Après une longue bataille judiciaire, Sébastien Béguerie et Antonin Cohen, deux jeunes entrepreneurs marseillais, ont réussi à faire plier la justice française et à débloquer le marché prometteur du CBD dans l’Hexagone. Retour en détail sur une épopée, dont l’issue positive a influencé de nombreux destins.

Pour remonter aux racines de l’aventure Kanavape, il faut faire un bond dans le temps et retourner au milieu des années 2000, en 2006 plus précisément. Sébastien Béguerie, Marseillais de 23 ans, étudie déjà l’usage médical et bien-être du cannabis à l’université de Wageningen, aux Pays-Bas. De son côté, Antonin Cohen, un autre jeune Marseillais passionné par l’usage des plantes traditionnelles, fait également ses études de commerce international et technologie aux Pays-Bas, dans le cadre d’un échange Erasmus. Les deux natifs de la même ville du Sud de la France ne se connaissent pas.

Trop de brume, une rencontre

Mais le hasard fait bien les choses. Un jour, les deux étudiants, alors qu’ils devaient rentrer pour les vacances à Marseille par le même vol, voient leur avion empêché de décoller à cause de la brume ; ils lient connaissance dans le bus qui les ramène de l’aéroport. Au fil du temps et de leurs échanges, ils deviennent rapidement amis.

Ils discutent beaucoup sur le potentiel de l’usage médical et bien-être du cannabis. “Lors de ma rencontre avec Antonin, je travaillais déjà dans l’industrie du cannabis et sur la question du CBD. Ayant un master en sciences des plantes sponsorisé par Bedrocan, premier producteur de cannabis médical en Europe, j’ai bénéficié très tôt d’un large réseau dans cette industrie émergente”, explique Sébastien Béguerie.

Antonin Cohen

La vision

Au fil du temps, l’évolution de l’industrie du cannabis aux USA les convainc qu’il y a quelque chose à faire dans ce domaine qui les passionne. Un domaine qui va leur permettre d’allier leurs convictions avec un projet entrepreneurial.

Vers 2012, le CBD commence à faire parler de lui, notamment aux États-Unis, et quelques produits commencent à circuler en Europe. Curieux, Antonin Cohen et Sébastien Béguerie les testent mais sont déçus par la qualité de fabrication. En effet, les techniques d’extraction ne sont pas aussi abouties qu’aujourd’hui. En parallèle, la cigarette électronique, outil de vaporisation, provoque un véritable engouement. “On avait envie de démocratiser l’accès à cette plante, via des usages légaux, en respect avec les réglementations, se rappelle Antonin Cohen. Et même si j’avais d’autres projets professionnels à côté, j’ai mis toute mon énergie sur ce projet.”

Après avoir terminé ses études, Sébastien Béguerie crée la marque Alpha-Cat en commercialisant des test kits pour l’analyse de cannabinoïdes et produits à base de CBD. “À travers Alpha-Cat, j’ai pu collaborer avec une entreprise à Seattle, travaillant avec la marque Open Vape qui fut, dès 2012, à l’initiative des premières cartouches de vape pen au THC aux USA, ce qui m’a encouragé à lancer ce type de produit en version CBD légal en Europe”, se souvient Sébastien. En 2013, avec les ventes des produits Alpha-Cat, il lance sa première culture de chanvre à fleurs en partenariat avec le parc du Luberon.

Le duo a la vision : cette molécule ne provoque pas d’effets psychotropes, elle est présente dans le chanvre, la France en est le premier pays producteur en Europe, Marseille a été traditionnellement une ville importante pour cette plante. Les planètes s’alignent. Ils imaginent alors utiliser le CBD dans trois applications : vape, cosmétiques et huiles. 

“Surtout, d’un point de vue réglementaire, nous nous sommes dit que c’était l’occasion de commercialiser des produits à base de chanvre qui peuvent respecter la réglementation en vigueur”, sourit Antonin Cohen. Mais ils rencontrent un problème. À l’époque, il est difficile de se fournir en CBD. Personne en Europe ne fait de l’extraction de CBD ou ne cultive du chanvre pour en extraire le CBD.

