Un nouvel article nous détaille les méfaits, que dis-je ? Les horreurs, que dis-je ? Les abominations du vapotage. C’est fin et délicat, ça nous vient du sud en importation directe de Hollande, et ça se savoure comme un Gouda bas de gamme accompagné d’un verre d’eau du port d’Amsterdam.
Le difficile métier de journaliste
Bon, par où commencer ? Un gamin. Il vapote. Il vomit du sang. Des litres de sang. Hôpital. Docteur inquiet. Maman affolée. Criminel désigné : c’est la vape. Presse française informée. Public averti. Ulcère du journaliste du Vaping Post aggravé. Histoire résumée.
Voyez-vous, il y a un problème, et un problème grave. Ce problème, c’est qu’une majorité considérable, et chaque jour plus élevée de la population, se défie des journalistes. Et lesdits journalistes de se confondre en lamentations tout en avertissant du danger effroyable pour la démocratie qu’est le fait de ne plus les croire.
Mais à leur décharge, les journalistes sont tellement saturés d’informations importantes qu’ils doivent sélectionner, faire le tri, et choisir les informations cruciales à apporter au public.
Ainsi, cet article du Midi Libre, reprise d’une news de RTL Nieuws, et qui raconte l’histoire tragique du jeune homme narrée en introduction. Il a fallu faire des choix.
Choisir, c’est renoncer
Le premier choix a été d’évacuer le contexte : la Hollande et la Belgique sont actuellement en guerre contre la vape au niveau européen, et ne reculent devant rien pour obtenir sa peau, y compris à une propagande intensive et, n’ayons pas peur des mots, putassière. Ce serait bien de le savoir, peut être pour comprendre pourquoi cette histoire bénéficie d’une telle exposition, et s’interroger sur le nombre de questions gênantes qui ne sont pas posées.
Le second choix a été d’éliminer une information, sans doute jugée peu importante, qui est que les médecins n’ont toujours pas identifié ce dont a souffert ce jeune homme (qui s’appelle Robin) et que c’est un mystère encore aujourd’hui, six mois après son hospitalisation, au point que des experts dans des hôpitaux étrangers ont été sollicités.
« Mais c’est la vape », a décrété l’hôpital. Non, vous ne rêvez pas : ils ne savent pas ce que c’est, mais ils savent quand même ce que c’est. On hésite entre leur donner le Nobel ou les radier de l’Ordre, à ce stade.
Ce qui est étonnant, c’est que personne ne semble ne serait-ce que hausser un sourcil face au récit digne d’un film gore de série Z. Comme par exemple, ce passage terrifiant où le jeune sujet vomit des litres de sang et où le docteur fait une mine sinistre en voyant la vidéo que la maman de la jeune victime lui a envoyée et lui conseille de conduire son fils à l’hôpital.
C’est vrai qu’on manque de recul sur la vape, après tout, ça ne fait que vingt et un ans qu’elle est disponible dans le commerce, quinze à grande échelle. Mais si, au cours de ces quinze dernières années, des millions de personnes à travers le monde s’étaient mises à « vomir des litres de sang », il n’est pas incongru de penser que quelqu’un s’en serait aperçu.
En un mot : tout, dans cette histoire, devrait faire sonner l’alarme dans l’esprit d’un journaliste qui est, en principe, curieux par nature. Mais rien, juste un peu de tournures de phrases au conditionnel, on ne va quand même pas chercher à en savoir plus pour si peu.
Renoncer, c’est choisir
Si peu, c’est l’image que cela va donner dans l’esprit d’un public déjà très mal informé sur le moyen de sevrage le plus efficace contre le tabagisme. Lequel tabagisme tue un fumeur sur deux. Il y a actuellement seize millions de fumeurs en France. Si peu, c’est huit millions de morts évitables.
Une information traitée avec tellement de légèreté que le rédacteur ne s’est même pas donné la peine de se relire avant de faire un copier-coller :
Texte descriptif accompagnant la vidéo qui résume l’article du Midi Libre, comprenant un prompt IA
Le public rejette de plus en plus en plus le journalisme. Mais le travail du journaliste, justement, est de tout faire pour ne pas leur donner raison. C’est vrai que cette défiance face à la presse est dommageable pour la démocratie, qui nécessite, pour prendre les meilleures décisions, des opinions éclairées. Mais à quel point la démocratie est elle en danger quand c’est l’information elle-même qui devient le danger ?