Pour la même durée d’utilisation, la cigarette électronique délivre-t-elle plus, ou moins de nicotine qu’une cigarette traditionnelle ?

Décidement Konstantinos Farsalinos ne chôme pas, après la publication de sa récente étude sur la cytotoxicité de la vapeur le voici de retour avec un document scientifique sur les comportements des vapoteurs et leur consommation de e-liquide.

Avertissement La présentation qui suit est issue de ma propre interprétation. Il ne s’agit pas d’un avis scientifique. Pour vous faire votre propre idée, merci de vous reporter au document officiel situé en bas de page.

Comprendre les vapoteurs pour mieux étudier et mieux réglementer

Le but de l’étude est de :

  • comprendre comment les vapoteurs utilisent la cigarette électronique en comparaison aux fumeurs (temps des bouffées, inspiration, expiration …) et aux utilisateurs d’inhalateurs de nicotine (médicament)
  • comprendre la proportion de nicotine qui est en jeu dans les équivalences e-liquide / cigarettes au tabac

Et d’apporter des éléments de réflexion en vue de :

  • définir des protocoles scientifiques pour les futures études qui concerneront la cigarette électronique
  • communiquer un avis scientifique sur la limitation du taux de nicotine de 4mg/ml pour les e-liquides comme proposé dans la révision de la Directive sur les produits du tabac en Europe

Pour cette étude 45 vapoteurs et 35 fumeurs ont été recrutés. Chaque participant a été filmé pour mesurer précisément le temps d’inhalation et d’exhalation lors du vapotage ou de l’usage d’une cigarette. La quantité de e-liquide consommé a été évaluée en fonction du poids de l’atomiseur avant et après usage (clearomizer de type Stardust V3), et le taux de nicotine délivré a été mesuré par des calculs standardisés.

L’e-cigarette délivre de la nicotine plus lentement que la cigarette traditionnelle

Formule de calcul du taux de nicotine délivré par l’e-cigarette dans cette étude

Pour une même période d’utilisation et en se basant sur les caractéristiques de l’appareil utilisé dans cette étude, un e-liquide dosé à 20mg/ml de nicotine est nécessaire pour délivrer de la nicotine dans des quantités équivalentes à celles délivrées par une seule cigarette (contenant le niveau maximum de nicotine autorisé sur le marché).
Des e-liquides dosés entre 20.8 mg/ml et 23.8 mg/ml délivreraient 1 mg de nicotine en 5 minutes et 4 mg nicotine en 20 minutes.

Ma question au docteur Farsalinos

Question : D’après votre étude, les vapoteurs semblent consommer plus lentement de la nicotine qu’un fumeur de cigarette traditionnelle ou qu’un utilisateur d’inhalateur pharmaceutique. Quel est le ratio de comparaison en terme de délivrance ?

Réponse: Les inhalateurs de nicotine sont faits de telle manière qu’ils permettent d’obtenir de la nicotine en 20 minutes. Autrement dit, vous inspirez profondément par le dispositif qui comporte une cartouche contenant 10mg de nicotine. En 20 minutes d’utilisation, ce qui conduit à l’épuisement de la cartouche, 4mg sur les 10 sont livrés à l’utilisateur. Ceux-ci sont fonction de la fiche de données officielle de l’inhalateur de nicotine. Je n’ai pas vu de données montrant combien de nicotine était délivrée en 5 minutes, je suppose que c’est 1/4ème de celle-ci (soit 1mg).

Pour les cigarettes, nous avons la méthode ISO, qui mesure la quantité de nicotine que vous voyez sur le paquet de cigarettes. Cependant, des études ont montré que la méthode ISO sous-estime la délivrance (je mentionne d’ailleurs cela dans mon étude). Vous devez savoir qu’une cigarette peut contenir de 10 à 20 mg de nicotine. La majeure partie est détruite par la chaleur de la combustion, et la méthode ISO (35ml volume de chaque bouffée, 2 secondes de bouffée, 1 bouffée toutes les 60 secondes) mesure ce qui est présent dans la fumée. Le règlement de l’UE à partir de 2001 stipule que la teneur en nicotine ISO maximale mesurée dans les cigarettes devrait être de 1mg.

Ce que je mentionne dans l’étude et qui est important, c’est que la consommation n’est pas égale à la livraison. Par exemple, on sait que la nicotine des cigarettes est absorbée très rapidement et efficacement, alors que l’absorption par inhalateur est moindre (bien que vous inspirez, la nicotine est toujours absorbée par la muqueuse buccale et non dans les poumons).

Une leçon scientifique à l’attention de la commission ENVI

D’après leurs résultats, les chercheurs expliquent que l’apport en nicotine via la cigarette électronique est considérablement réduit en comparaison à la cigarette de tabac et à l’inhalateur de nicotine pour des périodes d’utilisation similaires. Ces éléments devraient être considérés par les autorités de santé publique dans leurs projets de réglementation.

