Jérémie Pourchez, directeur de recherche au Centre ingénierie et santé de Saint-Étienne, a souhaité recentrer le débat sur la toxicité du vapotage.

Halte à la désinformation sur la cigarette électronique

Ces dernières semaines, la publication de nouvelles études1, 2 a ravivé l’intérêt de la presse pour la cigarette électronique. Deux d’entre elles ont particulièrement attiré l’attention : la première, britannique, suggère que le vapotage pourrait augmenter les risques de souffrir d’une maladie cardiaque, et l’autre, américaine, estime qu’il accroîtrait les risques de cancer.

Notre rédaction a déjà décortiqué ces recherches lors de leur parution. Alors que le travail d’outre-Manche n’a, ni été publié, ni contrôlé par des pairs, et qu’il n’existe aucune indication sur la méthodologie qu’il a utilisée, celui d’outre-Atlantique a utilisé des échantillons hors d’âge, censés appartenir à un groupe de vapoteurs dont le passé tabagique n’a pas été vérifié. Malheureusement, comme à son habitude, la presse généraliste n’a pas pris le temps de lire ces recherches et s’est contentée d’en rapporter les résultats, sans se soucier de leur fiabilité.

Je suis récemment intervenu dans différents médias afin de recentrer le débat face à de la désinformation sur le consensus scientifique sur la réduction des risques sanitaires vape versus tabac.<span class="su-quote-cite">Jérémie Pourchez, directeur de recherche à l'École des Mines de Saint-Etienne</span>

Dans son laboratoire de l’École des mines de Saint-Étienne (France), Jérémie Pourchez, directeur de recherche au Centre ingénierie et santé, a eu vent de ces études. Lui qui est engagé depuis plusieurs années dans l’évaluation des risques sanitaires liés aux émissions des cigarettes électroniques, s’est agacé de l’écho qu’ont pu avoir ces travaux. « Je suis récemment intervenu dans différents médias afin de recentrer le débat face à de la désinformation sur le consensus scientifique sur la réduction des risques sanitaires vape versus tabac », explique-t-il.

Certains arômes sont-ils dangereux ?

À Franceinfo, il indique que si l’utilisation d’un vaporisateur personnel « n’est pas quelque chose de sain, ça n’a pas non plus une toxicité très importante ». Son collègue, Clément Mercier, ingénieur de recherche au centre, prend toutefois le temps d’alerter sur le fait que la toxicité du vapotage dépend en grande partie des arômes utilisés dans les e-liquides. Il rappelle par exemple que « certains arômes [peuvent] être problématiques au niveau de la toxicité. » En tête de liste des accusés, principalement la cannelle. Mais faut-il réellement se méfier de certains e-liquides ? Certaines de nos saveurs préférées représentent-elles un risque pour la santé ?

Sébastien Soulet, chargé de recherches à ingésciences

Comme nous l’explique Sébastien Soulet, chargé de recherches à ingésciences, laboratoire d’analyses expert dans l’étude des produits d’inhalation, ces propos sont à relativiser. Le chercheur rappelle tout d’abord que, plus que des arômes particuliers, ce sont les molécules qui les composent que l’on regarde. Pour conserver l’exemple de la cannelle, il cite un rapport de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) de 2020, indiquant que le cinnamaldéhyde, molécule présente dans l’arôme de cannelle, a été observé dans 3 % des e-liquides déclarés, avec une concentration médiane de 0,3 mg/mL d’e-liquide, et une concentration maximale autour de 8 mg/mL. 

Moins il y a d’ingrédients dans le liquide, plus sa composition chimique est simple, plus on limite le risque de décomposition thermique des molécules qui se trouvent dans le liquide, ce qui peut générer des gaz toxiques.<span class="su-quote-cite">Jérémie Pourchez, directeur de recherche à l'École des Mines de Saint-Etienne</span>

Si l’on suppose qu’un vapoteur utilise un liquide dont la quantité de cinnamaldéhyde est la plus élevée relevée par l’ANSES, et qu’il vapote environ 300 bouffées au quotidien, à la fin de la journée, il aura inhalé environ 0,6 mg/m3 de cette molécule. Supposons qu’un vapoteur inhale 5mg d’e-liquide par bouffée d’un liquide 50/50 avec la concentration maximale rapportée de cette molécule. Par bouffée, il inhale donc 40µg de cinnamaldéhyde et à peu près 12 mg à la fin de la journée s’il vapote 300 bouffées. Cela représente une concentration moyenne de 80 mg/m3 par bouffée et de 0.6 mg/m3 sur une journée.

