A l’issue d’une comparaison systématique d’études devant satisfaire certains critères méthodologiques, seize experts américains ont décidé ne pas émettre de recommandations en faveur de la cigarette électronique comme méthode de sevrage tabagique. Si l’état de la science au regard de leurs critères ne leur permet pas de conclure, l’absence de preuve ne signifie pas pour autant absence d’efficacité. Sauf pour certains journalistes.

Évaluer l’efficacité et la sécurité d’un produit en pondérant les bénéfices / risques

Ne pas recommander n'est pas déconseiller.

Ne pas recommander n’est pas déconseiller.

Nous avons pu lire ces derniers jours sur de nombreux médias nationaux [1] qu’une agence américaine venait de terminer un rapport en concluant que la cigarette électronique n’était pas la meilleure méthode pour arrêter de fumer et qu’aucun élément ne permettait dès lors de la recommander en vue d’un sevrage tabagique. Jean François Etter, professeur de santé publique à l’université de Genève, a apporté des éclaircissements sur certaines interprétations peut être un peu hâtives.

L’unité des services de prévention américaine (USPSTF) est un groupe de travail constitué de 16 experts de différentes spécialités médicales dont la mission est d’établir des recommandations de prévention sanitaire, “basées sur un examen rigoureux d’études revues par les pairs”, en évaluant les recherches et en examinant le rapport bénéfices/risques de nombreux produits.

Ce groupe s’est penché sur les méthodes de sevrage tabagique actuelles afin d’en évaluer l’efficacité et la sécurité en opposant les bénéfices attendus aux risques éventuels, et ceci pour plusieurs types de population. Les études accumulant le plus de preuves sont alors sélectionnées, et concernent généralement des essais contrôlés randomisés (aléatoires) et des revues systématiques. Sept études réalisées entre 2012 et août 2014 sur la cigarette électronique satisfaisaient ces critères de sélection extrêmement rigoureux.

Rapport bénéfices / risques de l’e-cigarette : des conclusions classées grade “I”

L’USPSTF classe en affectant un grade aux recommandations qu’elle émet, il en existe cinq. Un grade A ou B signifie que le bénéfice net attendu par la mise en œuvre de la recommandation est favorable pour le patient, il n’y a donc pas de doute à avoir sur l’intérêt du médicament ou du dispositif étudié.

Dans le cas d’un grade C, la prudence s’impose et la recommandation doit être suivie de façon sélective, le bénéfice attendu restant incertain.

En grade D la mise sur le marché du produit n’est pas recommandée, car apportant plus de risques que de bénéfices.

Il existe enfin un dernier grade, le grade “I”. Cette note correspond à une situation où il n’est pas possible de conclure. Les données n’étant pas suffisantes, ou de qualité insatisfaisante, pour établir avec la plus grande rigueur scientifique le rapport bénéfices / risques.

Dans le cas de la cigarette électronique, son efficacité et sa sécurité ont été classés par l’USPSTF au grade « I » signifiant que les preuves actuelles sont encore insuffisantes pour la recommander officiellement comme méthode de sevrage. En toute logique et rigueur, les experts préconisent de privilégier les recommandations de grade A dont l’efficacité (relative) et la sécurité sont donc considérées comme sûres.

Une absence de recommandations à relativiser

L’interprétation des résultats de la méta-analyse menée par le centre Cochrane sous la direction de Peter Hajek était bien différente, mais dans ce cas là aussi, l’indice de confiance était peu élevé.

Interviewé par l’Édition du Soir, Jean François Etter relativise ces recommandations. Il rappelle que “les études ont été réalisées il y a des années sur les cigarettes de première génération (type cigalike), qui n’avaient rien à voir avec les e-cigarettes actuelles car fournissant peu de nicotine.” Les recherches ne montraient alors qu’un impact très modeste sur l’arrêt définitif du tabac.

Le produit est certes récent mais cela ne suffit pas à expliquer le nombre réduit d’études explique cet expert. Le dispositif n’est “pas considéré comme médicament, et n’est donc par conséquent, pas testé par les groupes pharmaceutiques” souligne Jean-François Etter qui déplore également un manque de curiosité de la part des chercheurs en tabacologie. Au cours de nos échanges, Jean François Etter a insisté : “l’absence de preuves par essais randomisés n’est pas égale à la preuve de l’absence d’effets sur l’arrêt du tabac.”


[1] Santé. L’e-cigarette aide-t-elle à arrêter de fumer ? (Ouest France, 5 mai 2015)   –  L’e-cigarette aide-t-elle à arrêter de fumer ? (L’Édition du Soir, 5 mai 2015)  –  L’efficacité de l’e-cigarette pour arrêter de fumer remise en cause (Le Figaro, 7 mai 2015) – La e-cigarette ne vous fait pas arrêter de fumer selon des chercheurs (Radio Monaco, 11 mai 2015)

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