En 2013, ils passent de la théorie à la pratique en expérimentant la culture de chanvre dans le Sud de la France, près de Marseille. Ils font des tests de plantation, de culture, de récolte et d’extraction de CBD, manuellement, de façon à pouvoir faire des essais. Puis, ils cherchent des laboratoires d’extraction et des partenaires.

À l’époque, la situation réglementaire n’était pas clarifiée concernant la récolte des fleurs. Mais l’interprétation des textes peut varier et être comprise dans un sens comme dans l’autre. Dans l’arrêté de 1990, il est fait mention de la fibre et de la graine, mais un flou subsiste. Ce point a été débattu puis clarifié par les autorités publiques. Les deux entrepreneurs décident donc d’extraire le CBD de toute la plante de chanvre.

Ils produisent leur prototype Kanavape avec du chanvre français. Et décident de se concentrer sur les produits de la vape parce qu’ils estiment que ce produit peut être très utile pour les fumeurs. En effet, leur commercialisation, à l’époque, ne nécessite pas d’enregistrements spécifiques, c’est donc plus rapide. “À l’époque, nous nous disions qu’il existait des e-liquides à la nicotine, une substance qui, pure, peut être toxique alors que le CBD ne l’est pas. Nous pensions donc prendre des risques minimes”, se remémorent les deux entrepreneurs. Pour être sûrs de leur coup, ils prennent même conseil auprès de scientifiques mondialement connus et spécialisés dans les cannabinoïdes, dont le chimiste israélien Raphael Mechoulam. D’après les recherches, on leur confirme que ce produit ne pose pas de problème de santé publique et qu’il n’y a pas de problème à consommer du CBD.

Entre la République tchèque et la France

Les voilà rassurés, ils sont enthousiastes à l’idée de commercialiser un produit nouveau. Ils ne savent pas si ce sera un succès commercial car le marché n’existe pas encore en France, mais ils sont sûrs que c’est un bon moyen de proposer un produit légal à base de chanvre et d’éduquer les gens sur ces nouveaux usages. Leur objectif est simple : montrer que le chanvre ne se résume pas à fumer la fleur pour avoir l’effet euphorisant.

Sébastien Béguerie a des contacts en République tchèque. Pour disposer d’une quantité suffisante pour ne pas se trouver en rupture de stock, ils décident d’industrialiser la production et l’extraction de CBD. Et comme ils n’ont pas les ressources nécessaires, ils visitent des laboratoires d’extraction et se mettent en relation avec des cultivateurs de chanvre. “C’est un pays qui a une tradition de l’usage du chanvre, expliquent-ils. À l’époque, à Prague, on trouvait déjà plein de produits dérivés à base de chanvre dans les boutiques. Les grand-mères tchèques faisaient des crèmes à base de chanvre, par exemple.” Ils y implémentent donc leur centre de production.

Économiquement, le choix de la République tchèque n’est pas anodin. Les fondateurs de Kanavape n’ont que 30 et 28 ans et pas forcément de grands moyens financiers. Et là-bas, le coût de la vie est plus bas qu’en France. “Nous n’avions pas d’investisseurs, moi j’y ai investi toutes mes économies. J’ai même demandé un prêt conso de 10 000 € à ma banque avec 8 % de taux d’intérêt”, sourit Antonin Cohen.

Deux dans un appart’

En mai 2014, Antonin Cohen démissionne de son job à Londres et rejoint Sébastien Béguerie à Prague. Ils y louent l’appartement-hôtel le moins cher possible afin de garder un maximum de budget pour créer le premier batch de production de Kanavape. Ils investissent un peu plus de 30 000 €. C’est dans cet appart’ qu’ils ouvrent leurs bureaux et vivent ensemble dans un pur esprit start-up. Jusqu’en octobre, ils ne font que travailler sur Kanavape. Ils créent le concept, le packaging, expérimentent les prototypes que Sébastien met au point et préparent ensemble la communication pour le lancement.

