L’année dernière, une étude américaine concluait qu’il existe un possible lien entre vapotage et maladies du coeur. Une contre-étude publiée récemment vient remettre en question ces résultats et met en lumière de nombreuses incohérences.
Étude et contre-étude
Mais depuis quelques années, le vaporisateur personnel est adopté par de plus en plus de fumeurs à travers le monde. Ainsi, puisqu’il est possible qu’un jour la cigarette électronique remplace complètement le tabac dans le cadre d’une stratégie de réduction des risques, plusieurs recherches ont été conduites afin d’étudier ses effets sur la santé. Et l’année dernière, une analyse conduite par Stanton Glantz [1] a révélé un possible lien entre l’utilisation d’un vaporisateur personnel et des risques de maladies cardiovasculaires (MCV).
Mais qu’en est-il réellement ? Les résultats de cette recherche sont-ils cohérents ? C’est ce à quoi ont tenté de répondre les chercheurs Konstantinos E Farsalinos, Riccardo Polosa, Fabio Cibella, et Raymond Niaura, dans une récente analyse [2].
La vape, bien différente du tabagisme
Comme le rappellent les chercheurs, du fait de son mode de fonctionnement, la cigarette électronique ne contient pas de tabac, ne crée pas de fumée, et ne dépend pas de la combustion pour fonctionner. Bien qu’elle ne soit pas totalement sans risque, de nombreuses recherches ont révélé que le niveau de constituants chimiques dans les émissions d’aérosols de cigarettes électroniques dans des conditions normales d’utilisation s’est révélé « nettement inférieur à celui de la fumée de cigarette ». Selon le ministère de la santé britannique, le vapotage serait ainsi 95 % moins nocif que le tabagisme.
Toutefois, selon les scientifiques, diverse travaux menés en laboratoire sur des cellules humaines ont démontré que la vape augmente la libération de médiateurs inflammatoires, et entraîne une activation et une agrégation des plaquettes, ainsi qu’une adhésion de celles-ci. Chez la souris, l’exposition chronique de tout le corps aux émissions d’aérosols de cigarettes électroniques accélère la raideur aortique, altère considérablement la fonction endothéliale aortique et peut entraîner une insuffisance cardiaque. Enfin, dans les expériences cliniques de toxicité aiguë chez des fumeurs en bonne santé, les cigarettes électroniques et les cigarettes combustibles présentent une inhibition similaire de la fonction endothéliale, mesurée par la dilatation des artères par l’écoulement, une activité sympathique accrue et une altération de l’élasticité aortique.
Bien que tous ces facteurs soient associés à un risque cardiaque accru, les chercheurs expliquent que des résultats similaires ont été observés lors d’analyses sur des thérapies de remplacement de nicotine (patchs, gommes, etc.), mais également lors de recherches sur… la caféine.
L’étude
Cette étude a été conduite en réaction à la National Health Interview Survey (NHIS), récente recherche ayant révélé que l’utilisation de cigarettes électroniques est associée à une augmentation du risque d’infarctus du myocarde (MI), également connu sous le nom de crise cardiaque, et de maladies coronariennes. Pour sa réalisation, les chercheurs ont utilisé les données disponibles publiquement du NHIS les plus récentes, soit celles des années 2016 et 2017, qui regroupent un total de 59 770 personnes.
Tous les répondants ont été classés dans divers groupes selon leurs habitudes de consommation du tabac (quotidien, certains jours, jamais, ancien fumeur, fumeur actuel etc), et de la cigarette électronique.
Les résultats
Le premier point noté par les chercheurs est que l’usage de la cigarette électronique, en particulier l’usage quotidien, était beaucoup plus répandu chez les anciens fumeurs de ⩽6 ans comparativement aux anciens fumeurs de >6 ans.
Le second, est que selon l’analyse conduite, « aucune association statistiquement significative n’a été observée entre l’infarctus du myocarde et les habitudes d’utilisation de la cigarette électronique » (quotidienne, certains jours, et l’utilisation antérieure de la cigarette électronique).
Cependant, concernant le tabagisme, tous les modes d’utilisation (quotidiens, certains jours et anciens fumeurs) ont été associés de façon significative à l’infarctus du myocarde. Comparativement aux anciens fumeurs de ⩽6 ans, les anciens fumeurs de plus de 6 ans avaient toutefois moins de chances d’avoir une crise cardiaque.
Même son de cloche du côté des maladies coronariennes. En effet, les chercheurs indiquent dans leurs conclusions « qu’aucune tendance de consommation de cigarettes électroniques n’a été associée à une coronaropathie ».
