Une équipe de chercheurs internationaux a analysé les 24 études les plus populaires sur le vapotage, afin d’identifier les potentielles erreurs qu’elles comprennent. Et celles-ci sont nombreuses.

Les recherches les plus populaires passées au crible

La recherche scientifique sur le vapotage est-elle de mauvaise qualité ? Voilà la question que s’est posée une équipe de scientifiques internationaux, sous la direction des professeurs Cother Hajat, de l’United Arab Emirates University, et de Riccardo Polosa, fondateur du Center of Excellence for the Acceleration of Harm Reduction (CoEHAR) de l’University of Catania. Ensemble, les chercheurs ont examiné (1) les 24 études les plus populaires sur le vapotage, dans le but de répondre à 4 questions : 

  1. L’étude décrit-elle clairement la méthode d’investigation des liens de causalité ?
  2. La conception de l’étude et les méthodes de recherche étaient-elles suffisamment robustes pour contrôler les facteurs de confusion ?
  3. Les résultats soutiennent-ils les conclusions énoncées, sans exagération ?
  4. Les chercheurs présentent-ils un langage ou des données qui induisent en erreur, ou omettent-ils de reconnaître des limites importantes ?

Afin d’identifier les travaux les plus populaires, l’équipe de scientifiques a utilisé le moteur de recherche Google Scholar, qui a fait ressortir les études les plus lues et les plus citées pour les termes e-cigarette, cigarette électronique, vapoter et electronic nicotine delivery system (ENDS). 

L’identification a ensuite été affinée pour uniquement se concentrer sur les études comportementales sur des sujets humains concernant des allégations de causalité liées au vapotage. Un premier chercheur a alors parcouru les articles dans l’ordre de classement des résultats de recherche et a identifié les dix articles les plus fréquemment cités sur chacun des sujets suivants :

  1. Les effets du vapotage sur l’arrêt/la réduction du tabagisme.
  2. Les effets du vapotage sur l’initiation au tabagisme.
  3. Les résultats de santé associés au vapotage.

Après, les travaux retenus ont été consultées par un second chercheur afin de confirmer qu’ils pouvaient bien être inclus dans l’analyse. Les désaccords entre les 2 examinateurs ont été résolus par consensus ou par la décision d’un troisième chercheur. Des travaux supplémentaires ont alors été étudiés de la même manière jusqu’à arriver à un total de 10 études identifiées. 

L’équipe du professeur Polosa explique avoir utilisé le moteur de recherche Google Scholar au lieu d’un autre comme PubMed par exemple, parce qu’il refléterait mieux les méthodes de recherches utilisées par les décideurs politiques, les groupes de défense, les prestataires de soins de santé, et enfin les patients. 

Suite à l’identification de ces travaux, une première recherche a permis d’obtenir les titres d’articles qui, après examen manuel de la part d’un scientifique de l’équipe, ont été jugés comme ne répondant pas aux critères de recherche. Plus précisément, les articles exclus étaient ceux traitant de l’épidémiologie descriptive, de la chimie et de la toxicologie, des réactions aiguës à l’exposition, et les articles analytiques qui n’étaient pas empiriques.

Au total, les chercheurs ont finalement effectué un examen et une évaluation critique de 24 articles parmi les plus populaires sur les allégations causales liées au vapotage

Liste des 24 recherches étudiées

Un premier chercheur s’est alors attelé à regrouper chacun des 24 articles en fonction du sujet qu’il traitait. Un second a procédé à leur évaluation critique puis réalisé un rapport sur chacun d’entre eux, mettant en avant les points forts et limites. Puis, une discussion a finalement été entamée avec tous les membres de l’équipe jusqu’à ce qu’un consensus soit atteint pour chaque étude analysée. 

Pour finir, l’équipe de scientifiques explique avoir contacté les auteurs de chacune des études revues afin de leur faire part de leur évaluation critique, tout en leur demandant d’identifier les interprétations potentiellement erronées, et de discuter de tout autre limite ou force méthodologique de leur travail. L’équipe de Riccardo Polosa indique avoir toujours reçu des conseils constructifs de leur part ayant permis d’améliorer la qualité des analyses et de l’évaluation finale de chaque recherche. 

