L’art de la vapologie est un exercice subtil où toutes les sensations doivent être mesurées, disséquées, améliorées jusqu’à frôler la perfection qui, comme chacun sait, n’est pas de ce monde. Et certains finissent par avoir l’exercice vraiment, vraiment dans le nez. La preuve en deux anecdotes.

On y était presque

Les deux associés étaient dans le bureau, à attendre l’épouse de l’aromaticien. Elle devait passer le prendre après le travail, pour qu’ils aillent ensemble acheter un cadeau pour un anniversaire.

« Tiens, je vais te faire goûter un truc » dit l’aromaticien. « Dernière création, il est en steep depuis un moment, ça devrait être bon ».

Dans cette petite entreprise qui fabriquait des e-liquides, chaque nouvelle entrée au catalogue était soigneusement testée, avant d’intégrer officiellement la gamme. C’était une question de survie.

Il sortit le flacon, et les deux hommes remplirent chacun un atomiseur. Puis ils se mirent à vaper.

« Un succès » dit l’un. « Je suis très fier, il est super réussi » dit l’autre.

Et ils vapèrent encore, à différentes puissances et tirages d’air, pour tester les réactions du liquide selon les conditions.

« Ah ouais, chapeau » dit l’associé de l’aromaticien . « Une réussite, il est vraiment équilibré. On sent chaque composant, et en même temps tu as un rendu global, tu t’es surpassé ».

« Merci » répondit l’autre « et puis, c’est pas pour me vanter, mais il est pas écœurant pour un gourmand. Ce sont les nouveaux arômes du fournisseur, ils coûtent un bras, mais ils donnent bien ».

« C’est vrai » renchérit l’autre, « je crois qu’on tient un truc, là. La Chose, accroche toi, on arrive » !

Sur ces entrefaites, la femme de l’aromaticien arriva dans le bureau. Elle s’arrêta sur le seuil, puis recula aussi sec. De la pièce d’à côté, elle cria « mais qu’est-ce que vous fabriquez, là-dedans ? ».

« Ben, on teste un liquide, pourquoi » ? Demanda l’associé.

« Pourquoi ? Comment ça, pourquoi ? Ca sent la mort, là-dedans, on dirait qu’il y a un animal crevé depuis trois semaines dans le bureau ».

Il s’avéra que le liquide, pardon pour la trivialité, puait littéralement. L’aromaticien finit par donner le fond de flacon à un ami qui partait souvent seul camper en forêt pour photographier les animaux. Ce dernier finit par jeter le flacon à la poubelle. Il était bon, mais il faisait fuir les oiseaux et attirait les charognards.

Une histoire toute moisie

« Vraiment », dit ma femme « ça sent le moisi ».

J’étais tranquillement affalé dans mon fauteuil préféré, me délassant en écoutant du black metal norvégien (jamais à plus de 150 décibels, sinon après les murs fissurent) quand ma chère et tendre fit irruption dans la pièce en tenant ces propos.

« Je ne sens rien » répliquais-je, avant de me rappeler que, vaguement enrhumé, j’avais quelques difficultés à capter les odeurs. « Non vraiment ça sent le moisi » insista-t-elle, et sans doute à raison. La maison était vieille, nous avions eu des problèmes d’humidité, et il n’y avait rien d’inconcevable à ce que le phénomène se fut reproduit. Nous décidâmes donc de chercher…

L’exploration commença par le rez-de-chaussée. Le salon, la cuisine, et la salle de bains, toutes ces pièces avaient la même odeur diffuse de moisi sans que la source ne s’en révèle. Le nez en l’air, nous décidâmes ensuite de passer à l’étage. Curieux spectacles de nous voir ainsi, chacun de son côté du couloir, renifler les murs.

Puis le bureau, ou les étagères des bibliothèques, comme nous l’avions fait dans le séjour, furent vidées. La chambre subit le même sort : la pièce fut reniflée jusque dans ses moindres recoins, les penderies vidées et les vêtements inspectés en quête de la moindre trace de moisissure. Rien.

Restaient les combles. En désespoir de cause, nous décidâmes d’aller y jeter un coup d’oeil. La trappe fut ouverte, l’échelle déployée, et nous montâmes. L’après-midi avait été presque entièrement consacrée à la recherche de la source de cette odeur de moisi, et nous étions toujours bredouilles.

« Ici, ça ne sent rien » souligna ma moitié. « C’est déjà ça », rétorquais-je, et, avant d’entamer la descente, je tirai ma vape de ma poche et m’offris un puff réconfortant.

Ma femme s’arrêta net « attends, ça commence à sent… C’est quoi que tu vapes ? ».

« Ben un liquide goût tabac » répondis-je, avant de me rendre compte qu’elle me fixait avec un air furibond « Quoi ?! » demandais-je, innocent.

« Ton émission préférée… » commença-t-elle.

« Faites Entrer l’Accusé ? Ben quoi ? »

« Tu vas être content, il vont bientôt te consacrer un numéro à toi tout seul ».

Il s’avéra effectivement que le e-liquide dégageait une forte odeur de moisi, que je ne percevais pas, en le vapotant. Je fus interdit à vie de vaper à nouveau cette marque.

Quelques mois plus tard, en déplacement, j’en achetai un flacon que je vapais le soir à l’hôtel. Il s’avéra, avec le recul, que finalement, il n’était pas si terrible. En quittant la chambre, le lendemain matin, j’aérai bien.

La marque de ce liquide, je ne la dirai pas. Disons qu’il était entouré d’un halo de prestige, à l’époque.

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