C’est Antonin Cohen qui est chargé de la com’, il avertit ses partenaires qu’il veut un maximum de visibilité pour faire connaître le produit, mais également le CBD, une molécule en laquelle il croit beaucoup. Un nom de produit qui frappe les esprits est trouvé, ce sera Kanavape. “Nous sommes entrepreneurs, mais à la base nous sommes des activistes. Nous voulons éduquer les gens et résoudre des problèmes de société. Alors, oui, nous avions une petite appréhension mais nous ne nous attendions pas à avoir un tel buzz médiatique qui nous a un peu dépassés, admet Antonin Cohen. A posteriori, nous aurions fait certaines choses un peu différemment pour éviter d’avoir à affronter la procédure judiciaire, qui nous a beaucoup pesé et stressés. Mais en tant qu’activistes, c’est notre rôle d’être en première ligne, de prendre des coups pour faire bouger les lignes.”

Buzz foudroyant

Avant la sortie commerciale, la team Kanavape a tout de même quelques doutes et s’attend à rencontrer des difficultés. Elle décide de s’y préparer en faisant appel à un cabinet d’avocats qui rédige un rapport complet concernant la légalité du produit. Elle monte aussi un dossier commercial transparent sur le produit et sa fabrication.

Estimant que le produit est légal, Kanavape décide d’organiser une conférence de presse à Paris, le matin du 15 décembre 2014. Mais en arrivant, l’équipe ne s’attend pas à voir une salle aussi bondée de journalistes. En effet, tous les médias nationaux télé, radio, presse écrite s’y bousculent. “C’était ma première conférence de presse. Et à la fin, j’avais dix micros tendus devant moi et les caméras qui me filmaient”, sourit Antonin Cohen. 

C’était stressant mais je savais pourquoi je le faisais, du coup je n’ai pas reculé.” Lors de la conférence, ils assument : On risque de créer une petite controverse, c’est aussi notre objectif. Beaucoup de gens ont besoin de ce produit. Alors, on prend le risque.” Par prudence, Kanavape organise un prélancement commercial pour tester les réactions que le produit va générer.

En un éclair, le buzz prend et dès la mi-journée, la ministre de la Santé de l’époque, Marisol Touraine, indique sur RTL qu’elle va saisir la justice pour demander l’interdiction de Kanavape. “Je suis opposée à ce qu’un tel produit puisse être commercialisé en France” parce que “cela constitue une incitation à la consommation de cannabis” qui est “potentiellement répréhensible par la loi”, explique la ministre. Kanavape réagit en publiant un deuxième communiqué de presse. Le buzz dure une semaine. a société décide de stopper la précommercialisation de Kanavape en France et est contactée dans la foulée par l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé), à qui ils fournissent leur dossier, au début du mois de janvier 2015.

Le CBD en GAV

Début 2015, la gendarmerie ouvre une enquête et procède à des perquisitions aux domiciles des gérants. Lorsqu’il apprend la nouvelle, Antonin Cohen se rend à la gendarmerie la plus proche et entame une garde à vue. Il a la chance de ne pas y passer la nuit, mais quand midi sonne et qu’Antonin demande naïvement s’il y a des endroits sympas où déjeuner, les gendarmes lui répondent évidemment que, lui, ne peut pas sortir manger. “Je me retrouve donc en cellule, sans ceinture, sans lacets, à lire les messages gravés sur les murs. Et je me demande pourquoi moi, un entrepreneur, qui propose un objet utile pour la vie des gens se retrouve enfermé entre quatre murs.”

