Le Boba’s Bounty est de retour, et cette nouvelle sonne un peu comme l’ouverture d’un Jurassic Park pour un paléontologue. Le Boba’s Bounty fait partie des liquides légendaires que les vétérans de la vape ont bien connu, une époque bénie où on n’avait rien d’autre à Noël qu’une fiole de liquide à l’orange dans nos sabots de bois. Souvenirs d’un vieux.
“Et tout d’un coup, le souvenir m’est apparu.
Ce goût, c’était celui du petit morceau de madeleine
que le dimanche matin à Combray (…)
ma tante Léonie m’offrait après l’avoir
trempé dans son infusion de thé ou de tilleul.”
Marcel Proust.
Naguère, au temps jadis d’avant même autrefois…
Adoncques, en l’an de grâce 2012, bien avant que nous ne guerroyions par devant la forteresse de l’hérétique Touraine, s’en vint par devant-nous une sensation dont nul preux ou manant n’avait éprouvé la pareille. Boba’s Bounty était le nom de cette mixture empreinte de mystères et sur laquelle planaient moult soupçons de sorcellerie. Pardon. Je voulais parler vieux pour vous mettre dans l’ambiance.
Reprenons.
Il y a de cela quelques années, l’offre en liquides était beaucoup, beaucoup moins développée qu’aujourd’hui. L’offre matériel aussi. Quelques vapoteurs, qui avaient commencé la vape juste pour arrêter la cigarette, s’étaient rendus compte que finalement, vapoter, c’était pas mal du tout, et que tout ce système avait du potentiel. Ils voulaient autre chose que de l’anis qui ait le goût d’anis, le citron qui ait le goût du citron, et ils étaient prêts à investir dans du matériel plus performant pour avoir accès à des liquides un peu plus compliqués.
Et forcément, après avoir acheté parfois fort cher du matériel sophistiqué, ils se désolaient d’avoir accès à si peu de liquides complexes. Ces derniers arrivaient au compte goutte, parfois importés en minuscules quantités au prix d’or, mais, bien souvent, il fallait ruser pour aller s’approvisionner soi-même à la source.
Le Graal, à cette époque, était de retrouver le vrai goût de la cigarette. Ça peut sembler incroyable, aujourd’hui, pourtant, maints courageux s’étaient lancés sur la trace d’un liquide qui reproduirait le goût exact d’une cigarette de tabac en train de se consumer. Un jour, quelqu’un a trouvé, un liquide américain fait dans un garage par un artisan dont j’ai oublié le nom, et s’est rendu compte qu’en fait, ce n’était vraiment pas bon. Mais lors de cette quête, les chercheurs inlassables dénichaient des pépites. Beaucoup sont oubliées, mais certaines appartiennent à l’histoire.
Bestiaires des Grands Anciens
Les liquides véritablement légendaires étaient peu nombreux. Ils avaient tous des caractéristiques en commun : ils étaient différents, ils étaient rares, parce que généralement produits par des artisans qui ne parvenaient pas à suivre la demande, et ils n’étaient pas facile à vivre.
J’en ai retenu quatre. Sans doute y en a-t-il d’autres, mais ces quatre là sont ceux qui allument une flamme dans l’oeil des vétérans.
A tout seigneur, tout honneur. Indéfinissable, certains y sentent du rhum, d’autres du coca, d’autres de la coco, certains tout ça en même temps tandis que d’autres pas du tout… Il en est même qui sentent tout cela, ensemble ou alternativement, selon le montage de l’atomiseur, le moment de la journée, le lot dont est issu leur flacon, son âge… Le terme « liquide complexe » a sans doute été inventé pour lui. Le terme « tueur de résistances » aussi, sans doute, peut-être.
Le Booba’s Bounty eut un petit frère, le Gorilla’s Juice, le même avec un goût de banane en plus. Un jour, Alien Vision, le fabricant, intervient sur un forum : des vapoteurs s’interrogeaient sur le fait que, pour obtenir du Gorilla’s, ils avaient beau ajouter de l’arôme banane, ça ne marchait pas. Alien Visions leur dit d’essayer avec un arôme cerise. Et tous en convinrent : effectivement, quand on ajoutait de la cerise au Boba’s, ça faisait un Boba’s banane. La mixologie, c’est aussi ça.