Les conclusions de cette étude ne soutiennent pas la proposition exposée dans le projet de la nouvelle Directive sur les produits du tabac selon laquelle la concentration de 4mg/ml de nicotine apporterait les mêmes quantités de nicotine que les thérapies de remplacement de la nicotine (TRN).

Farsalinos et son équipe ajoutent que les e-liquides à faible teneur en nicotine sont probablement inefficaces pour une substitution au tabagisme, en particulier pendant la période initiale d’utilisation, comme cela a été confirmé par des études montrant que les e-liquides les plus couramment utilisés ont 18 mg / ml de concentration de nicotine.

Les chercheurs craignent que la réduction de la disponibilité de e-liquides efficaces pourrait conduire à une augmentation de la consommation de cigarettes chez les vapoteurs (voire même créer des rechutes chez ceux qui ont complètement substitué l’e-cigarette au tabac fumé).

Réduire la concentration des e-liquides à 4mg/ml de nicotine compromettrait selon eux la position de la cigarette électronique dans une stratégie de réduction des méfaits du tabac.

Vapoter n’est pas fumer

Ces chercheurs l’ont bien compris : vapoter est très différent de l’acte de fumer. les observations indiquent des différences fondamentales dans les habitudes de consommation entre les deux produits. L’étude a notamment montré que la durée d’une bouffée d’e-cigarette est presque doublée en comparaison à une bouffée de cigarette.

Les auteurs expliquent que cela peut être du en partie au temps nécessaire pour activer correctement l’appareil qui délivre également, de manière générale, moins de “fumée” qu’une vraie cigarette.

A contrario le temps d’inhalation d’une bouffée d’e-cigarette est inférieur à celui d’une bouffée de cigarette. Ce fait peut être expliqué par la dissipation rapide de l’aérosol si l’inhalation est prolongée. Le vapoteur chercherait avant tout une vapeur “dense”, en tirant plus et en gardant moins longtemps la vapeur dans les poumons, ceci afin de recréer une sensation similaire à l’acte de fumer.

L’anecdote de la “vapote furtive” (stealthy vaping) expliquée aux chercheurs par quelques vapeurs assidus recrutés pour l’étude, montre que la rétention prolongée de vapeur dans les poumons peut conduire à l’absence totale de vapeur visible à l’exhalation.

Des limites et des recommandations pour les futures études

Les chercheurs rappellent enfin que les vapoteurs expérimentés utilisent la cigarette électronique de manière plus intensive que les utilisateurs novices, par conséquent, des études cliniques évaluant les effets de la cigarette électronique sur des utilisateurs novices doivent être interprétés avec prudence.

L’idéal selon eux serait d’utiliser, pour des études impliquant des dimensions comportementales, différents profils de vapoteurs pour s’assurer que l’utilisation de l’e-cigarette soit réaliste et que les conditions d’usage normal soient bien respectées.

Enfin les chercheurs indiquent que l’usage de la cigarette électronique étant significativement différent de la cigarette au tabac, des bouffées de 4 secondes avec des intervalles de repos entre 20 et 30 secondes sont nécessaires afin d’éviter une surchauffe du matériel.

Le docteur Farsalinos et son équipe font définitivement avancer notre connaissance scientifique de la cigarette électronique et mettent en exergue par cette étude, l’importance de mettre en place des protocoles standardisés afin d’harmoniser la récoltes de données sur la vapote. Trop d’études publiées jusqu’à présent se contredisent et montrent bien la nécessité de standardiser les protocoles expérimentaux.

La volonté de communiquer avec les autorités de santé publique est un esprit que j’apprécie beaucoup et j’espère pouvoir bientôt remercier chaleureusement Farsalinos et ses collaborateurs pour avoir grandement contribué à la protection du statut de la cigarette électronique en Europe.

 

Références

Farsalinos, K.E.; Romagna, G.; Tsiapras, D.; Kyrzopoulos, S.; Voudris, V. Evaluation of Electronic Cigarette Use (Vaping) Topography and Estimation of Liquid Consumption: Implications for Research Protocol Standards Definition and for Public Health Authorities’ Regulation. Int. J. Environ. Res. Public Health 2013, 10, 2500-2514. – http://www.mdpi.com/1660-4601/10/6/2500

Compléments

Traduction en français du résumé de l’étude par Jacques Le Houezec (consultant en santé publique, spécialisé dans la dépendance tabagique) : Évaluation de la topographie d’utilisation de la e-cigarette et de la quantité de e-liquide utilisée : http://jlhamzer.over-blog.com/evaluation-de-la-topographie-d-utilisation-de-la-e-cigarette-et-de-la-quantit%C3%A9-de-e-liquide-utilis%C3%A9

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