Créée en 2003, InterChanvre regroupe 1 414 producteurs, 140 salariés et 6 chanvrières pour 16 400 ha cultivés en majeure partie pour le secteur du BTP et de l’agroalimentaire. Nathalie Fichaux, sa directrice, donne la ligne de l’interprofession sur les sujets chauds.
Emploi, chiffre d’affaires, que représente la filière ?
Selon le plan filière 2017, le document de stratégie qui sert d’engagement auprès de l’État, aussi bien le ministère de l’Agriculture, le ministère de tutelle d’InterChanvre, que le ministère des Finances, la filière étions à 40 millions d’euros de chiffre d’affaires pour nos cinq chanvrières. En 2020, quand InterChanvre a établi le plan filière pour les trois années à venir, il atteignait 60 millions d’euros. Et l’interprofession a beaucoup investi ces deux dernières années. En effet, depuis les années 1960, InterChanvre a investi avec l’État environ 100 millions d’euros dans la filière, dont plus de 35 millions d’euros seulement sur les deux dernières années. “Cet argent a été investi pour de nouveaux outils industriels, pour des outils de R&D sur la partie semences, pour les premières usines de préfabrication de murs en béton de chanvre, entre autres pour les villages olympiques. Nous nous développons très fortement, nous avons eu une multiplication par cinq des surfaces en 30 ans”, explique Nathalie Fichaux.
Selon InterChanvre, ce qui fait la spécificité de la France, c’est qu’elle est le seul pays à avoir toujours gardé une culture de semences. “Même quand il y a eu le plan Marshall et que les États-Unis ont voulu imposer le brevet du Nylon, nous avons gardé 700 ha de culture, alors que nous avions jusqu’à 178 000 ha au XIXe siècle, détaille Nathalie Fichaux. Grâce à cela, la France a toujours gardé la génétique et a un potentiel génétique de 138 variétés. Aujourd’hui, il n’est pas suffisamment exploité “parce que la coopérative de semences n’arrive pas à avoir les autorisations de l’Agence de sécurité du médicament (ANSM) pour pouvoir évaluer les potentiels CBD, les potentiels THC présents sur leur capital génétique”, déplore Nathalie Fichaux.
On dit “chanvre”, pas “cannabis”
Aujourd’hui, le chanvre souffre toujours de l’amalgame avec le THC ou de la méconnaissance de la plante de la part du grand public. “Nous avons beau faire de la pédagogie, quand je donne une interview à Paris Match il y a deux ans sur le béton de chanvre et qu’ensuite le magazine titre : ‘Comment habiter dans du cannabis’, forcément ça a tendance à m’agacer…”, regrette la directrice d’InterChanvre. Pour modifier la situation, l’interprofession alerte souvent les députés sur la sémantique pour bien dissocier le cannabis médical ou à usage récréatif du chanvre, dédié à l’usage industriel. “Des béotiens nous demandent par exemple si les sportifs ne vont pas être contrôlés positifs si on construit en chanvre [rires]. Donc, nous expliquons que le béton de chanvre est constitué de bois de chanvre, donc la paille, et qu’il n’y a aucun contact avec la fleur. Il n’y aura donc aucune trace de THC dans une chènevotte qui va constituer le béton de chanvre. Mais voilà, ça demande un minimum de culture”, admet-elle.
Si on comprend bien, le mot chanvre est utilisé pour décrire la plante qui ne contient pas de THC, ou très peu, alors qu’on parle quand même de cannabis. “Oui, c’est ça, et sur la partie CBD, nous préférons citer directement les molécules, plutôt que de dire ‘chanvre bien-être’, par exemple”, détaille la directrice d’InterChanvre.
Aujourd’hui, les boutiques spécialisées dans le CBD se multiplient, et InterChanvre a décidé de laisser faire le marché. “Pour le moment, ils profitent d’une zone grise parce que la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) a demandé à la France d’autoriser le commerce du CBD en novembre 2020. Mais elle n’a pas cadré la production et l’autorisation pour la production, précise Nathalie Fichaux. Pour le moment, il y a un décret sur la partie médicale et l’arrêté de 1990 qui va évoluer. Et c’est cet arrêté qui va concerner la fleur. Mais même si nous militons énormément pour qu’on puisse récolter les fleurs, nous ne sommes pas sûrs que ce soit possible dès septembre.”
Produire français
L’importation de produits étrangers pose problème, tant sur la qualité que sur la traçabilité. “Pour être sûrs que les fleurs passent les contrôles, certains dénaturent complètement la fleur, soit en les mettant dans des bains, soit en pulvérisant du CBD dessus. Ce qui engendre la disparition des terpènes, les effets d’entourage qui sont ce qui peut être pertinent en termes de détente ou autre.” S’il devient possible de cultiver la fleur en France, InterChanvre promet la mise en place de systèmes qualité pour garantir la traçabilité, le zéro phyto, etc.
L’interprofession ne voit pas d’un bon œil les cultivateurs français de chanvre qui outrepassent la loi de façon militante en cultivant la fleur : “À leurs risques et périls ! Nous avons alerté les agriculteurs qui n’investissent pas sur la production cette année parce que nous savons qu’il y a des gardes à vue et je trouve ça dommageable.”
InterChanvre veut éviter un effet de mode, un effet de bulle spéculative comme aux États-Unis ou en Suisse. “Aux États-Unis, quand ils ont fait le Farm Bill en 2018, ils ont décidé d’un coup que la culture du chanvre était autorisée. En 2019, ils ont cultivé 59 000 ha uniquement pour le marché du CBD. La chute a été tellement importante qu’en 2020, ils n’ont cultivé que 18 000 ha. En Suisse, après l’autorisation, ils ont créé plus de 620 entreprises. Aujourd’hui, il n’y en a plus que 200, regrette Nathalie Fichaux. Nous, nous ne sommes pas là pour gérer des faillites, nous sommes là pour accompagner le changement et faire en sorte que ça se développe harmonieusement.”
Un avenir “radieux”
Concernant la distribution, InterChanvre n’a pas d’avis sur le type de commerce où doivent être vendus les produits contenant du CBD. En revanche l’interprofession craint qu’il y ait une autorisation de produits en France sans avoir de pourcentage maximum de CBD défini par typologie de produit. “Comme la France souhaite harmoniser sa législation avec l’Europe, et que de toute façon sur la partie finie c’est l’Europe qui définit la réglementation, nous disons que nous voulons que ça se développe avec des taux autorisés, puis les circuits de distribution se feront naturellement.”
Aujourd’hui, InterChanvre voit l’avenir en rose. Selon l’interprofession, le chanvre correspond parfaitement aux tendances environnementales et sociétales, et la crise de la Covid a permis d’accélérer beaucoup de choses. “Le ministère de l’Économie veut nous accompagner pour développer le textile de chanvre, nous sommes aidés sur la partie construction. Nous le développons à fond parce que nous sommes ‘local’ et ‘écologique’. Donc, l’avenir est forcément radieux.”
Un bémol quand même pour la fleur séchée, en qui elle ne voit pas d’avenir. “Même si le lobby des buralistes œuvre énormément dans ce sens-là. J’ai vraiment beaucoup de doutes sur le fait que l’État l’autorise.”
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