Un fabricant français de e-liquide a souhaité nous faire part de ses remarques sur la récente étude américaine qui a été largement médiatisée ces dernières 48h. Nous lui donnons ici la parole sans intérêts financiers.

Analyse critique de l’article « Hidden Formaldehyde in E-Cigarettes Aerosols » publié dans The New England Journal of Medicine

Les Laboratoires Xérès ont pris connaissance de l’article publié dans le New England Journal of Medicine par D.H. Peyton & coll. et souhaitent apporter de nombreuses réserves sur le contenu scientifique de cet article.

Pour rappel, notre laboratoire est composé entre autres de deux chimistes spécialistes de la chimie organique et le développement de nos e-liquides s’appuie entre autres, sur des expertises scientifiques du CNRS et des évaluations toxicologiques. En outre, nos travaux de Recherche et Développment se sont appuyés sur plusieurs techniques analytiques et en particulier sur la Résonnance Magnétique Nucléaire (RMN) (www.Ilixir.fr).

La lecture de l’article publié sur The New England Journal of Medicine appelle de notre part à une très grande réserve scientifique, notamment sur les conclusions avancées par les auteurs et qui sont pour certaines totalement fantaisistes.

1 – Rapport critique relatif aux conditions expérimentales

Les auteurs ont tout d’abord omis de présenter en détail le protocole expérimental, ce qui appelle de notre part de nombreuses questions :

– Quelle est la caractéristique de la résistance utilisée (Ohm, simple coil, double coil …) ?

La formation potentielle de formaldéhyde est en effet fortement conditionnée par la puissance générée et non par le voltage, paramètre directement lié à la nature du matériel utilisé. Les auteurs ont à priori réalisé leurs tests sur un voltage variant de 3,3 volts à 5 volts. Aussi, avec une hypothèse d’une résistance de 1,5 ohms, la puissance délivrée par un vaporisateur personnel peut varier de 7,26 watts à 16,6 watts. Les cigarettes électroniques sont très rarement réglées sur de telles puissances qui reflètent plutôt des conditions extrêmes d’utilisation ou de mésusage. Les plages d’utilisation préférentielles se situeraient plutôt autour de 7 watts c’est-à-dire à de faibles voltages (entre 2,8 et 3,3 volts pour une résistance de 1,5 ohms), pour lesquelles les risques de formation de formaldéhyde sont très réduits (Cosmider et al. en 2014).

– Comment sont générés les aérosols (machine à vapoter standardisée ? Machine à fumer ? Appareillage « maison ») ?

Il est en effet essentiel de bien calibrer les conditions de vaporisation de l’aérosol afin que ces dernières reflètent le plus fidèlement possible les conditions d’utilisation d’une cigarette électronique. On note qu’aucune référence relative au clearomiseur utilisé n’est apportée par les auteurs.

2 – Rapport critique relatif à la méthode d’analyse utilisée

2.1 Pertinence de la méthode d’analyse mise en œuvre

Les auteurs ont utilisé la résonnance magnétique nucléaire du proton (H-NMR) comme méthode de quantification des donneurs de formaldéhyde, lesquels seraient issus de la réaction du formaldéhyde sur le propylène glycol (PG) et/ou le glycérol. La méthode utilise un étalon interne censé permettre la quantification des donneurs de formaldéhyde.

Aussi, sur un plan purement méthodologique, nos remarques sont les suivantes :

– il est bien connu des chimistes analystes que cette méthode est plutôt utilisée pour estimer le niveau de pureté d’une substance organique présente en concentration élevée dans un échantillon, ce qui n’est pas le cas dans la présente étude (SK Bharthi, R. Roy. Quantitative 1H NMR Spectroscopy. Trends in Analytical Chemistry, Vol. 35, 2012)

– la précision de la RMN du proton est inférieure ou égale à 2% (Barthi & coll), ce qui est très en dessous des méthodes généralement mises en œuvre par les analystes pour doser en particulier des concentrations de l’ordre du microgramme telles qu’évoquées dans la publication. La chromatographie couplée à la spectrométrie de masse aurait été plus indiquée puisque la précision d’un donneur de formaldéhyde aurait été dans ce cas 1000 fois supérieure (de l’ordre de 0,001 %) ;

