Honnêtement, c’est pas de chance : depuis le temps, véritablement, que l’industrie du tabac attendait une preuve que fumer peut sauver des vies. Et voilà ! On y est ! Enfin ça arrive ! Joie, joie, joie et allégresse ? Pas vraiment…

Meeting aérien

La scène se déroule sur une route de campagne. Une voiture roule, avec trois amis à bord. Le trajet est long, le paysage morne, le temps maussade, et, après consultation et vote, les occupants décident de faire une halte. Le chauffeur gare alors son véhicule sur un dégagement, au bord de la route, et tous trois descendent.

Là, comme des sous-marins, ils déballastent, pour atteindre la surface de bonheur que procure une vessie vide après un long trajet. Il fait froid, aussi, les passagers regagnent le véhicule pour se protéger des frimas. Tous ? Non. Le chauffeur fume, c’est le seul, et fait signe à ses camarades qu’il finit sa cibiche et qu’il arrive. C’est à ce moment précis qu’un avion s’écrase sur la voiture et tue tout le monde, sauf le gars qui fumait.

Cet incident réel a eu lieu il y a peu en Belgique, et nous ne ferons pas de commentaires sur le pays. Franchement, c’est vrai, les belges, on vous aime aussi, et pardon d’avoir écrit que le paysage était morne un peu plus haut, surtout à Waterloo. Bon, en même temps, vous y habitez dans ce paysage, vous êtes au courant. Mais vous avez raison, c’est impoli de le faire remarquer.

Réunion terre à terre

Imaginez maintenant une réunion typique de l’industrie du tabac. Il y a des grands cadres, des scientifiques, des gens du marketing, et même des représentants d’associations de défense des fumeurs. La seule chose que tous ces gens ont en commun, c’est que le virement de leur salaire mensuel vient du même compte. Pour compléter le tableau, chacun d’eux est flanqué, à sa droite d’un avocat, et à sa gauche d’un conseiller en communication.

Et tous sont penchés, perplexes, sur les photos de l’accident. Parce que c’est ce qu’ils attendent depuis environ 150 ans : une preuve, la preuve que la cigarette peut sauver des vies. C’est leur Graal ultime. Il est là, devant leurs yeux. Et ils ne savent pas quoi en faire.

« La cigarette sauve des vies, tout simplement ? » tente quelqu’un. Ce à quoi on lui fait remarquer que c’est un peu court, tout de même.

« La cigarette préserve des accidents de la circulation ? » tente un autre.

« Ouiiiii » objecte un avocat « mais il faudrait préciser en petits caractères que c’est uniquement valable sur un véhicule à l’arrêt et quand vous ne vous y trouvez pas ».

« Disons que le risque de létalité d’un choc frontal contre un véhicule quand vous n’êtes pas dans le véhicule était déjà quasi nul » marmonne pensivement un scientifique.

Un cadre s’écrie, agacé « et bien vous, les scientifiques, vous pouvez pas nous pondre une étude ? ».

Ce à quoi les savants poussent en chœur des cris d’orfraie sur l’échantillon qui est un peu juste, même selon les critères de l’industrie du tabac, et qu’il faudrait voir à ne pas les confondre avec des virologues marseillais.

« La cigarette protège contre les chutes d’avions ? » tente une dernière fois un cadre.

Ce à quoi on lui fait remarquer que les avions ont nettement tendance à tomber de moins en moins souvent, et que, même à la glorieuse époque où embarquer nécessitait d’avoir souscrit une bonne assurance et mis à jour son testament, ils tombaient rarement sur la tête des quidams.

« Bref » conclut un Big Boss, qui était resté jusque à en retrait, « on peut dire que ce gars a eu un sacré coup de pot et qu’il ne nous sert à rien, c’est ça ? ».

Et toute l’assemblée, l’air penaude et la tête basse, d’acquiescer.

« Au moins, lui, si il est un peu superstitieux, il n’ira pas voir les gens de la vape » conclut le patron. Et tout le monde de rigoler, après s’être fait confirmer par leur conseiller en communication et leur avocat que c’était une blague.

En sortant, une jeune femme du marketing demande à un scientifique « mais au fait, vous êtes superstitieux, vous ? ».

Le savant agite frénétiquement la tête « moi ? Superstitieux ? Certainement pas ! ».

La jeune femme sourit « oui, évidemment, c’est parce que vous êtes scientifique ».

Le savant la regarde, étonné : « Mais non, ça n’a rien à voir. C’est parce que ça porte malheur ».

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