Vous êtes propriétaire en France d’une ou plusieurs boutiques spécialisées dans le vapotage ? Voici pourquoi le Plan de loi de finances, présenté par le gouvernement, signe tout simplement votre arrêt de mort.
Du ministère de la Santé au ministère des Finances
L’article 23 du projet de loi de financement de la Sécurité sociale propose la création d’un droit d’accise sur les produits à vaper, entre autres.
Si la loi est votée, elle serait applicable au second semestre 2026, soit à partir du 1er juillet, soit à partir du 1er août.
Un droit d’accise n’est pas une simple taxe, mais obéit à des contraintes plus spécifiques. Une taxe vise à financer l’État, alors qu’un droit d’accise a pour but de réguler un secteur spécifique: tabac, alcool, etc. Ce qui implique un nombre de contraintes et d’obligations très supérieur, faisant entrer le produit concerné dans un ensemble législatif complet.
Surtout, le droit d’accise signifie un changement de ministère. Jusqu’ici, la vape était tacitement sous l’autorité du ministère de la Santé, qui avait été le premier à se saisir du dossier. Un droit d’accise placerait les produits du vapotage dans le giron du ministère des Finances, à Bercy, via le service douanes. La législation serait similaire à celle des bureaux de tabac.
La « taxe » sur la vape, qui est donc un droit d’accise, n’est donc pas une simple obligation de payer une certaine somme, très loin de là. Et c’est pour cela que se focaliser sur la seule taxe est une erreur, parce que ce n’est pas une taxe, c’est un ensemble réglementaire.
Comme vous allez collecter l’accise, vous allez devenir un « établissement agréé ». Ce qui signifie que vous allez exercer grâce à un agrément, qui pourra vous être octroyé en échange du respect d’un ensemble de règles. Si, selon l’État, vous enfreignez une de ces règles, votre agrément pourra vous être retiré. En d’autres termes, l’État peut décider, en une minute, de fermer votre boutique. Et, concrètement, vous n’êtes plus un commerçant libre de ses faits et gestes.
Du vape shop au bureau de vape
La présentation du vape shop ne changerait, théoriquement, pas beaucoup, puisqu’en termes de publicité et d’affichage, ils sont déjà censés s’aligner sur les bureaux de tabac. Les affiches, kakemonos et autres seront interdits.
En revanche, les emballages de produits devraient être « non incitatifs ». Est-ce à dire que cette législation imposerait l’emballage neutre ? Dans un second temps, sans doute. Mais dans un premier temps, il y aurait un sévère écrémage des produits autorisés. Il est dès lors légitime de se poser la question : qui déciderait, qui contrôlerait cette « non incitabilité » des emballages ? Sans doute les distributeurs au moment de les référencer.
Une mise aux normes étouffante
Une boutique de vape mise aux normes buralistes et habilitée à collecter de l’accise devrait se lancer dans un certain nombre d’investissements.
La possession d’un logiciel et d’une caisse spécifiques est vivement encouragée. Leur coût global varie entre 8000 et 12 000 euros. Ou vous pouvez choisir de passer quatre heures par jour à faire des tableurs sur Excel en plus de votre travail et de recevoir des agents des douanes tous les deux jours. Vous avez le choix, on est en démocratie après tout.
Pour pouvoir gérer un vape shop, il faudra également être quelqu’un de bien. Et tout ceci se décide lors d’une « enquête de moralité », faite par les services compétents de l’État. En d’autres termes, si vous avez un casier judiciaire, ou si vous n’êtes pas « de bonne moralité » préparez votre reconversion loin de la vape. Un buraliste nous le confirme : « il n’y a aucune tolérance là-dessus. Même si vous avez fait une petite bêtise sans gravité quand vous étiez jeune, s’il y a casier judiciaire, c’est fini pour vous. »
Voilà. Vous êtes tranquille dans votre vape shop, vous allez pouvoir le meubler et le décorer à votre goût. Presque. Parce qu’il va falloir du matériel aux normes : des vitrines renforcées, un rideau de fer, un coffre-fort. Tout cela n’est pas obligatoire, mais le montant de la prime d’assurance sera calculé en fonction. Le matériel devra être hors d’atteinte, et, surtout, vous n’aurez plus la possibilité de faire tester des produits avant achat.