– pour quantifier des composés dans un mélange par RMN, on utilise plutôt un étalon externe (Barthi & coll) ou encore de façon préférée et plus actuelle, un couplage de la RMN du proton et du carbone 13 (http://www.sciences.univ-nantes.fr/CEISAM/index.php?page=210&lang=FR#1a) ;

– la nature de l’étalon interne utilisé ainsi que le protocole d’étalonnage ne sont pas présentés dans ladite publication ou son appendice. On ne peut donc juger des critères permettant d’évaluer le niveau de confiance de la méthode mise en œuvre : précision, robustesse, répétabilité. On note cependant sur la figure 1, que l’incertitude sur les résultats discutés est de l’ordre de ± 7 mg de formaldéhyde/jour, soit 50 % de la valeur maximale mesurée ! Une analyse statistique des résultats (valeur de p d’une méthode ANOVA par exemple) aurait très certainement démontré que les valeurs présentées ne sont pas statistiquement significatives ;

– la RMN du proton n’est pas suffisante à l’identification de la structure moléculaire des donneurs de formaldéhyde qui se seraient formés. Il aurait fallu lui adjoindre une analyse par spectrométrie de masse. La formation de ces composés ne demeure donc à ce stade qu’une hypothèse.

Par conséquent, de notre point de vue, les auteurs n’ont pas choisi les méthodes les plus adaptées et bien connues de l’homme de l’art, pour déterminer la nature des produits formés ainsi que leur niveau de concentration dans les e-liquides étudiés. Les valeurs présentées présentent par ailleurs une grande variabilité et ne sont probablement pas statistiquement significatives. La formation des donneurs de formaldéhyde évoqués par les auteurs n’a pas été démontrée.

 2.2 Pertinence des interprétations des résultats fournies par les auteurs

De notre point de vue, l’interprétation des spectres RMN apparaît incomplète et erronée pour les raisons suivantes :

– les spectres RMN ne sont pas présentés dans leur globalité (protons résonnant de 4,5 à 7 ppm uniquement) alors que certaines zones (3 à 4,5 ppm) auraient pu aider à supporter les hypothèses des auteurs ;

– les auteurs ne supportent leurs assertions que sur un seul type de protons (protons β), lesquels d’après eux sont caractéristiques de la forme acétal issue de la condensation du formaldéhyde sur le propylène glycol ou le glycérol. Or, cette réaction ne conduit pas une seule famille de protons caractéristiques mais à 3 comme l’indique la figure suivante obtenue par un logiciel de modélisation moléculaire :

Figure 1

Il s’agit des protons présentant les déplacements chimiques à 4,12 ; 5,61 et 3,63 ppm. En absence de leurs congénères, les seuls protons β ne peuvent démontrer la formation d’une fonction acétal. Les conclusions des auteurs ne sont donc pas scientifiquement supportées ;

– le proton α à 6,2 ppm ne correspond pas à un proton d’une fonction alcool, ni d’après les tables théoriques et ni d’après les logiciels de calcul et de modélisation moléculaire (voir figure ci-dessus). La valeur calculée pour le proton α est bien inférieure à 5 ppm (4,12 ppm). Par conséquent, les interprétations des auteurs relativement à la nature du proton α sont erronées ;

– de plus, la forme et la constitution des pics obtenus par analyse RMN, apportent des informations sur l’environnement moléculaire des protons de la molécule, informations utiles à la détermination de la structure de la molécule considérée. Aussi, il est troublant de constater que les protons β conduisent à un massif complexe constitué de plusieurs pics alors qu’en théorie, ils auraient dû apparaître sous la forme d’un seul pic (2H). De façon identique, le proton α (fonction alcool) doit conduire à un pic unique (1H) et non à un triplet. Là encore, ces observations confirment que les interprétations des spectres RMN sont tout à fait erronées et que les protons α e tβ ne peuvent être attribués à ceux des molécules supposées par les auteurs ;

– les auteurs font buller à température ambiante (25°C) du formaldéhyde dans un e-liquide. Ils observent alors que de nouveaux pics apparaissent. D’après eux, il s’agirait de produits issus d’une réaction d’acétalysation du propylène glycol et/ou du glycérol par le formaldéhyde. Or, cette interprétation nous laisse perplexe. En effet, il est généralement reconnu en chimie organique que cette réaction n’a lieu que si 1) la réaction est catalysée (par un acide ou une base) et 2) si elle est réalisée en présence d’un agent déshydratant et 3) généralement en chauffant le milieu réactionnel (http://www.organic-chemistry.org/protectivegroups/carbonyl/dimethylacetals.htm).

