Tout le monde a des coups de mou, des envies d’ailleurs, de voir autre chose, de connaître d’autres gens. L’envie de tout envoyer balader et de changer de vie. Absolument tout le monde. Même Maîtresse Sévère.

Le spleen de la domina

« Je vous préviens ! Si vous la touchez, de quelque manière que ce soit, si vous y pensez, même, si vous esquissez le moindre geste dans sa direction, je vous apporte l’enfer. Vous connaîtrez un déferlement de violence et de malheur comme personne n’en a connu dans l’histoire des hommes ! ».

J’étais resté sur le seuil de la porte, à écouter ce petit discours, et ne pus contenir un frisson. « Bien le bonjour, Madame Sévère ! Que faites vous donc ? ».

Elle se tourna vers moi : « Bien le bonjour à vous, Monsieur du vendredi, figurez vous que je travaille à ma reconversion professionnelle ».

Je haussais un sourcil surpris. « Votre reconversion ? Vous ? ».

Elle se laissa tomber sur un pouf de cuir rose, et poussa un énorme soupir. Ses épaules s’affaissèrent, son regard erra sur le sol, et, soudain, je réalisais que j’assistai à un moment que peu de mortels avaient contemplé auparavant : un instant de faiblesse de Maîtresse Sévère. En ami véritable, j’allais chercher une chaise, et m’assis à ses côtés. « Vous voulez en parler ? ».

« Oh, ce n’est pas compliqué, très cher » elle s’était déjà relevée, et s’affairait à préparer du café. « Tous ces dos, tous ces fessiers, au bout d’un moment, finissent par tous se ressembler. Tant en arrivant, lisses et roses, et en repartant, zébrés par mes coups de fouet et de cravache ». Elle me tendit une tasse. Le café de Maîtresse Sévère vaut le détour, croyez moi. « Alors, j’ai essayé de varier les plaisirs, de faire des dessins avec mes coups de fouet ». Elle me montra une photo.

« C’est… Euh… Intéressant, c’est quoi ? » demandais je prudemment.

« La Joconde » soupira-t-elle « j’ai fait les cheveux au chat à neuf queues ».

« C’est intéressant », répétais-je, ne sachant pas trop quoi dire. Mentalement, je pris note, si un jour je devenais réalisateur de films d’horreur, de demander ses photos à Maîtresse Sévère. Encadrées, elle feraient un très joli décor dans la maison de la famille de tueurs cannibale. « Mais je comprend. Et ce discours que vous faisiez en arrivant ? Dans quoi voulez-vous vous reconvertir ? ».

(Image : Dall-E4)

Elle eut un petit sourire « dans la vape. Pardon, j’ai mis du sucre par erreur dans votre café ? ».

J’essuyai de mon mieux à l’aide d’un morceau d’essuie tout attrapé à la volée le café que je venais de recracher violemment. « Non… La vape ?!? Vous ?!? ».

« Ben oui. Vous avez l’air surpris ! Pourtant, nos soumis respectifs ne sont pas si différents les uns des autres ».

A nouveau, je haussais un sourcil interrogatif. « Mais, je n’ai pas de soumis. Ni de soumises ».

A son tour, elle arbora un air perplexe : « Mais, comment vous les appelez, vous, alors ? ».

« Et bien… Des Fumeurs. Des vapoteurs. Des anciens fumeurs. Dans cet ordre ».

Elle soupira. « J’ai encore du travail, il faut que j’apprenne le jargon. Bon, d’accord, des vapoteurs. Mais, si vous y réfléchissez bien, on fait le même métier. Voyons, vous les faites souffrir ! ».

« Pas du tout, Madame ! ».

« Vous les menacez ? »

« Pas du tout, Madame ».

Elle me regarda, de plus en plus perplexe « Mais… Vous les frustrez ? Vous les menacez des pires maux si ils retouchent une cigarette ? Vous leur ordonnez de vous obéir en tout sans discuter ? ». Me voyant faire « non » de la tête, elle interrogea finalement : « mais… Vous faites quoi, alors ? ».

« Et bien, je les écoute, je les conseilles, je les accompagne. Et même si je leur dresse un tableau saisissant de ce qui leur arrivera si ils continuent de fumer, ce n’est pas de la menace. C’est la sinistre vérité ».

Après un instant de réflexion, elle finit par énoncer sa conclusion : « Tout cela a l’air terriblement ennuyeux ».

Je me redressai fièrement : « Pas du tout ! Il reste du café ? ».

« Bien sûr ». En m’en servit une nouvelle tasse. « Mais et vous ? ».

« Moi ? »

« Oui, vous. Vous me dites souvent que quelques uns des clients que vous voyez le samedi dans la boutique où vous travaillez pour écrire les ‘’Chroniques du shop’’ du Vaping Post, ma rubrique préférée au passage, sont pénibles, qu’ils n’écoutent rien, qu’ils ne veulent pas vraiment arrêter de fumer au fond mais juste se donner un alibi, et tous ces gens, qui malgré le travail que vous faites, vos collègues et vous, qui n’arrêtent pas de raconter n’importe quoi, tout cela ne vous donne jamais envie de tout laisser tomber ? ».

Je réfléchis profondément, avant de répondre : « Non ».

Elle réfléchit un instant, puis me dit « vous savez, dimanche matin, je reçois une jeune femme délicieuse qui vient se faire administrer une sévère punition. Si vous avez besoin de vous défouler, je vous laisse volontiers m’assister. Vous pourriez la fouetter en pensant à tous ces pénibles… ».

Je ris « Vous êtes impayable, Madame Sévère ! Merci pour l’offre, j’apprécie, mais non merci ».

Maîtresse Sévère ajouta d’une voix très, très douce, comme pour elle-même « Une jeune femme absolument délicieuse. Dommage qu’elle dégage toujours cette odeur de cendrier froid. Mais bon, comme elle le dit elle-même, au moins, la cigarette, on sait ce qu’il y a dedans. Pas comme la vape ».

Je me levais. « Je dois y aller, Madame, il se fait tard. A dimanche matin. J’apporte les croissants ».

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