Du côté de Sébastien Béguerie, la perquisition se déroule au siège social de la société, domiciliée chez son père. Il arrive sur les lieux en urgence après que son père l’a appelé, catastrophé. “Ce fut un véritable choc car en plus d’une garde à vue qui a duré plus de 20 heures, mon père a dû subir une atteinte à sa vie privée”, déplore-t-il. En effet, réveillé à 5 heures du matin, il doit rester en pyjama durant 5 heures sans pouvoir se restaurer, contraint de laisser la porte des toilettes ouvertes tout en étant surveillé par un gendarme armé jusqu’aux dents. Ordinateurs, disques durs, équipements, stocks de produits sont confisqués, faisant ainsi perdre des années de travail de Sébastien Béguerie et d’investissement pour Alpha-Cat et Kanavape. Pendant la garde à vue, les gendarmes répètent à Sébastien : “Monsieur, on comprend que vous n’êtes pas un trafiquant et que votre démarche est sincère, vous êtes juste en avance sur votre temps.” C’est là qu’il décide de partir s’installer à Prague et repart de zéro.

Grâce à Alpha-Cat, il repart rapidement et continue son aventure entrepreneuriale. Cela lui permet aussi de persévérer dans son investissement personnel avec Kanavape en attendant que les ventes soient au rendez-vous.

Première condamnation

Pendant que l’affaire Kanavape a éclaté en France, la société s’est fait connaître dans le monde entier grâce à un immense buzz médiatique, plus de 10 000 articles sont publiés dans les médias de par le monde. Les demandes de distribution affluent de partout sur leur boîte mail. Mais comme ils ont peu de budget, ils sont à flux tendu et doivent attendre que les clients payent pour acheter les différents composants et pouvoir fournir les produits.

Finalement, le procès a lieu le 4 décembre 2017 au tribunal correctionnel de Marseille. Antonin Cohen et Sébastien Béguerie arrivent plutôt confiants, armés de leur dossier légal et accompagnés de leurs avocats. Malgré tout, c’est la douche froide, les juges du parquet de Marseille requièrent dix-huit mois de prison avec sursis et une amende de 15 000 euros à l’encontre de Sébastien Béguerie et d’Antonin Cohen.

Le verdict tombe en janvier 2018. Ils sont finalement condamnés à 18 et 15 mois de prison avec sursis, 10 000 euros d’amende et 5 000 euros de dommages à verser au Conseil de l’ordre des pharmaciens qui s’est porté partie civile. Ils sont reconnus coupables de plusieurs infractions à la législation sur le médicament, mais sont relaxés du délit de provocation à l’usage de stupéfiants. Dans la foulée, leurs avocats annoncent leur intention de faire appel.

L’audience se tient le 23 octobre 2018 et la cour d’appel d’Aix-en-Provence surprend en faisant le choix, avant de juger, de saisir la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) d’une question préjudicielle sur la compatibilité de la réglementation française sur le CBD avec le droit européen, moins restrictif. Cette décision est déjà une victoire puisqu’elle va dans le sens des demandes des avocats de Kanavape.

L’Europe à la rescousse

La saisie de la CJUE entraîne encore des frais de plusieurs dizaines de milliers d’euros pour Kanavape. Et devant cette Cour de Justice européenne, Kanavape est opposé à la République française. Entre-temps, le 11 juin 2018, la Mildeca (Mission interministérielle de lutte contre les drogues et pratiques addictives) s’est positionnée sur le sujet, en précisant la réglementation de façon assez restrictive. Elle interdit notamment l’utilisation et la commercialisation de fleurs ou feuilles de chanvre, et les produits obtenus à partir de ces parties de la plante ne sont pas autorisés, quelle que soit la variété. Les e-liquides et autres produits à base de CBD sont interdits s’ils contiennent du THC quelle que soit la quantité et s’ils ne sont pas obtenus à partir de variétés et de parties de la plante autorisées.

Enfin, le 19 novembre 2020, la CJUE juge illégale l’interdiction en France de la commercialisation du cannabidiol (CBD), soulignant que cette molécule présente dans le chanvre (ou Cannabis sativa) n’a “pas d’effet psychotrope ni d’effet nocif sur la santé humaine”. L’arrêt de la CJUE concerne le cannabidiol “légalement produit dans un autre État membre de l’Union européenne lorsqu’il est extrait de la plante de Cannabis sativa dans son intégralité”.

