En circulation en France depuis l’automne 2021 et désormais sur le devant de la scène médiatique depuis la publication de l’article du Parisien début janvier, les puffs ou vapoteuses jetables viennent chambouler le monde de la vape. Elles divisent les professionnels du secteur et sont attaquées par les acteurs de santé qui défendent habituellement le vapotage. Ce “phénomène” serait-il malgré lui en train de redéfinir les contours de la vape ? Au-delà du nécessaire débat sur les puffs dans le cadre du sevrage tabagique, voici l’exposé du point de vue d’un défenseur de la vape auprès du pouvoir politique.
Il n’y a pourtant rien de nouveau dans ces vapes jetables. Elles étaient déjà vendues en Europe au début des années 2010, avant de disparaître progressivement au profit des systèmes ouverts. Le contexte, en revanche, a bien évolué. Alors qu’à l’époque de leur première apparition la vape était en train de s’inventer, en pleine expansion et en proie aux innovations permanentes, elle est désormais strictement réglementée, régulièrement attaquée, et en proie à un encadrement plus sévère encore. C’est dans ce climat inquiétant que la puff fait son grand retour, jouant dangereusement avec les limites de notre catégorie de produits.
1re limite : la perte du soutien des acteurs de santé
C’est l’un des piliers de la défense de la vape en France. Les nombreux addictologues, tabacologues et médecins qui prennent régulièrement la parole publiquement pour valoriser le vapotage en tant qu’outil d’aide à l’arrêt du tabac participent à sa crédibilisation, tant auprès des autorités sanitaires qu’auprès du public fumeur qu’il cherche à atteindre.
Pourtant, force est de constater que la puff constitue la limite que ces professionnels ne sont pas prêts à franchir. La raison ? La peur de l’initiation des plus jeunes à la nicotine. Le Pr Bertrand Dautzenberg, qui défend ardemment la vape dans les médias depuis des années, a tenu les propos suivant au sujet de la Puff sur Europe 1 : “Il faut faire tout ce que l’on peut pour empêcher que ce produit se répande, ce produit est un produit toxique.” Même son de cloche auprès du Pr Amine Benyamina sur BFMTV : “C’est absolument dramatique, c’est tout ce qu’il ne faut pas faire. […] On a affaire à tout le contraire de l’esprit du vapotage”, alors qu’il signait quelques jours plus tôt dans le Mondeune tribune en soutien du vapotage.
2e limite : la déconstruction du concept de réduction des risques
Il s’agit de la notion centrale et fondatrice du vapotage qu’il convient de rappeler : tout produit du vapotage, quel qu’il soit, est préférable au tabac. Toujours, et en toutes circonstances. Alors même que la puff s’inscrit dans cette réalité, cet attribut lui est souvent refusé quitte à perdre toute rationalité sur le sujet, et c’est bien tout le problème.
Ce qui classe la puff dans la catégorie des infréquentables est son succès auprès des adolescents, y compris auprès de ceux qui n’ont jamais touché une cigarette. Il est clair que la vape ne s’adresse qu’aux fumeurs, et ne peut pas a priori constituer un outil de réduction des risques pour les non-fumeurs.
Pour autant, n’est-il pas préférable qu’un jeune dont la trajectoire l’aurait amené au tabac s’en détourne au profit de la puff ? Cette question, traitée de façon plus générale dans le rapport du HCSP (Haut Conseil de la santé publique), y trouve sa réponse, et c’est un grand oui : “si la vape permet de diminuer ou de retarder l’entrée dans le tabagisme, les risques sont à mettre en regard avec les risques liés à la consommation tabagique. Autrement dit, même si la vape présentait des risques sanitaires, ils seraient probablement inférieurs à ceux liés au tabac du fait de l’importance de ces derniers. Dans une perspective de réduction des risques au niveau de la santé publique, on pourrait ainsi considérer leur usage comme préférable à celui du tabac.”
Mais ce discours, pourtant appuyé par les résultats de plusieurs études réalisées en France, est absolument inaudible, voire contre-productif. En la matière, l’exemple américain est particulièrement criant : la Juul, qui a pourtant permis au travers de son “épidémie de vapotage” dans les lycées d’atteindre le plus bas niveau de prévalence tabagique chez les jeunes Américains depuis des décennies, a également sonné le glas de la vape outre-Atlantique. Interdiction des arômes, passage par la FDA, perte totale de crédibilité auprès des autorités… La vape a payé très cher cet épisode, qui n’a connu face à elle qu’hystérie et remise en question de son rôle en tant qu’outil d’aide à l’arrêt du tabac et de réduction des risques.
3e limite : l’élargissement des canaux de distribution et le risque des mauvaises pratiques
La catégorisation de la vape en tant que produit de consommation courante est une victoire obtenue de haute lutte au moment de l’adoption de la TPD en 2014, et il s’agit d’un statut qu’il faut protéger et pérenniser. En dépit de la possibilité offerte à l’ensemble des acteurs économiques de se saisir de ce produit, la vape n’était jusqu’alors distribuée qu’au travers de trois canaux : les boutiques spécialisées, la vente en ligne, et les buralistes.
La puff est venue casser ce triptyque traditionnel en s’ouvrant plus largement à la grande distribution et la vente via les réseaux sociaux, avec son lot de contreparties désavantageuses pour la vape. L’absence de contrôle de l’âge au travers de ces canaux pose la question de l’accessibilité du produit, au cœur de la polémique qui touche les jeunes aujourd’hui. Cette nouvelle forme de distribution pose également la question du rôle que doit jouer le conseil lors de la vente de produits du vapotage, pourtant jugée primordiale par les professionnels de la vape et de santé.
La puff serait-elle la vape de trop ?
Malgré les critiques constantes dont fait l’objet le vapotage, la filière a tout de même connu une relative stabilité depuis la transposition de la directive en 2016. Cet équilibre repose notamment sur des fondamentaux, que la puff vient aujourd’hui affaiblir : soutien des acteurs de santé, notion de réduction des risques et expertise de la distribution spécialisée.
Cette innovation aurait pu représenter une opportunité formidable de créer une première génération sans tabac, mais le contexte politique actuel ne s’y prête pas. Et lorsque l’on doit faire le bilan du bénéfice/risque de la puff pour l’ensemble de la vape, et avant même d’aborder l’ineptie écologique qu’elle représente ou encore le sujet des arômes, il semble que le risque de jeter l’opprobre sur l’ensemble de notre catégorie de produit l’emporte.
Gaëtan Gauthier, délégué général de la Fivape