L’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) recommande à la population générale de ne pas dépasser une concentration journalière moyenne de 1,09 mg/m3, soit près du double de ce qui a été inhalé par le vapoteur dans notre exemple. Et cette valeur toxicologique a, bien sûr, été construite avec des coefficients de sécurité.

L’ECHA tolère même une quantité de 6,11 mg/m3 pour un travailleur en exposition continue, soit dix fois plus que l’exposition quotidienne de l’utilisateur pris dans notre exemple. Alors même que l’e-liquide utilisé contenait 26 fois plus de cinnamaldéhyde que la moyenne. « Autrement dit, les données du vapotage dans le scénario à la concentration la plus forte, reste en dessous des données toxicologiques disponibles sur l’ECHA », conclut-il. 

L’expert précise néanmoins que oui, certains essais en laboratoires montrent que cette molécule (et d’autres) engendre des réponses cellulaires. Mais, « la question c’est en quoi ces essais sont extrapolables à une consommation normale. » Et en l’état, « il n’y a pas de moyen de comparer ces essais à la réalité, car ils sont irréalistes en surexposant [ces cellules] sur de très petites surfaces. » Ces recherches doivent donc être considérées comme un comparatif de conditions. « Par exemple, deux liquides avec deux concentrations différentes ou deux liquides commerciaux avec deux aromes contenant du cinnamaldéhyde peuvent être comparés avec un liquide sans la molécule », explique Sébastien Soulet, avant de souligner que les chercheurs réalisent donc « du comparatif de produits, mais en aucun cas ils évaluent les conséquences pour l’utilisateur. » 

Le chercheur offre toutefois quelques pistes pour les vapoteurs les plus inquiets. En 2021, l’ANSES publiait un autre rapport, cette fois sur la priorisation des substances chimiques dans les émissions des produits du vapotage. Son objectif était de classer les 1 775 substances repérées à l’époque, dans tous les e-liquides du marché. 

Source : ANSES

L’agence de sécurité sanitaire les a ainsi catégorisées parmi trois groupes. Le groupe 1, qui contient les substances considérées comme « présentant les dangers les plus importants », le groupe 2, « présentant des dangers jugés moindres par rapport à ceux du groupe 1 », et le groupe 3, dont les substances « ne remplissent pas les critères pour être classées dans l’un des deux autres groupes ». L’ANSES note toutefois que l’appartenance d’une substance au groupe 3 « ne signifie pas qu’elles sont non dangereuses pour la santé humaine. » Simplement que les données nécessaires à leur catégorisation dans un autre groupe sont insuffisantes ou absentes. La liste exhaustive des 106 substances appartenant au groupe 1 peut être consultée dans le rapport de l’ANSES (p. 29-32).

Et là encore, Sébastien Soulet tempère en indiquant que la simple présence d’une substance sur cette liste « n’est pas suffisant[e] pour affirmer que ce [qui sera inhalé] (ou autres voies d’administration) conduise à un problème de santé. » Pour s’en assurer, il convient de réaliser une analyse de risque, qui pourra ensuite conduire à une évaluation des risques sanitaires, justement ce sur quoi travaille l’ANSES. 

Mon objectif était d’apporter un éclairage scientifique le plus objectif et factuel possible à la population de plus de 3 millions de vapoteurs français qui pouvait s’interroger face à des informations issues de publications scientifiques parfois très alarmistes sur le risque sanitaire du vapotage comparativement au tabac fumé.<span class="su-quote-cite">Jérémie Pourchez, directeur de recherche à l'École des Mines de Saint-Etienne</span>

À la question de savoir si des composants ou des arômes sont plus à risque que d’autres, Jérémie Pourchez explique que, de manière générale, « moins il y a d’ingrédients dans le liquide, plus sa composition chimique est simple, plus on limite le risque de décomposition thermique des molécules qui se trouvent dans le liquide, ce qui peut générer des gaz toxiques. » La puissance d’utilisation de la cigarette électronique est aussi à prendre en compte, et, à ce sujet, il indique que « moins le dispositif chauffe, plus on prend des petites bouffées, moins on a la possibilité de générer des gaz potentiellement toxiques. » 

