Présentée comme une solution naturelle au sevrage, Oui’garette se veut une alternative au tabac. Mais derrière le marketing vert, ce produit cache une réalité assez complexe. Explications.

Oui’garette : fumer sans tabac, mais pas sans danger

Capture d’écran du site Oui’garette

Il y a quelque temps, nous avions parlé de Sasillia, la paille en inox qui prétend aider à arrêter de fumer. Nous poursuivons nos découvertes des produits incongrus en vous présentant cette fois, Oui’garette, « une cigarette sans tabac pour réduire le tabac ». Pour justifier l’existence de cette allégation, Louis Hamm, fondateur de l’entreprise, cite sur son site internet, l’ancien président de la ligue contre le cancer, Axel Kahn, qui rappelait que « 40 % des cancers sont évitables ». Pour le créateur de Oui’garette, ce constat « a souligné l’urgence de trouver des solutions qui parlent le langage des fumeurs ». Et quoi de mieux pour parler aux fumeurs, que de leur proposer des cigarettes ? « Cette cigarette brevetée sans tabac, sans nicotine, 100% naturelle, BIO et fabriquée en France, répond à cet appel en offrant une solution adaptée et accessible. », explique ainsi l’homme responsable de cette invention. 

Capture d’écran du site Oui’garette

Pour une entreprise qui indique s’inscrire « dans le plan national lancé par le gouvernement en 2023, visant à créer une génération sans tabac à l’horizon 2030 », ses connaissances en matière de sevrage tabagique semblent pourtant bien limitées. Et en termes de santé, cela interpelle. Puisque Oui’garette explique sur son site internet, avec ardeur, que les mélanges dans ses produits sont « exempt d’additifs artificiels », « sans nicotine », et « réalisés à la main pour créer des arômes et des profils de goût uniques ».

Faut-il rappeler que les nombreuses maladies liées au tabagisme ne sont pas dues à la nicotine contenue dans les cigarettes, ni même au tabac à proprement parler ? C’est bien la combustion du tabac, ou d’une quelconque matière organique d’ailleurs, qui génère de nombreuses molécules toxiques, dont plusieurs peuvent être cancérigènes. Oui’garette a beau remplacer le tabac par des « cheveux de maïs », de la « damiana », de la « calendula » ou de la « menthe nanah », la combustion de toutes ces plantes produira, au même titre que le tabac, des goudrons, du monoxyde de carbone, des hydrocarbures aromatiques polycycliques, et bien d’autres composés toxiques

Capture d’écran du site Oui’garette

En 2015, une étude1 a d’ailleurs comparé une cigarette de tabac à une cigarette qui contenait une plante différente, l’Artemisia. Les chercheurs ont ainsi mis en lumière que le taux de goudron était supérieur pour la plante (7,45 mg contre 6,02 mg), tout comme le taux de monoxyde de carbone qui était plus que doublé (12,3 mg contre 6,07 mg). Le benzo[a]pyrène, qui est un cancérogène bien connu, était lui aussi produit en quantité supérieure dans la cigarette contenant de l’Artemisia (2,77 ng) que dans celle contenant du tabac (2,29 ng), tout comme plusieurs composés phénoliques, également toxiques (hydroquinone et catéchol). Enfin, le test de mutagénicité, qui consiste à vérifier si une substance peut provoquer des mutations génétiques, souvent liées à un risque de cancer, a lui aussi révélé des résultats pires pour la cigarette sans tabac que pour la cigarette traditionnelle. 

Si ces mauvais résultats s’expliquent en partie, car l’Artemisia contient des huiles essentielles qui, lorsqu’elles sont chauffées, se décomposent pour générer de nombreux composés toxiques, la Damiana en contient elle aussi, tout comme la menthe nanah utilisée par Oui’garette. Pour les cheveux de maïs et la calendula, ce risque est moindre puisque ces plantes ne contiennent pas ou moins d’huiles essentielles, mais restent des végétaux que l’on brûle et qui produiront donc, de nombreuses substances nocives pour la santé humaine en cas d’inhalation. 

