Troisième évènement sur l’e-cigarette auquel je participe cette année, l’Ecig Europe vient de se terminer. L’édition niçoise de ce séminaire, censée réunir les acteurs de la vape industrielle, me laisse un goût très amer dans la bouche. Direction la Côte d’Azur pour un debriefing complètement biaisé, puisque j’ai déjà arrêté de fumer.
Et vous ? Vous travaillez pour qui ?
Ils sont une vingtaine, peut être une cinquantaine, à déambuler dans les couloirs de l’Ecig Europe, le rendez-vous un peu bling bling des industriels de l’ecig. Ils sont en costards, discrets mais rarement seuls, et ont cet air un peu innocent de l’employé content de pouvoir enfin sortir de son bureau. Ce sont les industriels du tabac, ces nouveaux représentants du marché de la cigarette électronique qui ont payé 1500 euros chacun pour assister aux conférences de l’Ecig Europe.
Ils sont venus de Suisse, du Royaume-Uni ou des États-Unis pour recevoir les informations qu’on leur a promises. Tous leurs employeurs ont récemment fait l’acquisition d’une société d’e-cigarette ou publiquement affirmé leur volonté d’entrer sur le marché. Ce n’est plus une nouvelle, ces géants du tabac à l’origine du plus grand fléau de l’humanité, veulent maintenant surfer sur la vague de l’ecig. Une ironie qui ne semble déranger personne ici, sauf peut être les quelques représentants de la vape indépendante.
Alors qu’il est parfois difficile de faire la différence entre un fabricant de nicotine et un vendeur de tabac, le vendeur d’ecig indépendant, lui, est beaucoup plus facile à reconnaitre. Il faut dire que le Mod VTR à la main ou la chemise un peu froissée peuvent dénoter avec l’ambiance générale et apporter de bons indices.
Oliver Kershaw est là, le fondateur du plus gros forum dédié à la vape, avec son acolyte Neil McLaren. Des membres de l’ECITA sont également présents avec Arnaud Dumas de Rauly, président de la FIVAPE dont je vais parler plus bas.
Durant les conférences ou les pauses qui les entrecoupent, aucun nuage de vapeur. Les professionnels présents seraient-ils déjà informés d’une interdiction de vape dans les lieux publics français ? Un bref coup d’oeil au cendrier qui se remplit à l’entrée du bâtiment infirme rapidement cette théorie. Il n’y a tout simplement pas de vapoteurs dans cette assemblée car les gens sont intéressés par bien d’autres choses que le dernier montage micro-coil coton du voisin.
Comment attaquer le marché européen et américain
C’est la grande question du séminaire, comprendre les mécanismes politiques en jeu et savoir anticiper les directions gouvernementales que votre société va devoir suivre pour maintenir son cap et gagner la course de l’ecig.
Haaa si seulement le gouvernement pouvait nous oublier. Pas de panique, l’Ecig Europe vous explique comment survivre dans cette jungle législative et vous a préparé un bon petit repas.
La recette est simple : on prend la TPD européenne et le Tobacco Control Act américain régi par la FDA, puis on appelle des gens qui les ont décortiqués pendant des mois pour expliquer aux armuriers présents dans quel canon il faut maintenant placer les balles.
Entre deux séances de petite cuisine politique, on place des intervenants venus vanter les mérites de leur propre société puis on badigeone le tout avec quelques interventions de personnages un peu plus crédibles, comme Karl Fagerström ou encore Oliver Kershaw.
La lutte contre le tabagisme ? Une baisse du chiffre d’affaire.
La réduction des risques pour le fumeur ? Une réduction des pertes.
Question suivante.
La faute à qui ?
J’étais en chemin pour aller acheter mes 20 cigarettes quotidiennes quand j’ai découvert pour la première fois l’e-cigarette. Pour information, la marque de cigarettes que j’avais l’habitude de fumer était Camel.
Clap, clap, clap. Peter Beckett, consultant pour l’ECITA, n’a pas vu les trois salariés de la JTI applaudir discrètement tandis qu’il poursuivait sa présentation et entrait dans le détail de la TPD. Soyons tout de même rassurés, maintenant que Peter ne fume plus de Camel, il va peut être vaper des E-lites ? L’essentiel me direz-vous, étant qu’il réduise les risques liés à son tabagisme, ou qu’il continue d’acheter des produits JTI, c’est au choix.
La situation est tout de même assez cocasse car c’est bien la TPD qui rapprochera peut être Peter de ses anciens dealers. Une belle retrouvaille dans un marché où la cigalike sera la reine incontestée. Mais la poésie de l’histoire ne s’arrête pas là. L’une des raisons pour lesquelles le législateur craint de voir l’ecig se développer trop rapidement et de manière anarchique, réside justement dans l’entrée sur le marché des industriels du tabac. Peter Becket est donc en train d’expliquer la TPD aux personnes qui l’ont eux-mêmes rendu complexe.
