Un ingénieur roumain vient de réaliser un exploit technique surprenant : transformer une cigarette électronique jetable en serveur web fonctionnel. En découvrant qu’une simple puff contenait un véritable microcontrôleur ARM, Bogdan Ionescu a eu l’idée de détourner ce composant pour héberger un site internet. Son projet révèle une réalité fascinante : certains objets du quotidien embarquent aujourd’hui plus de puissance de calcul que les premiers ordinateurs personnels.
Quand les « déchets » se révèlent plus intelligents que prévu
Depuis plusieurs années, l’ingénieur d’origine roumaine récupère les puffs de ses amis. Son objectif est simple : en extraire les batteries pour d’éventuels projets futurs. L’année dernière, alors qu’il démonte des puffs comme à son habitude, quelque chose le frappe. Au lieu de trouver un ASIC (acronyme pour Application Specific Integrated Circuit, c’est-à-dire une puce fabriquée spécialement pour ne remplir qu’une seule fonction), il se retrouve face à un circuit imprimé sur lequel est imprimé PUYA.
10 centimes pour un ordinateur complet
Ses connaissances techniques aidant, il reconnaît immédiatement ce mot, qui est le nom d’un fabricant chinois de puces. Mais le plus intéressant, c’est que, depuis 2021, cette entreprise a mis au point une technologie permettant à ses produits de devenir de véritables petits microcontrôleurs. Parmi eux, le modèle PY32F002B, basé sur ARM Cortex-M0+, est le plus petit et le moins consommateur d’énergie. Pouvant être utilisé dans divers appareils, du simple capteur aux écrans numériques, il se retrouve aussi, désormais… Dans des cigarettes électroniques ! Et la raison est simple : les microcontrôleurs de ce type sont tellement utilisés qu’ils reviennent aujourd’hui moins chers à fabriquer qu’une puce dédiée de type ASIC. Nous parlons de moins de 10 centimes par puce, et dans le cadre d’une fabrication en quantité modérée seulement !
Là où les choses deviennent particulièrement intéressantes pour Bogdan, c’est que ces petites puces, contrairement aux ASIC inutilisables pour une autre tâche que celle pour laquelle elles ont été crée, sont de véritables petits ordinateurs. Elles contiennent un processeur (RISC 32-bits d’une puissance de 24 MHz), de la mémoire Flash (24KB), de la mémoire RAM (3KB), des interfaces de communication, et même quelques périphériques. Bien assez pour héberger un site internet avec un peu d’ingéniosité. À condition de savoir résoudre les quelques problèmes qui se présentent.
L’électronique embarquée dans la puff servant à héberger le site web. En bas à gauche, la puce PUYA. Crédit photo : bogdanthegeek
Les défis techniques d’un projet fou
D’abord, la puce n’a aucun moyen de se connecter à internet. Pas de WiFi, pas de port Ethernet, rien du tout. Il la branche donc directement à son ordinateur à l’aide d’un câble spécial (SWD, ou Serial Wire Debug). La puce est désormais connectée.
Maintenant, il faut réussir à faire communiquer l’ordinateur et la puce, qui ne parlent pas le même langage. Sa solution : le semihosting, c’est-à-dire un système de messagerie « standardisé ». Voyez ça comme un interprète qui permet à deux étrangers de se comprendre. Et voilà que la puce et l’ordinateur peuvent communiquer.
Le problème suivant concerne internet lui-même, qui a besoin de données complexes pour fonctionner. Là encore, Bogdan réussit à contourner l’obstacle grâce à SLIP, un protocole permettant de transformer les paquets internet en suite de caractères. Voyons ça comme l’envoi d’un meuble en pièces détachées. Les pieds et les tiroirs sont envoyés dans des colis séparés, et tout est remonté ensemble à l’arrivée.
Dernier problème et non des moindres : internet a besoin d’énormément de puissance et de mémoire pour fonctionner ! Mais là encore, grâce à uIP, que l’on pourrait qualifier de mini-Internet, tout finit par fonctionner. Pour continuer sur les analogies, disons que si Internet était un camion de déménagement, uIP serait un vélo cargo. Bien plus petit, mais très efficace pour sa taille !
Résultat : une page web entièrement fonctionnelle, sur laquelle l’ingénieur explique les procédés grâce auxquels tout ceci a été rendu possible. Pas mal pour un produit jetable, non ?
Capture d’écran du site internet ewaste.fka.wtf, hébergé sur une puff. Réalisé par BogdanTheGeek.
Le site web peut être visité à cette adresse : http://ewaste.fka.wtf/
Il faudra par contre faire preuve de patience pour réussir à y accéder, le récent succès de cette histoire attirant de nombreux visiteurs. Bien plus que ce qu’une puff peut supporter !
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