Je pense faire partie d’une génération de vapoteurs qui ont appris à refaire des résistances grâce au Boba’s Bounty. C’était assez simple : dix aspirations, et la résistance était morte. On démontait l’ato, et on en faisait une autre. Mais ça en valait la peine.
La production du Boba’s s’est arrêtée en 2016, suite à une bisbille entre Alien Visions et son fournisseur d’arômes. Le liquide a ressuscité, à la surprise générale, en février 2018. on ne sait pas encore s’il est à la hauteur de sa légende aujourd’hui.
Le liquide tabac par excellence. Culte et vénéré par beaucoup, complexe, gourmand, difficile, également à se procurer, ce produit fut un phare pour sa maison mère, Sandsmods, par ailleurs assez controversée, sans doute à cause de son habitude d’encaisser l’argent sans forcément honorer les commandes. Il donna naissance à toute une lignée, le Hooch Gone Nuts, avec des noisettes, le Hooch Gone Bananas, avec de la banane…
La fois ou j’ai vapé du Hooch, à la première aspiration, je me suis dit « Je vais vomir ». A la deuxième aspiration, j’ai vomi. Fin de l’histoire.
Le Grumpy’s Hooch a disparu en même temps que Sandsmods, quand le patron s’est tiré avec la caisse.
Le Grant’s Vanilla Custard
Ça va sembler complètement fou aux vapoteurs les plus récents, mais fut un temps ou si on voulait un liquide custard, il y avait une adresse, et une seule, dans le monde entier : Grant’s Vanilla Custard. C’était la meilleure custard du monde, et pas seulement parce que c’était la seule.
Les ventes se faisaient sur le site de Grant. Le principe était simple : la plupart du temps, le site était fermé. Puis une date était affichée : celle de la prochaine vente. Le jour dit, à l’heure précise indique, Grant ouvrait son site, et tout était vendu en cinq minutes. Puis le site fermait, le temps que Grant fasse les expéditions, prenne quelque jours de vacances, et lance la production suivante.
Le Grant’s Vanilla Custard a fait la fortune de trois catégories de personnes : Grant lui-même, les quelques magasins qui ont réussi à en avoir et l’ont vendu, parfois assez cher, en quelques jours, et les vendeurs de claviers informatiques, qui ont remplacé un nombre incalculable de touches F5 cassées.
Ma première commande chez Grant’s, j’ai pris un petit flacon, juste pour goûter. La commande suivante, le semi-remorque a eu beaucoup de mal à manœuvrer dans ma cour pour me livrer. J’avais pris mes précautions pour éviter d’être à court.
Ca va en surprendre certains, mais Grant’s existe toujours. Il fait une production par an en moyenne, qui se vend en plusieurs jours, dans l’indifférence quasi générale.
L’absinthe des e-liquides. Son créateur, Mad Murdock’s, n’a pas fait dans la demi-mesure. C’est simple, quand on le demandait dans un shop, c’était juste si le vendeur n’enfilait pas une combinaison NBC pour aller le chercher dans un container conçu pour les déchets nucléaires.
Certains liquides sont réputés être des tank crackers, fissurant les parois plastiques. Le Pluid lui les faisait littéralement fondre. Certains liquides extrêmes arrivent à imprégner de leur goût les joints des atomiseurs. Le Pluid, lui, pouvait imprégner même l’acier.
Le liquide existe toujours. Mad Mudock’s a revendu sa recette et a disparu de la circulation.
Il est fini le temps des légendes
A part le Hooch, donc, tous ces liquides existent toujours, qu’ils soient rares comme le Grant’s ou le Pluid, ou ressuscités comme le Boba’s. Pourtant, à part le liquide d’Alien Vision, ils ne font plus le buzz.
La faute à qui ? A personne en particulier. Sans doute, le fait que le choix de liquide soit plus étendu et plus facile d’accès a joué dans cet état de fait.
Aujourd’hui, beaucoup de liquides se taillent une solide réputation et obtiennent un joli succès. mais l’époque ou leur nom se murmurait sur toutes les lèvres et ou l’on pouvait passer des nuits à en chercher une fiole est révolu. Aujourd’hui, si on ne le trouve pas en magasin, on passe au suivant, l’objet de sa convoitise initiale déjà oublié.
J’entends déjà certains ici citer le nom d’un liquide rouge au cassis. Ils se sont trompés d’endroit : ici, c’est un article sur les légendes du e-liquide, pas sur les pollutions chimiques.