Puis ce fut au tour de Patricia Kovacevic de prendre la parole, une salariée de la société Lorillard qui a racheté en 2012 le leader de l’ecig américaine, Blu. Cette femme à l’allure athlétique semble mieux connaitre le fonctionnement de la FDA que ses fonctionnaires eux mêmes. Cette diplômée de Harvard touche sa bille et parle aux personnes présentes comme à des petits enfants dans une cour de récré : “Si vous pensez pouvoir utiliser vos données américaines pour soumettre vos demandes de mises sur le marché européen, détrompez-vous. Cela ne vas pas se passer comme ça.”
Patricia elle sait, elle, ce qu’il faut faire. Manque de bol, les autres ne bossent pas chez Lorillard, non. Ils bossent chez BAT, JTI, PMI ou encore National Tobacco.
A l’origine il y avait des clients fumeurs
C’est bien connu, une bonne stratégie marketing intègre aujourd’hui la notion de réseau social et la genèse numérique de l’e-cigarette est sans doute un fait que les industriels du tabac ont bien compris. Il convient alors d’appréhender le vapoteur chevelu avec prudence et de bien comprendre les us et coutumes de cette étrange communauté. Les méchants clients repentis ne sont en fait, pas partis si loin …
Son forum pourrait être classé aujourd’hui comme un moment historique. Depuis 2007 des centaines de milliers de fumeurs américains et anglophones, pour ne pas dire des millions, sont en effet passé par l’e-cigarette-forum.com pour obtenir des informations sur la vape et contribuer à son développement.
Oliver explique à l’aide de sa petite présentation Powerpoint ce que cherchent les vapers et quel est leur profil : préférences de saveurs pour les e-liquides, millilitres vapés par jour, type de matériel utilisé, etc. La salle est captivée et boit les paroles d’Oliver comme du petit lait.
J’ai longtemps cherché la raison pour laquelle Oliver Kershaw avait accepté de venir à ce séminaire. Est-il conscient que la communauté qu’il représente rejette catégoriquement l’industrie du tabac ? Cela ne fait aucun doute, mais il a comme moi, et comme toutes les personnes présentes à l’Ecig Europe, quelque chose à vendre. Oliver est sans doute venu représenter une vape indépendante et véhiculer par la même occasion l’image de son nouveau site web, vaping.com, auprès de gros acteurs du secteur.
L’arrogance française dans toute sa splendeur
Deuxième jour de conférence et toujours le même mutisme autour de moi. Alors que toutes les personnes à qui je m’adresse s’accordent à déplorer la présence des industriels du tabac ici, personne ne pose véritablement la question. Des relents du film “The Insider” peut être … freine les élans de rébellion.
Il fallait en fait attendre l’intervention d’Arnaud Dumas de Rauly pour s’amuser un peu.
A Jeff Williams, représentant de la société eNicotine qui vient de passer la dernière demi-heure à faire son show commercial sur écran géant, Arnaud, qui prend alors le micro, lui dit ceci :
“Merci Jeff pour cette présentation, vos produits sont parfaitement compatibles avec la TPD. Ça fait un peu peur quand même.”
Je pense qu’à ce moment là nous étions deux à rigoler. Moi pour cette jolie tirade vapotesque, et mon voisin qui regardait une vidéo d’un chat écrasé sur Youtube. Le ton est donné et la suite de l’unique intervention française de cette semaine a presque été caricaturale.
“Le raffinement c’est la France et les meilleurs parfums sont français. Je suis d’ailleurs, pour cette raison, fier d’être français“. Arnaud rappelle d’ailleurs subtilement qu’il serait de la même manière fier d’être américain, si il était né dans le pays du ketchup et des hamburgers.
Après avoir délicatement projeter à l’écran les courbes descendantes des ventes de tabac en France et accompagné sa délicieuse illustration d’un amical “vous voyez ici, vous perdez de l’argent“, Arnaud dirige finalement l’attention du public vers le sujet principal pour lequel on lui a demandé de venir.
“Les trois quarts des e-liquides vendus sur l’hexagone sont de fabrication française, et nous sommes le premier pays européens à avoir entamé des démarches de labellisation et de standardisation (avec l’AFNOR)“.
La suite de l’histoire vous la connaissez. Ni produit du tabac, ni médicament. La vape indépendante existe, la France frileuse mais consciente de l’utilité du produit, les professionnels de santé qui suivent, la FIVAPE enfin comme toutes les autres associations de professionnels dans le monde, est là pour structurer le marché afin d’assurer sa pérennité.
Arnaud a le cran de conclure sur la première cause de mortalité évitable en France, le tabac, avant de se faire corriger par William McEwen, le rédacteur en chef du Tobacco Journal. “C’est la deuxième en fait, la première étant le manque d’exercice physique et la mauvaise alimentation“. Il fallait en effet le souligner …
Merci à Kate de IQPC pour son invitation à ces conférences.