Après analyse des 24 études, les chercheurs ont mis au point ce tableau, qui met en évidence les erreurs communes dans la conception, la méthodologie et la mise en œuvre des études. Selon les termes employés par l’équipe de scientifiques, les 24 articles étudiés étaient criblés de défauts

Définitions de plusieurs termes utilisés dans l’analyse ainsi que notre article

La vape et le sevrage tabagique

Sur ce sujet, l’évaluation critique des scientifiques aurait révélé de nombreuses lacunes.

Par exemple, les chercheurs évaluent souvent la probabilité de réussite d’une méthode d’arrêt donnée, tout en supposant à tort que le nombre de tentatives d’arrêt est fixe.  Selon l’équipe de Polosa, l’éducation à une nouvelle stratégie d’abandon peut inciter à des tentatives d’abandon supplémentaires. Ainsi, la méthode d’abandon (p. ex., le vapotage) mérite d’être créditée pour avoir suscité une nouvelle tentative d’abandon.

De plus, plusieurs chercheurs auraient omis d’indiquer clairement le lien de causalité qu’ils étudiaient. Par exemple, si une personne a tenté avec succès d’arrêter de fumer et qu’elle n’aurait pas réussi à le faire si elle n’avait pas vapoté, alors le vapotage est à l’origine de cet arrêt.

Cependant, il existe d’autres voies de causalité potentielles que les chercheurs n’auraient pas explorées.  Prenons le cas d’une personne qui n’aurait pas autrement tenté d’arrêter de fumer, mais qui le fait (et réussit) parce que l’option de vapoter la motive. Cette deuxième voie comprend à la fois les tentatives d’abandon intentionnelles et les abandons involontaires (surnommés « abandons accidentels » ), c’est-à-dire qu’une personne qui fume essaie de vapoter sans avoir l’intention de changer de mode de consommation, mais trouve cela si attrayant qu’elle change de mode de consommation.

Les critères d’inclusion et d’exclusion étaient aussi souvent erronés. Par exemple, une population donnée peut être composée de nombreux anciens fumeurs qui ont tenté avec succès d’arrêter de fumer en passant au vapotage. En menant une étude sur une telle population, mais en n’incluant que les fumeurs actifs, les chercheurs n’évalueront que ceux qui sont déjà moins susceptibles d’arrêter de fumer en passant au vapotage (comme le suggère le fait que d’autres l’ont fait, et pas eux).

De plus, exclure les anciens fumeurs qui ont réussi à arrêter de fumer en vapotant crée une population de participants biaisée. Lors de l’analyse de l’équipe sur les études à propos des effets du vapotage sur le sevrage tabagique, de nombreux chercheurs n’ont pas tenu compte de ces tendances.

Enfin, les études épidémiologiques évaluant les tendances de la population peuvent noter l’incidence et la prévalence du vapotage et du tabagisme. Cependant, ces études n’ont généralement pas la spécificité nécessaire pour établir une association causale entre le vapotage et le sevrage tabagique. De plus, l’incidence et la prévalence des comportements liés au vapotage ont tendance à fluctuer en raison d’une confluence de variables, telles que l’évolution de la technologie, du marketing et de la couverture médiatique, expliquent les auteurs.

La théorie de la passerelle, ou le mythe qui dit que vapoter conduirait à fumer

Cette théorie a été abordée dans 11 études retenues par les chercheurs. Une théorie qu’ils indiquent immédiatement être souvent affirmée comme si elle était prouvée par des données, alors qu’elle ne l’est pas.

Concernant les études à ce sujet, les chercheurs soulignent différentes lacunes, notamment concernant le fait qu’elles ne disposaient pas de méthodes de recherche solides et, par conséquent, ne pouvaient pas établir de manière fiable un lien de causalité ou identifier un effet de passerelle.

Les scientifiques indiquent que les comportements de santé liés au vapotage et au tabagisme ont été décrits de manière insuffisamment détaillée en ce qui concerne la durée, la quantité et la fréquence du vapotage et du tabagisme. Ce manque de précision rendrait ainsi la classification des participants peu informative et les données qui en résultent peu fiables.