Le vapotage resterait bien moins nocif que le tabagisme

C’est bien là tout le challenge scientifique qui entoure l’étude de la nocivité de l’utilisation d’une cigarette électronique. Avec des centaines de modèles différents et plusieurs dizaines de milliers d’e-liquides, il est très difficile de tirer des conclusions qui s’appliqueraient à l’ensemble du vapotage. Chaque e-liquide est composé d’ingrédients différents, qui réagissent tous différemment lorsqu’ils sont chauffés pour être inhalés. Qui plus est lorsqu’ils sont vapotés dans des dispositifs qui peuvent fonctionner sur une plage de puissance variant de quelques Watts à, parfois, plusieurs centaines. Et tout ça, sans parler du fait que d’autres éléments encore peuvent influer sur la composition de l’aérosol d’une cigarette électronique, comme la durée des bouffées, par exemple. C’est d’ailleurs ce qu’explique Jérémie Pourchez dans l’une de ses interventions. Il note que par rapport au tabac, qui, lui, est standardisé, « notre grande difficulté est que la cigarette électronique ne l’est pas du tout »

Aujourd’hui, le consensus scientifique est qu’il peut y avoir des risques sur la santé à vapoter, mais que, sans aucun doute, il y a un bénéfice pour la santé à passer de la cigarette de tabac au vapotage.<span class="su-quote-cite">Jérémie Pourchez, directeur de recherche à l'École des Mines de Saint-Etienne</span>

Malgré tout, auprès de La Nouvelle République, le spécialiste persiste et signe. Entre la nocivité du tabagisme et celle du vapotage, « il n’y a pas photo. » À condition, prévient-il, de complètement remplacer le tabagisme par le vapotage. « Si vous fumiez un paquet chaque jour et que vous passez à une dizaine de cigarettes en vapotant, cela coûte moins cher. Mais croire que simplement diminuer sa consommation de tabac tout en vapotant apporte un bénéfice pour la santé est une idée qui est fausse. » 

Auprès de Sud Ouest, il confirme : « Il faut rappeler quelque chose de tout bête : le vapotage n’est pas quelque chose de sain et, évidemment, il vaut mieux ne pas vapoter ni fumer. Aujourd’hui, le consensus scientifique est qu’il peut y avoir des risques sur la santé à vapoter, mais que, sans aucun doute, il y a un bénéfice pour la santé à passer de la cigarette de tabac au vapotage. » 

Aujourd'hui, aucune maladie grave ne peut directement être imputée au vapotage.<span class="su-quote-cite">Jérémie Pourchez, directeur de recherche à l'École des Mines de Saint-Etienne</span>

« Mon objectif était d’apporter un éclairage scientifique le plus objectif et factuel possible à la population de plus de 3 millions de vapoteurs français qui pouvait s’interroger face à des informations issues de publications scientifiques parfois très alarmistes sur le risque sanitaire du vapotage comparativement au tabac fumé », nous précise Jérémie Pourchez.

Étude en cours oblige, il ne sera, pour l’instant, pas possible d’en savoir plus. Le rapport sur les nombreuses recherches au sujet de la cigarette électronique, qu’il mène accompagné de son équipe à Saint-Étienne, devrait être disponible après l’été. Un rapport dont nous ne manquerons pas de suivre les résultats avec attention.

En attendant, rappelons que, si le vapotage n’est pas anodin pour la santé, il existe, depuis plusieurs années maintenant, un consensus au sein d’une grande partie de la communauté scientifique, sur le fait qu’il resterait beaucoup moins nocif que l’acte de fumer. Ce que confirme Jérémie Pourchez, qui explique qu’après environ 15 ans d’existence de la vape, si on sait que « ce n’est pas sain de vapoter (…), ça reste beaucoup moins toxique que le tabac ». Et de rappeler qu’aujourd’hui, « aucune maladie grave ne peut directement être imputée au vapotage. » 


1 Li, D., Xie, Z., Shaikh, S.B. et al. Altered expression profile of plasma exosomal microRNAs in exclusive electronic cigarette adult users. Sci Rep 15, 2714 (2025). https://doi.org/10.1038/s41598-025-85373-9

2 Étude non publiée.

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