D’ailleurs, il faudra prévoir une petite somme d’argent qui sera mise de côté. Elle sert de garantie à la Logista pour pouvoir continuer à fournir votre stock.
Poste | Description | Fourchette basse (€) | Fourchette haute (€) |
---|---|---|---|
Formation réglementaire | Formation à la législation, perception des taxes, sécurité* | 800 – 2 000 | 3 000 |
Enquête de moralité | Contrôle obligatoire de la moralité du gérant par l’État (frais administratifs) | 500 | 1 000 |
Aménagements sécuritaires | Vitrines renforcées, rideau métallique, coffre-fort (prime assurance impactée) | 5 000 | 10 000 |
Cautionnement auprès de Logista | Garantie financière pour approvisionnement en stock | 3 000 | 10 000 |
Assurance et maintenance | Prime annuelle d’assurance et entretien des équipements de sécurité | 2 000 | 5 000 |
Aménagement du local et mobilier | Aménagement conforme dans les normes de sécurité et présentation | 15 000 | 30 000 |
Total estimé investissement initial (hors caisse et logiciel) | 26 300 € | 59 000 € | |
* La formation réglementaire initiale obligatoire pour les futurs buralistes (3-4 jours) coûte généralement environ 800 €, mais peut être plus élevée selon les formations complémentaires ou spécifiques. |
Exemple : Eudes a, à une époque de sa vie, enchaîné les amendes pour stationnement interdit, qu’il ne payait jamais. Jusqu’au jour où l’État, lassé, a fini par lui envoyer un huissier de justice pour recouvrer les sommes. Vingt ans plus tard, Eudes est devenu un citoyen exemplaire et fait une demande d’agrément pour sa boutique de vape. La personne chargée de l’enquête de moralité découvre son passif avec le Fisc. Agrément refusé.
Un seul fournisseur
Comme la vape deviendrait un produit du tabac, il faudrait, pour se fournir, passer exclusivement par les distributeurs agréés par l’État.
Ceci semble curieux : si les boutiques de vape doivent obéir aux règles des buralistes, la vape, contrairement au tabac, ne deviendrait pas un monopole d’État. Officiellement, non, mais dans les faits, si : pour contrôler l’accise, il faudra passer par un distributeur agréé. Ces sociétés sous mandat d’État ne sont pas très nombreuses, puisqu’elles sont actuellement au nombre de une : Logista.
La question des grossistes de vape se poserait alors : certains grossistes seraient-ils habilités ? La question n’est pas tranchée, mais c’est peu probable, et, même si c’était le cas, les investissements à faire seraient considérables.
Mais le contrat signé entre Logista et l’État est exclusif, donc la société serait en droit de contester l’apparition d’un second distributeur.
Exemple: Firmin a sa boutique de vape depuis quinze ans. Il travaille toujours avec les deux mêmes grossistes avec qui il a des rapports privilégiés. Un jour, il décroche son téléphone pour passer commande. Aucune réponse : ses deux grossistes ont mis la clef sous la porte. Un commercial de la Logista vient le voir pour lui présenter son catalogue de liquides. Firmin n’y trouve pas ses références habituelles, celles que ses clients adorent. Le commercial lui explique qu’elles n’ont pas été homologuées et qu’elles ne sont plus sur le marché.
Des e-liquides sous clé
Les boutiques ne pourraient vendre que les liquides référencés chez Logista. Ceci fait l’objet d’un autre article à paraître à l’attention des grossistes, mais le choix va se restreindre très fortement.
