux qui n’ont aucune volonté de sevrage tabagique.
Pourtant, lorsqu’on cherche à mesurer l’efficacité d’un outil pour arrêter la consommation de cigarettes, la première chose à prendre en compte semble quand même être la volonté des participants d’effectivement arrêter.
De quoi remettre en cause l’affirmation du Professeur John P. Pierce, co-auteur de l’étude, qui a indiqué dans un communiqué de presse que si « la plupart des fumeurs pensent que le vapotage aide à arrêter de fumer, cette croyance n’est pas soutenue par la science à ce jour ».
1 Li, D., Xie, Z., Shaikh, S.B. et al. Altered expression profile of plasma exosomal microRNAs in exclusive electronic cigarette adult users. Sci Rep 15, 2714 (2025). https://doi.org/10.1038/s41598-025-85373-9
2 Quach NE, Pierce JP, Chen J, et al. Daily or Nondaily Vaping and Smoking Cessation Among Smokers. JAMA Netw Open. 2025;8(3):e250089. doi:10.1001/jamanetworkopen.2025.0089
3 Hartmann-Boyce J, McRobbie H, Lindson N, Bullen C, Begh R, Theodoulou A, Notley C, Rigotti NA, Turner T, Butler AR, Hajek P. Electronic cigarettes for smoking cessation. Cochrane Database of Systematic Reviews 2020, Issue 10. Art. No.: CD010216. DOI: 10.1002/14651858.CD010216.pub4
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