La CJUE invoque “la libre circulation des marchandises” dans l’UE qui “s’oppose à une réglementation nationale” comme celle de la France, “dès lors que le CBD en cause […] ne peut pas être considéré comme un stupéfiant”. Pour Antonin Cohen et Sébastien Béguerie, cette décision est un véritable soulagement puisqu’ils ont investi dans cette affaire du temps (des centaines d’heures de travail) et de l’argent (plusieurs centaines de milliers d’euros en frais judiciaires).

“D’un point de vue personnel, c’est génial d’être reconnu comme un activiste, comme des entrepreneurs qui ont fait les choses de manière légale, transparente et utile aux gens”, commente Antonin Cohen. C’est aussi bon pour notre image personnelle, nous avons été lavés des jugements qui nous ont condamnés. Ça ne s’est pas joué à grand-chose, on aurait aussi bien pu tout perdre. C’est une victoire personnelle, mais c’est aussi une victoire pour l’industrie, que ce soit en France ou en Europe. La réglementation française est en train d’être modifiée et on espère vraiment une autorisation de la culture, de l’usage de la fleur et de l’extraction. C’est une honte en tant que premier producteur de chanvre en Europe de ne pas pouvoir produire de CBD et de voir des produits faits à l’étranger distribués en France de manière légale. Ça n’a aucun sens.” Il estime aussi que c’est une très bonne nouvelle au niveau européen puisqu’en fait, “à cette époque-là, l’Union européenne, sous l’influence notamment de la France, envisageait de classer le CBD comme narcotique.”

“Ce fut une énorme bouffée d’air et un moment de bonheur lorsque j’ai pu lire que la CJUE avait retenu les prérogatives de mon avocat Me Pizarro, ouvrant ainsi la voie pour l’industrie du CBD en France et en Europe”, ajoute Sébastien Béguerie.

En clarifiant la situation, la CJUE a rassuré et donné le feu vert à de nombreuses grosses sociétés qui se sont lancées sur le marché du CBD, que ce soient des fabricants ou des réseaux de distribution.

Aujourd’hui, la justice française n’a toujours pas statué définitivement sur l’affaire Kanavape par rapport à l’avis de la CJUE. Elle peut toujours condamner Sébastien Béguerie et Antonin Cohen, qui pourront se pourvoir en cassation.

Sébastien Béguerie et Antonin Cohen ne sont pas devenus riches grâce à Kanavape. Ils ont fait beaucoup d’investissements, et devaient en parallèle payer leurs avocats, ce qui a été très coûteux et a absorbé tous les bénéfices qu’ils faisaient grâce à leur société. “Pendant toutes ces années, nous avons vécu en République tchèque comme des étudiants, à dépenser le moins possible. Et de toute façon, à la base ce n’est pas facile de créer une société qui marche, surtout les premières années”, précise Antonin Cohen.

Les déboires judiciaires créent du stress entre les deux partenaires et logiquement, leur amitié s’écaille. Même si l’idée de lâcher l’affaire leur a traversé l’esprit de temps en temps, la cause pour laquelle ils se sont battus leur a permis de tenir. Aujourd’hui, ils estiment qu’il y a encore de nombreux problèmes à régler au niveau de l’usage du CBD et de l’usage du cannabis de manière générale. Désormais, les deux anciens associés continuent respectivement leur engagement d’activiste et œuvrent toujours à la reconnaissance du produit et à la recherche.

Les routes se séparent

Dès 2016, au milieu de ses ennuis judiciaires, Antonin Cohen a eu envie d’ouvrir un nouveau chapitre et s’est dit qu’il avait besoin d’harmonie dans sa vie. C’est comme ça qu’il a trouvé le nom de sa nouvelle société Meet Harmony, qu’il a créée la même année. Il commercialise une gamme d’e-liquides au CBD en format 10 ml. C’est une période où le CBD prend de l’ampleur au niveau des e-liquides. Dans cette gamme, on trouve des saveurs classiques de l’industrie de l’e-liquide, mais aussi des saveurs liées au chanvre pour des consommateurs de cannabis qui cherchent le goût unique de différentes variétés. Il crée et utilise des terpènes pour créer des profils de variétés connues comme la Mango Kush ou la Super Lemon Haze.