Ainsi, pour les auteurs de l’étude, « il n’y a aucune preuve précise ou indirecte que l’usage de la cigarette électronique est lié de façon causale aux maladies du cœur ».
Comment expliquer de telles différences dans les conclusions des deux études ?
Pour le professeur Farsalinos et ses confrères, le travail fourni par Stanton Glantz et ses confrères l’année dernière, dont les conclusions indiquent un possible lien entre vapotage et maladies cardiaques, présente de nombreuses incohérences.
Ils expliquent par exemple que « contrairement à l’utilisation quotidienne, la faible intensité d’utilisation de la cigarette électronique (c.-à-d. certains jours d’utilisation) a été associée à l’infarctus du myocarde dans l’enquête de 2017 ». Autrement dit, les vapoteurs quotidiens auraient moins de chances de souffrir d’une maladie cardiaque que les vapoteurs occasionnels. Un « paradoxe » pour les chercheurs.
Le second point qu’ils soulèvent concerne la double utilisation (vapoter et fumer en même temps). Dans une recherche [3] réalisée précédemment, une association statistiquement significative entre le double usage et les maladies cardiaques avait été trouvé. Cependant, une analyse parmi les non-fumeurs (vapoteurs exclusifs) n’a trouvé aucune association entre l’usage de cigarettes électroniques et les MCV. Pour les chercheurs, ces résultats suggèrent que « l’exposition à la cigarette électronique ne peut être nocive que si elle est ajoutée au tabagisme ». Mais ce n’est pas tout. Aussi étrange que cela puisse paraître, cet examen ne fournissait aucune information sur l’intensité du tabagisme, la durée du tabagisme et les habitudes tabagiques avant l’introduction de l’usage de la cigarette électronique chez les utilisateurs doubles par rapport aux fumeurs exclusifs. De plus, les facteurs de risque établis de MCV comme l’hypertension et l’hypercholestérolémie n’ont pas été inclus dans l’analyse. Pour ces nombreuses raisons, les chercheurs indiquent que les résultats de cette étude « doivent être interprétés avec prudence ».
Troisième point, les scientifiques rappellent que « les inférences causales ne peuvent pas être faites avec des données transversales, en partie parce qu’il n’est pas facile d’établir un séquençage temporel ».
Par exemple, ils expliquent que dans les enquêtes du NHIS, « aucune question n’a été posée pour déterminer quand l’infarctus du myocarde ou la coronaropathie sont survenus en rapport avec l’initiation à l’utilisation des cigarettes électroniques ». Autrement dit, une personne qui aurait eu une crise cardiaque littéralement 5 minutes après avoir démarré la vape, aurait été comptabilisée comme personne ayant potentiellement eu ce problème de santé à cause de la vape. Un comble.
Ainsi, pour les scientifiques, « même si une forte association entre l’usage de cigarettes électroniques et les maladies cardiaques était observée, un lien causal serait encore loin d’être prouvé » car « il est possible que certains participants aient développé une maladie cardiaque avant que les e-cigarettes ne soient disponibles, avant de les utiliser ou après une courte période d’utilisation, alors qu’ils ont une longue histoire de tabagisme derrière eux ».
Et comme si cela ne suffisait pas, l’essai publié sur l’American Journal of Preventive Medicine était entièrement fondée sur des déclarations des participants, sans aucun contrôle clinique donc, et de nombreux autres facteurs associés aux maladies cardiaques (antécédents familiaux, exposition au tabagisme passif et pratique d’une activité physique) n’étaient pas disponibles ou clairement définis dans la recherche.
Ainsi pour Konstantinos Farsalinos et ses collègues, les travaux réalisés l’année dernière aux États-Unis et qui accusent la cigarette électronique de provoquer des maladies cardiaques, sont truffés d’incohérences, et souffrent d’une grande fragilité méthodologique.
[1] Alzahrani, T, Pena, I, Temesgen, N, et al. Association between electronic cigarette use and myocardial infarction. Am J Prev Med 2018. pii: S0749-3797(18)31871–3. https://doi.org/10.1016/j.amepre.2018.05.004
[2] Farsalinos, K. E., Polosa, R., Cibella, F., & Niaura, R. (2019). Is e-cigarette use associated with coronary heart disease and myocardial infarction? Insights from the 2016 and 2017 National Health Interview Surveys. Therapeutic Advances in Chronic Disease. https://doi.org/10.1177/2040622319877741
[3] Osei, AD, Mirbolouk, M, Orimoloye, OA, et al. Association between e-cigarette use and cardiovascular disease among never and current combustible-cigarette smokers. Am J Med 2019. pii: S0002-9343(19)30211–6. https://doi.org/10.1016/j.amjmed.2019.02.016
Le reste de l’info’ scientifique