Aussi, le formaldéhyde forme un acétal avec le propylène glycol dans des conditions réactionnelles drastiques de synthèse et en utilisant des réactifs spécifiques (M. Guiso, C. Procaccio, M.R. Fizzano, F. Piccioni. Methylene Acetals as Protecting Groups – An Improved Preparation Method. Tetahedron Letters, Vol. 38, pp 4291-4294, 1997). Ces réactifs ne sont bien évidemment pas présents dans les e- liquides. Par conséquent, le bullage de formaldéhyde à température ambiante dans le e-liquide testé ne peut conduire à la formation des donneurs de formol décrits dans l’étude.

3 – Rapport critique relatif aux aspects toxicologiques

Il est tout d’abord important de relativiser l’effet toxique du formaldéhyde au regard des 40 à 50 molécules cancérigènes émises par la combustion du tabac. En outre, on sait que ces nombreuses molécules peuvent en mélange conduire à des effets encore plus toxiques que sous leur forme isolée, par le jeu d’effets cumulés et synergiques (effet cocktail).

Comme le rappelle le Dr K. Farsalinos, les auteurs assimilent la toxicité potentielle de ce produit à celle du formaldéhyde alors qu’aucune donnée toxicologique n’existe sur les donneurs de formaldéhyde évoqués par les auteurs.

Enfin, la mortalité liée au tabac n’est pas uniquement liée à ses effets cancérigènes mais aussi à sa toxicité cardiovasculaire, induite par l’émission de monoxyde de carbone, composé absent de la cigarette électronique.

Conclusions

Pour les Laboratoires Xérès, l’étude publiée est plus que contestable au plan scientifique :

  • protocole non détaillé et imprécis ;
  • méthode d’analyse non pertinente ;
  • erreurs manifestes d’interprétation ;
  • formation de donneurs de formaldéhyde non démontrée ;
  • absence totale de données sur le pouvoir cancérigène de ces prétendus composés ;
  • absence manifeste de rigueur scientifique ;
  • conclusions relatives à la toxicité de la e-cigarette disproportionnées et infondées à l’aune des nombreux biais et imprécisions relevés.

On peut enfin, émettre des doutes sur le choix de publier une étude de chimie analytique dans un journal de médecine reconnu. Il semble en effet que les reviewers n’aient pas eu les connaissances requises pour expertiser un tel article, relevant en définitive plus de la chimie que de la santé.

De même, on peut s’interroger sur les intentions et les motivations réelles des auteurs, en particulier J.F. Pankow et D. H. Peyton, deux éminents chimistes reconnus pour leurs travaux dans la chimie du tabac (J.F. Pankow : http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/11712903). D. H. Peyton citant par ailleurs dans son CV de chercheur des travaux confidentiels faisant l’objet d’un document interne à l’industrie du tabac et relatifs à la stabilisation de la nicotine sous sa forme la plus active (http://www.pdx.edu/profile/dr-david-h-peyton)

Si à ce jour, plusieurs publications scientifiques ont évoqué la formation potentielle de formaldéhyde généré par des e-liquides formulés à base de propylène glycol et de glycérine végétale, il est à déplorer que ces études soient systématiquement relayées par les médias sans aucune analyse approfondie de leurs contenus scientifiques.

Cependant, il est de notre point de vue indispensable que l’industrie de la cigarette électronique puisse se défendre en encourageant notamment la réalisation d’études rigoureuses, conduites par des experts indépendants, ainsi qu’en développant des produits de qualité irréprochable. Pour cela, le monde de la e-cigarette électronique doit continuer à se fixer des objectifs ambitieux en termes de recherche et de sécurité.


Poitiers, le 22 janvier 2015
Vincent Bonnarme, Docteur es Sciences en Chimie Organique
Antoine Piccirilli, Docteur es Sciences en Chimie des Composés Naturels

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