Un géant de la vape serait-il une bonne chose ? Alors qu’aux USA, Juul est en passe de devenir le Facebook de la e-cigarette, il faut se poser la question de savoir s’il est préférable de voir l’industrie portée par un leader ou une myriade d’acteurs de petite taille. Réflexion.

David et Goliath

Les récents déboires de Juul, qu’Alistair a très bien expliqué dans toute une série d’articles, fait se poser la question : le mastodonte de la vape, côté en bourse, est-il une bonne où une mauvaise chose pour la cigarette électronique ?

On pourrait pencher pour le fait que ce soit positif. Un acteur de taille conséquente atteint une taille critique à partir de laquelle il peut s’adresser à un état et parler d’une voix forte. Du moins, c’est ce que dit la théorie.

En pratique, c’est tout l’inverse. Une entreprise qui atteint à la fois une taille critique financièrement et un taux de popularité important se voit acculée à négocier avec les législateurs des pays de sa zone de chalandise pour préserver ses intérêts.

Le poids des dollars, le choc des euros

Dans l’exemple de Juul, l’entreprise a connu, selon une collecte de donnée de financements PitchBook (comme expliqué dans l’article de Alistair, encore lui) une croissance quatre fois plus rapide que Facebook à temporalité équivalente.

L’entreprise a été créée par deux passionnés qui voulaient proposer un projet alternatif et simple en matière de réduction des risques (comme très bien expliqué dans l’article de devinez qui ?), et a été lancée sous forme de start up. Aujourd’hui, elle représente 70 % du marché de la vape aux USA et pèse 15 milliards de dollars. Ceci, rien que pour une présence sur le marché américain (les autres ouvertures n’ont pas encore atteint leur stade de maturité).

Les enjeux sont faciles à comprendre : au début, un échec de Juul, ç’aurait été l’histoire de quelques jeunes qui ont monté une start-up, comme des millions d’autres à travers le monde, et ont échoué, comme des millions d’autres à travers le monde. De qui rajouter une ligne et de l’expérience à son CV.

Aujourd’hui, un échec de Juul, ce serait l’histoire de quelques jeunes qui ont coulé une boîte à 15 milliards de dollars. L’équivalent dans le monde des affaires de se dessiner une cible sur le front. Un échec de Juul ne signifierait pas simplement la disparition de cette société. Ce serait la garantie, pour ses créateurs, d’un avenir très noir partagé entre tribunaux et mauvaise réputation.

Juul, à son corps défendant, s’est donc condamné à réussir. Et c’est là que les choses se gâtent.

Moyen de pression

Plus une entreprise croît, plus elle offre de moyens de pression. Dans le cas de Juul, c’est facile : il suffit à la FDA de sortir une réglementation qui casse les pattes au géant. Juste interdire un point qui fait la spécificité ou le succès de Juul. L’entreprise est alors obligée de faire des concessions.

Et ces concessions peuvent se montrer fort utile. Par exemple, la fin des liquides sucrés (oui, Alistair en parle aussi). L’entreprise s’impose à elle-même des règles drastiques et la suppression de certains arômes. Mais, pour ne pas se mettre en situation de faiblesse face à la vape « classique », elle demande publiquement à ce que l’ensemble du marché la suive.

Voilà un drôle de piège : soit le marché suit, et se tire une balle dans le pied, soit le marché ne suit pas, et Scott Gottlieb, patron de la FDA, cite Juul en exemple et en justification pour interdire les arômes. Reste à savoir maintenant si ces concessions seront acceptées. La FDA joue un jeu trouble et on ignore si elle veut la peu de Juul où celle de toute la vape.

Colosses aux pieds d’argile

D’aucun se récrieront que cet exemple est spécifique à la vape. Non, cet exemple fonctionne dans toutes les grandes entreprises qui ne disposent pas de moyen de pression suffisants sur les états.

On pourra citer tel ou tel réseaux sociaux qui omet de payer ses impôts, mais contre lequel aucune poursuite n’est engagée, tandis qu’il accueille des modérateurs institutionnels ou… Des agents du fisc venus traquer les fraudeurs fiscaux.

La réussite de Juul n’est pas garanti en Europe. Les modérations de la TPD et les limites imposées aux taux de nicotine, par exemple, sont en contradiction avec ce qui a fait le succès de Juul aux USA.

Mais il n’empêche : à cause de son trop grand succès, l’entreprise s’est exposée, mise en danger, et l’ensemble de la vape avec elle. Le modèle européen, basé sur des entreprises de la taille, au mieux, de grosses PME, est paradoxalement plus efficace : pour s’en prendre à un corporation, il faut… S’en prendre à une corporation, faute d’avoir une tête qui dépasse. 

Cet article d’opinion n’engage que le point de vue de son auteur et ne représente pas forcément l’avis de la rédaction.
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