En bref, Oui’garette s’inscrit peut-être dans une démarche de réduction du tabac, mais fais le choix malheureux de la combustion. De notre point de vue, si votre objectif est d’arrêter de fumer, nous ne pouvons que vous recommander de vous en tenir à des solutions dont la moindre nocivité par rapport au tabac est reconnue, et cela passe forcément par l’absence de combustion. Par exemple, le vapotage, les substituts nicotiniques, les thérapies comportementales, etc. 

La combustion, toujours en cause

Lorsqu’une plante est brûlée, sa combustion se décompose en trois phases distinctes :

  • Le séchage et la déshydratation, qui se produit entre 100 et 200°C.
  • La pyrolyse, de 200 à 600°C, durant laquelle la matière organique se décompose et produit, par exemple, des composés organiques volatils (COV), dont certains sont responsables de cancers.
  • L’oxydation, au-delà de 600°C, qui génère du monoxyde de carbone, des particules fines, etc. Là encore, des composés, dont certains, sont particulièrement nocifs. 

La combustion est également responsable de la production de fumée. C’est dans cette dernière que l’on peut retrouver différentes substances toxiques, comme le monoxyde de carbone, certains COV dangereux (benzène, acroléine, formaldéhyde, etc.), ou encore des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), dont certains sont aussi reconnus comme étant cancérogènes.

Toutes les plantes produisent des substances toxiques lorsqu’elles sont brûlées

Qu’il s’agisse de tabac, d’une plante du jardin, ou d’une herbe médicinale et bio, lorsqu’une plante est soumise à un processus de combustion, la chaleur provoque la pyrolyse des molécules qui la composent. Ces dernières se brisent et libèrent alors des radicaux libres ainsi que d’autres molécules. 

Dans le cas des plantes, leur combustion produit, toujours, et ce quelle que soit la plante :

  • Du monoxyde de carbone : il provient d’une combustion incomplète de la plante et provoque un risque d’asphyxie et de maladies cardiovasculaires. 
  • Des hydrocarbures aromatiques polycycliques : produits par le phénomène de pyrolyse des végétaux, dont plusieurs sont des cancérogènes avérés. 
  • Du formaldéhyde : là encore un cancérogène, provenant de la recombinaison des molécules contenant du carbone, de l’hydrogène et de l’oxygène. 
  • De l’acroléine : particulièrement irritant pour les voies respiratoires et dont la production provient de la dégradation des graisses et huiles contenues dans les plantes.
  • Des particules fines : qui sont des résidus de combustion qui pénètrent les poumons et peuvent provoquer diverses maladies. 

Et toutes ces substances nocives ne représentent que celles qui se produisent lors de la combustion d’un végétal quelconque ! Il faut ajouter à cette liste toutes les nouvelles molécules qui se créent lorsque d’autres se combinent sous l’effet de la chaleur. Parmi elles peuvent se trouver des terpènes, responsables de la production d’aldéhydes toxiques, ou encore des composés phénoliques qui se transforment à leur tour en d’autres molécules, dont plusieurs sont irritantes, et certaines cancérogènes. 

Brûler une plante produira donc toujours des substances toxiques, quand bien même il s’agit d’herbes médicinales ou biologiques, comme des cheveux de maïs, de la damiana, de la calendula ou de la menthe nanah .

Tous les inconvénients de la combustion, sans les avantages de la nicotine

L’autre fait marquant de Oui’garette concerne, une fois encore, la composition de ses produits. En plus d’avoir retiré le tabac, l’entreprise a également cru bon de retirer la nicotine. Pourtant, la nicotine est le principal allié d’un fumeur en quête de sevrage tabagique

Dans le cadre du tabagisme, la dépendance qui se développe est à la fois physique, notamment par le biais de l’activation des récepteurs nicotiniques, et psychologique, puisque l’acte de fumer devient rapidement associé à des moments ou des sensations particulières, au point de devenir un rituel.