La demande des consommateurs est forte et accompagne la croissance d’Harmony. Deux ans plus tard, il crée une gamme cosmétique, qui représente aujourd’hui une part importante du chiffre d’affaires, qui est distribuée chez Monoprix depuis mai dernier. “On est vraiment ravi d’avoir des partenaires sérieux avec de gros réseaux de distribution.” Le but d’Antonin Cohen est de rendre ces molécules accessibles au plus grand nombre, c’est pour ça qu’il commercialise des produits de grande consommation qui s’adressent à des personnes sans grande connaissance sur le chanvre, sans se focaliser sur des produits de niche uniquement dédiés aux fumeurs de cannabis.

De son côté, Sébastien Béguerie surmonte ces tourmentes judiciaires grâce à son passé d’aïkidoka et sa philosophie rastafari. Il continue à innover et lance en 2016, en se basant sur son expérience scientifique sur les cannabinoïdes, une large gamme de produits aux CBD (huiles, capsules, cosmétiques) sous sa marque Alpha-Cat, tout en apportant sur le marché français un nouveau cannabinoïde non psychotrope, le cannabigérol (CBG). Ce CBG fonctionne de façon synergique avec le CBD en ayant une action directe sur le système endocannabinoïde. “Les données scientifiques montrent que le CBG aide au relâchement du corps et du mental en induisant une relaxation plus rapide et plus longue lorsqu’elle est associée au CBD”, détaille-t-il.

Sébastien Béguerie innove et travaille aujourd’hui avec de nombreuses marques françaises et européennes, pour qui il fabrique leur gammes de produits CBD, tout en les conseillant sur les tendances du marché du CBD. À travers Alpha-Cat, je m’intéresse aussi au bien-être des animaux, c’est pour ça que je lance bientôt une huile de CBD spécialement conçue pour les animaux de compagnie”, annonce-t-il.

En plus d’un service de façonnage de produit, il est consultant “Master Grower” aux USA et en Europe, affilié avec Quantum9 consulting, et l’International Cannabis and Cannabinoid Institut (ICCI). Étant expert dans son domaine, il est intervenu dans de nombreuses conférences internationales, à Londres, Berlin, Athènes, Varsovie, Prague, Milan, ou Tel- Aviv.

Avec Alpha-Cat, il a développé une belle notoriété, qui lui permet d’échanger et de coopérer avec des chercheurs universitaires et professionnels du cannabis médical de renommée mondiale, tels que le professeur Raphael Mechoulam, le professeur Lumír Hanuš, le Dr Ethan Russo ou le Dr Franjo Grotenhermen. 

Alpha-Cat et Golden Buds pour Béguerie, Harmony pour Cohen

Alpha-Cat, la marque de Sébastien Béguerie, propose une gamme complète de produits CBD à large spectre sans THC en huile, capsule et cosmétique fabriquées grâce à des ingrédients naturels végan produits dans le respect de l’environnement. Le tout est relevé avec une pointe de terpènes contenus dans l’extrait, ce qui permet de bénéficier de l’effet d’entourage, comme décrit dans les ouvrages Dr Ethan Russo.

Via Alpha-Cat, Sébastien Béguerie cherche à apporter sa pierre à l’édifice en dédiabolisant le cannabis et à réhabiliter son accès et son usage. Ses produits s’adressent à toutes les tranches d’âge et d’horizons différents (jeunes adultes, aux personnes du 3e âge, aux pratiquants de yoga, de golf, d’art martiaux, de sport en général, mais aussi aux personnes qui s’intéressent à l’usage des plantes pour le bien-être et qui recherchent une alternative aux produits pharmaceutiques traditionnels.