Il est probable que les prix des liquides seraient fixés par arrêté ministériel. Il n’y a, néanmoins, aucune certitude là-dessus. Toutefois, en tant que produit assimilé au tabac, toute promotion ou cadeau d’e-liquide serait formellement interdit. Chaque vape shop devrait tenir un registre précis des liquides qui entrent dans son stock, de ceux qui en sortent, et les douanes peuvent à tout moment procéder à un contrôle inopiné du stock.
Chaque magasin devrait tenir une comptabilité au millilitre. Si vous recevez 10 flacons de 10 millilitres, vous aurez 100 millilitres en stock. Si vous utilisez 5 millilitres de liquide de liquide pour remplir, par exemple, un tank de démonstration, vous devrez préalablement demander l’autorisation. Qui sera, si les règles sont les mêmes, refusée.
Exemple : vous recevez un nouveau liquide. Vous en prélevez un flacon pour remplir un démonstrateur. Une quantité de liquide disparaît du stock. À partir de ce moment-là, vous êtes éligible à une sanction pouvant aller jusqu’au retrait d’agrément. Rideau.
La fin de la liberté d’entreprendre
Les bureaux de tabac obéissent à une règle stricte : un propriétaire ne peut disposer que d’un lieu de vente et doit y être présent 60 % de son temps d’ouverture. Dès lors, les propriétaires de multiples boutiques et de petits réseaux seraient-ils obligés de choisir un point de vente et de fermer ou vendre les autres ? La question sera décidée par décret avant l’application de la loi, probablement au 1er juillet 2026.
Il existe des contournements que certains buralistes ont faits avec la législation, comme des tabacs tenus par différents membres de la même famille. Il est probable, néanmoins, que cela ne sera pas possible pour les boutiques de vape : la sévérité de la loi annonce des contrôles stricts et une tolérance nulle. D’autant que les autorités seront aidées par les buralistes et les associations antitabac, trop heureux de voir leur bête noire tomber.
Exemple : Odilon a bien réussi dans la vape, il a six boutiques. Il en garde une pour lui, confie la seconde en gérance à sa sœur qui cherchait du travail, arrive à en vendre une troisième à un jeune entrepreneur qui a réussi à décrocher son agrément et un prêt de la banque. Restent trois boutiques qu’Odilon est contraint de fermer définitivement.
Plus aucune nouvelle boutique
Et si on voulait ouvrir un vape shop après la promulgation de la loi ? Il faudrait alors respecter diverses normes. Ne pas se trouver à moins d’une certaine distance d’un établissement scolaire, par exemple. En moyenne, c’est 300 mètres, mais la distance est fixée par arrêté préfectoral dans chaque département.
Mais aussi, et surtout, il faudrait se trouver à une certaine distance (variable selon les endroits) d’un bureau de tabac ou d’un autre vape shop. Au vu du nombre de buralistes en France et du maillage territorial, trouver un endroit dans une zone de population suffisamment dense pour avoir une rentabilité serait déjà exceptionnel. Une fois l’endroit miraculeux déterminé, il faudrait encore qu’il y ait un local libre.
Pour faire simple : théoriquement, il sera possible d’ouvrir un nouveau vape shop. Mais uniquement théoriquement. Le nombre de commerces ne pourra concrètement aller qu’en diminuant. Aujourd’hui, nous explique un buraliste « il est impossible de créer un nouveau bureau de tabac en France ». Alors, un vape shop…
Nous remercions les professionnels du droit français qui ont bien voulu répondre à nos questions afin de nous aider à élaborer cette analyse, aux buralistes compatissants qui ont bien voulu nous ouvrir leurs portes, à la Direction des douanes, ainsi qu’à la Fédération des industriels de la vape pour son regard critique.
Vous avez une analyse différente de la nôtre quant aux conséquences de l’article 23 du PLF sur l’avenir des boutiques spécialisées ? N’hésitez pas à contacter notre rédaction par email en utilisant le formulaire prévu à cet effet.