Si de nombreux mécanismes sont à l’œuvre pour expliquer la dépendance au tabagisme, le principal reste la présence de nicotine, une molécule qui, lorsqu’elle atteint le cerveau, le stimule et déclenche la libération d’endorphines. Ce n’est pas pour rien que les substituts nicotiniques, comme les patchs ou les gommes à mâcher contiennent de la nicotine ! La présence de cette substance est nécessaire dans la grande majorité des cas de sevrage tabagique. 

En proposant des produits sans nicotine, Oui’garette retire aux fumeurs la substance qui offre pourtant les meilleures chances de réussir à arrêter de fumer. Car si certains fumeurs parviennent à un sevrage tabagique sans elle, ils sont minoritaires. Par exemple, le taux de sevrage tabagique sans aucune aide ni produit de substitution peine à atteindre les 5 %. Et dans le cas du suivi d’une thérapie cognitive et comportementale, sans substitut nicotinique, ce taux ne dépasse pas les 15 %. Autrement dit, sans produit contenant de la nicotine pouvant servir de béquille lors du sevrage tabagique, entre 85 et 95 % des fumeurs ne parviennent pas à arrêter de fumer selon la bibliographie scientifique accumulée jusqu’à présent. 

Un discours qui prête à confusion

Preuve supplémentaire de l’audace de l’entreprise, sur son site officiel, le fondateur s’est fendu d’une vidéo expliquant que « la nicotine est saine pour la santé » et que, dans les cigarettes, « ce n’est pas la nicotine le problème, c’est le tabac ». Pourquoi la retirer dans ce cas ? 

Notons également que, dans cette vidéo, Louis Hamm va beaucoup plus loin que seulement indiquer que la nicotine n’est pas le problème dans les cigarettes de tabac. Le fondateur de Oui’garette y explique aussi que « la nicotine apporte une amélioration significative au niveau du cerveau » et que les personnes qui consomment de la nicotine « ne vont sûrement pas développer Alzheimer ». Pour étayer son propos, Hamm prend l’exemple de sa marraine qui aurait fumé jusqu’à ses 75 ans et arrêté il y a deux ans. Selon lui, à cause de ses 25 cigarettes par jour, cette dernière aurait développé « des problèmes respiratoires » et, depuis peu, « des troubles neurologiques comme un début d’Alzheimer et de Parkinson ». Il note que, si « les cigarettes et le tabac » seraient responsables de ses problèmes respiratoires, « la nicotine l’a préservée des troubles neurologiques pendant toutes ces années où elle fumait ».

« C’est pour ça qu’il est recommandé de consommer environ 5mg de nicotine par jour, surtout après 40 ans, car les personnes qui fument attrapent des cancers mais elles ne développent pas Alzheimer ni Parkinson », car la nicotine serait « neuroprotectrice », conclut-il. 

Certes, ce n’est pas elle qui est directement responsable des nombreuses maladies liées au tabagisme, mais sa consommation n’en reste pas totalement anodine pour autant puisqu’elle entraîne une augmentation de la fréquence cardiaque et de la pression artérielle. De plus, affirmer que la nicotine protège de certaines maladies peut également soulever certaines questions juridiques. 

Si l’intention derrière Oui’garette pouvait sembler louable, en proposant une solution sans tabac ni nicotine, elle interpelle énormément sur la manière dont sont présentés les mécanismes de la dépendance et les risques liés à la combustion.


1 Bak JH, Lee SM, Lim HB. Safety assessment of mainstream smoke of herbal cigarette. Toxicol Res. 2015 Mar;31(1):41-8. doi: 10.5487/TR.2015.31.1.041. PMID: 25874032; PMCID: PMC4395654.

Annonce