Un message du tabacologue Jacques Le Houezec, appelant solennellement à retirer de la vente le kit Istick Pico III, a suscité une avalanche de commentaires. Même si le pharmacologue a ensuite précisé que son post était ironique , il est révélateur d’un malaise profond. Ou se niche la vérité ? Témoignage.

L’histoire des deux magasins

Dans ma ville natale, à proximité de laquelle j’habite toujours, il y a plusieurs magasins de vape. J’en fréquente quelques uns. Deux, tout particulièrement, retiennent mon attention, parce qu’ils sont aux antipodes l’un de l’autre.

Le premier propose au fumeur désireux d’arrêter  des tanks qui descendent si bas dans les ohms qu’ils croisent parfois le sous-marin de James Cameron en train d’explorer la fosse des Mariannes.

Le premier propose au fumeur désireux d’arrêter du matériel ludique. Des boxs clinquantes, avec un, deux, trois, parfois quatre accus, et des tanks qui descendent si bas dans les ohms qu’ils croisent parfois le sous-marin de James Cameron en train d’explorer la fosse des Mariannes.

Le deuxième propose au fumeur désireux d’arrêter du matériel triste. Mais triiiiste.

Le deuxième propose au fumeur désireux d’arrêter du matériel triste. Mais triiiiste. Des box à batteries intégrées ou mono accu, qui vont rarement au-delà des 50 watts, mais le vendeur les verrouille en dessous de quinze, de toute façon. Des atomiseurs dotés de résistances si hautes qu’on n’avait pas vu ça depuis les cartos Boge, il y a longtemps. Des liquides… Euh, liquides, justement, avec une concentration de nicotine importante. Ici, avant d’avoir le droit d’acheter quoi que ce soit, le client doit répondre à un questionnaire exhaustif.

La cigale et la fourmi

Dans le premier magasin, le seul vendeur explique qu’il ne faut pas frustrer les fumeurs, que c’est eux qui ont envie de faire des clouds, que peu importe ce que disent les tristes sires, la vape doit être fun, et il commence souvent ses démonstrations par « Ben moi, j’ai un client qui… »

Dans le second magasin, les trois vendeurs n’expliquent rien, parce qu’ils n’ont pas le temps. Ils sont tout le temps en main avec un client, et malgré cela, il y a la queue jusque sur le trottoir. Quand on parvient enfin à discuter avec les vendeurs, le soir après la fermeture, ils disent « Nos clients, en général… ».

Le vendeur du premier magasin, seul, a tout le temps de s’occuper de ses clients. Il leur fait l’éloge de la vape qu’il utilise lui-même.

Si vous passez suffisamment de temps dans le second magasin, de toute façon, il n’y a pas le choix, il y a trois quart d’heure d’attente pour avoir un flacon de 10 ml, vous voyez revenir des clients qui ont acheté un kit et qui passent se réapprovisionner en résistances et en liquides.

La morale de cette histoire

Le second magasin, interrogé, annonce un taux de fidélisation de 70 % de sa clientèle sur les néo-vapoteurs. C’est à dire que sept clients sur dix qui sont passés acheter un kit dans l’espoir d’arrêter de fumer reviennent ensuite régulièrement acheter du liquide, des résistances… Le tout tracé à l’aide du compte client, chiffres vérifiables, donc. Au passage, un chiffre bien supérieur de défume à celui annoncé dans l’étude dont nous parlions ici.

Nous ne disposons pas des chiffres du premier magasin et nous basons donc uniquement sur un constat empirique de fréquentation.

Qui a raison, qui a tort ? Vous pourrez produire des exemples de magasins promouvant une vape fun comme le premier et fonctionnant très bien, mais la question n’est, au fond, pas là. Le second aussi vend du matériel très très sous les ohms et très très puissant, et c’est, justement, ce qui lui permet d’offrir le choix.

Il y a en effet certains fumeurs qui vont passer à la vape avec une machine à nuages. C’est ce dont ils ont besoin pour faire la bascule, et il n’y a aucune raison de le leur refuser.

La question n’est donc, finalement, pas de savoir s’il faut retirer de la vente, comme le disait en plaisantant Jacques Le Houezec, le Istick Pico III, et ne plus vendre que du T18 d’Innokin. Le marché de la vape, s’il veut obtenir des résultats en terme de santé publique, et donc, justifier son existence, ne doit pas raisonner en terme de vente “one shot”, mais de fidélisation de la clientèle.

La réponse n’est donc pas d’arrêter de vendre du kit Istick Pico III, juste d’arrêter de vouloir en vendre à tout le monde.

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