Pas d’article du vendredi aujourd’hui. Il est temps de vous révéler la vérité sur ce reportage maudit que le Vaping Post n’a jamais osé publier. Alors, installez-vous, allumez grand la lumière, mangez des bonbons, et, tandis que les caries dévorent vos dents, lisez et tremblez.

Avertissement

Ce reportage est tiré de faits réels. Il a été retrouvé dans un disque dur SSD portable de 512 GO sur une table dans un Coffee Shop à Amsterdam. Certains aspects ont été tus à la demande des autorités. L’enquête est toujours en cours.

Une veille de samedi 14

La bâtisse était tapie dans un bois dont les arbres tendaient leurs branches faméliques vers le visiteur de passage. Grommelant, le journaliste du Vaping Post essayait de lire l’adresse sur son post-it détrempé par une pluie battante, vouant aux gémonies le responsable de son courroux. « Malédiction sur l’auteur du vendredi, dans tous ses articles, il pleut ! ».

Il se posta un instant à l’orée du portail, scrutant la sinistre demeure plongée dans l’ombre. Seule une lumière était allumée, à une fenêtre de l’étage, jetant son halo sur la silhouette du journaliste, le guidant au milieu des ténèbres tandis que le photographe immortalisait l’instant pour l’affiche du film.

Parvenu à la vaste porte d’entrée en chêne massif, il sonna. La porte s’ouvrit sur le plus laid personnage qu’il ait jamais vu, son corps difforme enfilé tant bien que mal dans une livrée de Maître d’hôtel. « Vous êtes le dîner ? », demanda ce dernier, avant de se reprendre, « vous êtes venu pour le dîner ? ».

« Non, je suis l’envoyé spécial du Vaping Post ». Puis, devant le regard interrogatif de son interlocuteur, il ajouta, « je suis ici pour l’affaire de possession démoniaque ».

Igor, puisque c’était le nom de la créature, invita le journaliste à entrer, et, d’un pas traînant, se dirigea vers un immense volume, qu’il compulsa d’un air concentré. « Ah, oui, je l’ai : possession démoniaque, deuxième étage, troisième porte à gauche ». Il ajouta, tandis que le journaliste se dirigeait vers l’escalier massif, « troisième gauche ! ».

« J’avais entendu », répondit le journaliste.

Igor ajouta sobrement « je préfère répéter, si vous confondez avec la deuxième gauche, vous aurez des problèmes. Le locataire est… Un loup-garou. Ou un hipster. Je les confonds toujours, la pilosité, je pense ».

S’ensuit un passage descriptif et barbant où le journaliste décrit les moulures de la rampe d’escalier et les nombreux tableaux qui s’y trouvent. On l’a supprimé, c’était pénible. Croyez-nous sur parole : les propriétaires ont drôlement besoin d’un décorateur.

Face au mal

La chambre dans laquelle allait se dérouler l’évènement était d’une sobriété à faire pleurer de joie un designer aux émoluments très élevés. Le mobilier se réduisait à une table en formica, sur laquelle était posé un flacon d’e-liquide. L’assistance, une dizaine de personnes, se tenait debout, tout autour de la pièce, dos au mur, et personne ne jeta un regard au nouvel arrivant.

« Bonjour », salua le journaliste.

« Ton mod suce des accus en enfer ! », répondit la bouteille.

« Je ne comprends pas », sanglotait un homme dans un coin de la pièce. « J’étais tranquillement dans mon laboratoire, j’assemblai des arômes, et soudain… », d’un mouvement de tête, il désigna un angle de la pièce. Le journaliste, horrifié, découvrit la victime.

C’était une résistance, du clapton peut-être, difficile à dire au vu de ce qu’il en restait, qui gisait sur le sol, dans une flaque de liquide coagulé.

« Il est temps d’en finir ! », jusqu’alors resté silencieux, l’officiant s’était avancé, se dressant de toute sa stature devant le flacon de liquide, qui glougloutai sournoisement. Il se tourna vers le mixologue, « dis-moi, qu’y a-t-il dans ce liquide ? ».

Le malheureux se tordait les mains et sanglotait de plus belle. « Rien, juste des arômes, du PG, de la VG, et de la nicotine ». Devant le regard terrible de l’officiant, il ajouta, d’une petite voix, « et un peu de colorant… ».

« Je le savais ! » rugit l’officiant. « Blasphème ! Je te condamne au bûcher, qu’on brûle l’hérétique !  Quelqu’un a un briquet ? ». Des regards gênés furent échangés dans l’assistance, lorsque, après main tâtonnements de poches, il s‘avéra que personne n’avait de feu. « Les vapoteurs… », ragea l’officiant, qui se tourna vers sa proie, « soit, je t’épargne, mais sois banni ! Car en vérité je te le dis, tu ne vaux pas mieux que ceux qui mangent de la pizza à l’ananas ou ceux qui disent chocolatine ».

Vaincu, le mixologue s’en alla, tête basse.

« Et maintenant, à nous deux » dit l’officiant, se tournant vers le liquide. « Dis-moi, créature infernale, quel est ton nom ! ».

« Il dit qu’il est tous les fruités frais », dit quelqu’un.

« Ne croyez pas leur marketing, il n’y en a qu’un ! », tonna l’officiant, qui brandit un dripper, braillant de toutes ses forces, « au nom du Boobas, du Gorillas et du Subzero, dis-moi ton nom, je te l’ordonne ! ».

Et le liquide répondit.

Les coils de la nuit

Le rédacteur en chef appuya sur la barre d’espace pour arrêter VLC. Dans la salle de rédaction, pas un bruit ne se faisait entendre, tous les journalistes du Vaping Post, blafards, osaient à peine respirer.

« Personne ne doit savoir ». Le rédacteur en chef s’arrêta un instant, le temps de reprendre le contrôle de sa voix, qui tremblait, et de son POD, qui fuyait. « Tout ce qui a été entendu ici doit rester ici ».

« On doit la vérité au monde ! », dit quelqu’un.

« Soit, mais qui la racontera ? Qui la croira ? », demanda le rédac’chef.

« L’article du vendredi », dit quelqu’un ! « Si on l’écrit dans l’article du vendredi, on aura dit la vérité, mais personne ne le croira, c’est parfait ! ». Il réfléchit et ajouta, « si seulement son auteur n’était pas parti en exil après avoir été surpris dans une fâcheuse posture avec la fille d’un fabricant de puffs… ».

« Il est sous une cascade d’eau glacée », dit le rédac’chef. « Allons le chercher, apportons-lui une serviette, et ramenons-le ici. Ne lui faisons pas directement entendre ça, donnons-lui d’abord à lire l’étude sur la vape qui fait rétrécir les testicules, pour le mettre en conditions ».

« Certes », dit quelqu’un, « mais qui sait ce qu’il fera ? Il serait capable de finir l’article en queue de poisson ».

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