En outre, ils notent aussi que la propension à commencer à fumer en l’absence de vapotage est également mal établie et, en tant que telle, constitue une mesure discutable. Un fait que les scientifiques jugent particulièrement troublant lorsque les allégations d’un effet passerelle peuvent être exploitées, sans être étayées, pour susciter des inquiétudes concernant d’autres comportements à risque, comme la consommation de drogues illicites.

Les auteurs rappellent également qu’il est important de classer les participants en fonction de leur préférence pour la nicotine. Selon eux, environ la moitié de la population aime être sous l’influence de la nicotine et l’autre moitié n’aime pas. Cette variation garantirait à elle seule une consommation de tabac nettement plus élevée chez les vapoteurs (et vice versa). Ainsi, les personnes qui ne vapotent pas, ne fument pas et n’utilisent aucun autre produit du tabac vont inévitablement commencer à utiliser un tel produit moins souvent que les utilisateurs de produits du tabac.

Enfin, ils concluent en indiquant que les études analysées n’ont pas contrôlé les facteurs de confusion ni utilisé de méthodes conçues pour tenir compte de l’hétérogénéité des participants. En tant que telles, les limites étaient importantes et les chercheurs ne pouvaient pas faire d’allégations causales crédibles.

Les effets du vapotage sur la santé

Là encore, les auteurs de l’analyse indiquent que les 4 articles retenus présentent de nombreuses lacunes. Par exemple, des chercheurs ont tenté d’évaluer les effets non aigus du vapotage dans une population d’anciens fumeurs sans reconnaître une limite inhérente : les traits cliniques caractéristiques de cette population incluent les conséquences du tabagisme antérieur, qui masquent les effets non aigus du vapotage.

Dans une telle population, ils indiquent ainsi qu’il est difficile de déterminer si les résultats de morbidité et de mortalité sont attribuables au fait de vapoter ou au tabagisme antérieur. C’est un défaut majeur de conception que de ne pas tenir compte de l’usage actuel, ancien et double de la cigarette, ignorant ainsi que la majorité des vapoteurs le font pour arrêter ou réduire leur consommation de cigarettes.

Ils ajoutent que bien que jusqu’à 70 % des participants des études déclaraient être des doubles utilisateurs, c’est-à-dire des vapoteurs qui continuent de fumer en parallèle, 32 études n’auraient pas systématiquement pris en compte le double usage lors de l’examen du risque lié au vapotage, attribuant ainsi des résultats de santé au fait de vapoter alors qu’ils pourraient en fait être dus au fait de fumer des cigarettes.

De plus, toutes les études analysées n’auraient pas classé correctement les populations qu’elles étudiaient, catégorisant ainsi les participants comme étant simplement fumeurs, anciens fumeurs ou non-fumeurs. Sans tenir compte de la durée du tabagisme, du temps écoulé depuis l’arrêt du tabac, ou de la fréquence et de la quantité de tabac consommé. Ainsi, une personne fumant une cigarette par semaine était classée comme étant fumeuse, au même titre qu’une autre personne fumant 3 paquets par jour. De quoi largement fausser les résultats

Ces défauts ont été constatés de manière systématique dans chacun des quatre articles analysés, ce qui rend leurs conclusions trompeuses, indique l’équipe d’examinateurs. 

Ils concluent ainsi :  « L’examen critique de la littérature incluse a révélé de nombreuses lacunes, et les limites l’emportent nettement sur les points forts ».

 

Cette vaste analyse a été en partie financée par la Foundation for a Smoke-Free World Inc, c’est-à-dire le cigarettier Philip Morris International (PMI). Ses auteurs indiquent toutefois que le contenu, la sélection et la présentation des faits, ainsi que les opinions exprimées dans ce document relèvent de la seule responsabilité des auteurs et ne peuvent en aucun cas être considérés comme reflétant les positions de la fondation.

 


(1) Hajat, C., Stein, E., Selya, A. et al. Analysis of common methodological flaws in the highest cited e-cigarette epidemiology research. Intern Emerg Med (2022). https://doi.org/10.1007/s11739-022-02967-1

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