Agnès Buzyn, ministre de la santé française, s’est félicitée il y a quelques jours de la baisse historique du nombre de fumeurs en France : moins un million, entièrement dû, si l’on en croit ses déclarations, à l’augmentation du prix du paquet. Elle confond cause et conséquences, mais pourrait invoquer Aristote. Ce qui serait une pire erreur encore.

Le million, le million (recasage d’intertitre)

Ainsi, interrogée lors d’une conférence de presse à propos de la baisse d’un million de fumeurs en France, Madame Agnès Buzyn, Ministre de la Santé française, l’a expliqué : c’est grâce au paquet à dix euros, aux augmentations déjà effectives et à la perspective de voir le prix du tabac se hisser à celui d’un métal précieux, à peu de choses près.

Bien entendu, la planète vape s’est offusquée : comment, elle ne parle que des causes, pas des moyens. Effectivement, la perspective de payer dix euros un paquet de tabac motive les fumeurs à arrêter. Mais ceci explique le pourquoi, pas le comment. Et tout le monde de crier au mépris de la vape et au n’importe quoi politique.

En réalité, Madame Buzyn a potentiellement raison, mais à une seule condition : qu’elle n’ait pas répondu sous un biais pragmatique, mais métaphysique. La ministre aurait donc discrètement glissé un clin d’œil complice à tous ces jeunes qui passeront l’épreuve de philo du bac d’ici quelques jours, leur donnant l’occasion de réviser la théorie aristotélicienne de la causalité.

Aristote, ce célèbre inconnu

Aristote

Qui mieux, en effet, que le Docteur Agnès Buzyn pour évoquer de façon subliminale Aristote, un des plus importants penseurs de l’histoire, et qui considérait que l’étude de la philosophie ne devait faire qu’une avec celle de l’ensemble des sciences ?

Et ça tombe bien : Aristote a développé une étude des causes qui a été compilée et baptisée théorie aristotélicienne de la causalité. Pour faire simple (les puristes et autres experts ès philosophie me pardonneront ma simplification extrême), la cause d’Aristote est plus complète que la cause telle que nous l’entendons.

Elle inclut à la fois la cause matérielle, la cause formelle, la cause motrice et la cause finale. Prenons un peintre au bord de mer comme exemple, parce que c’est un des exemples les plus utilisés. De notre point de vue, il peint un tableau à cet endroit parce que la lumière est bonne et le paysage joli. C’est la cause.

Mais pour Aristote, cela ne suffit pas. Lui prend le tableau dans sa globalité, et va le décomposer en différentes causes : il y avait une bonne lumière et un beau paysage, un peintre se trouvait là, il avait une toile, des pinceaux et de la peinture, et il y a quelque part un mur auquel ce tableau peut être accroché. Le peintre est la cause efficiente, la peinture, le pinceau, la toile, le paysage, la lumière, etc. sont les causes efficientes instrumentales.
Sans ces éléments, vous ne verriez pas le tableau précisément à l’endroit où vous êtes en train de le regarder, donc tout ce qui précède est la cause du tableau.

On aurait pu dire « Bien joué, Madame Buzyn », oui, mais d’une part, nous ne saurions tolérer de nous même une telle familiarité avec une Ministre de la République, et ensuite, même avec l’aide d’Aristote, elle aurait mieux fait de s’abstenir.

Deux points, pour l’encre et le temps passé

Passons à la notation de la copie de Madame Buzyn :

Un million de fumeurs en moins en France grâce au paquet à dix euros : nous avons ici l’objet, un million de fumeurs en moins, et une cause matérielle, le paquet à dix euros. D’accord. Et ensuite ? Parce qu’en philosophie, on peut se permettre beaucoup de chose, mais « abracadabra » au milieu d’une démonstration n’est pas toléré.

Considérons ici le corrigé :

Le paquet à dix euros encourage les fumeurs à vouloir arrêter de fumer, c’est une cause finale : arrêter de fumeur pour ne pas payer son paquet dix euros. Pour atteindre cet objectif, le fumeur se tourne vers une solution qui, entre toutes, a sa préférence, la vape, c’est la cause formelle, son plan d’action pour y parvenir. Il a besoin pour cela d’une batterie, d’un atomiseur et d e-liquide, et nous avons bien, si vous comptez, trois causes matérielles. Mais, il manque quelque chose, non ? Oui, pour tout cela, il manque un individu, qui arrête le tabac pour passer à la vape, en suivant scrupuleusement le plan et l’utilisation du matériel, et qui franchit le cap transitoire entre fumeur et vapoteur, donc non-fumeur, c’est la cause efficiente.

Conclusion : citer Aristote sans ostentation est certes intelligent et élégant, malheureusement, les trop nombreuses lacunes dans la démonstration ne sont pas acceptables. Note finale : 4/20.

Cet article d’opinion n’engage que le point de vue de son auteur et ne représente pas forcément l’avis de la rédaction.
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