Alpha-Cat est distribué en France en parapharmacie, boutique bio, boutique de CBD et dans les commerces de proximité. Enfin, depuis la décision de la CJUE de novembre 2020, “nous commençons à entrer en contact avec de grands distributeurs d’e-liquides et d’accessoires pour les bureaux de tabacs”, détaille Sébastien Béguerie.

Harmony, quant à elle, réalise ses meilleures ventes avec ses sprays au CBD, aromatisés ou non. “C’est un type de produit top parce qu’il est très facilement dosable et très pratique à utiliser. Un spray correspond à une dose très précise. Nous indiquons d’ailleurs sur le packaging à quelle dose correspond un spray.” Harmony conseille d’ailleurs à ses clients de commencer avec 5 mg par jour, au début, puis d’ajuster la dose en fonction des résultats attendus. Leur gamme d’e-liquide continue à très bien fonctionner. La société a également lancé Tempo, un pod mod avec des capsules à vaporiser contenant 106 mg de CBD. Enfin, il y a Skincare, une gamme de produits de cosmétologie composée de quatre crèmes et baumes.

Pour l’avenir, Harmony travaille sur une gamme de compléments alimentaires, qui sera commercialisée d’abord en Angleterre. Antonin Cohen estime que ce secteur va considérablement se développer. Il attend avec impatience que la partie réglementaire de la Novel Food s’éclaircisse.

De son côté, le jour de l’annonce de la CJUE en novembre 2020, Sébastien Béguerie explique qu’en effet, croyant à un verdict positif, il a pu lancer sa nouvelle marque de vape pen appelé Golden Buds en mode Kanavape 2.0, reprenant le concept californien de cartouche de vape pen, le principe de ses premières Kanavape avec une cartouche préremplie au CBD et une batterie en stylo. Néanmoins, la technologie a évolué depuis et le contenu de la cartouche Golden Buds s’inspire des toutes dernières techniques d’extraction américaines. Techniquement, pour Kanavape, du PG/VG avec de l’isolat de CBD et des terpènes de chanvre étaient utilisés pour la version Hemp et des terpènes de menthe marocaine pour la version Mint. “Le taux de CBD n’était que de 5 %. D’ailleurs, ce concept de mixologie fut repris ensuite dans les e-liquides CBD avec au maximum 10 % de CBD isolé, explique le fondateur d’Alpha-Cat. Il est maintenant possible d’obtenir prêts à vaper des concentrés fluides de cannabinoïdes contenant 50 % de CBD, 10 % de CBG et d’autres cannabinoïdes secondaires, tout en gardant le THC inférieur à 0,2 %. Ce nectar peut se consommer directement par vaporisation, contrairement aux extraits classiques généralement utilisés dans l’industrie du CBD. J’y infuse habilement des terpènes issus du cannabis pour bénéficier de l’effet d’entourage.”

Un retour en France ?

Actuellement, Harmony a implanté ses deux sièges sociaux à Barcelone et à Londres. Plus par commodité géographique, puisqu’Antonin Cohen y a longtemps vécu. Mais il aimerait beaucoup développer davantage ses activités en France. “Nous avons un savoir-faire sur la culture du chanvre et l’extraction de principes actifs de plantes puisque nous sommes leader mondial sur la cosmétique. En tant qu’entrepreneur, j’ai envie de travailler avec les experts mondiaux sur ces sujets. Et puis en tant que français, c’est plus simple pour moi de travailler avec des personnes qui ont la même culture, la même langue. J’ai hâte que la réglementation évolue en France pour pouvoir y investir avec Harmony, travailler avec des chanvriers français, des laboratoires d’extraction et développer davantage mes activités. Je trouverais dommage que la France ne profite pas de cette opportunité économique pour créer des emplois.”

Aujourd’hui, Alpha-Cat rayonne à l’international et propose, en parallèle de ses outils d’analyse, de nombreux produits à base de CBD, avec notamment une gamme d’huiles, capsules et cosmétiques à destination du grand public. Par ce biais, Sébastien Béguerie souhaite pouvoir un jour continuer ces activités de production de CBD en France avec la mise en place d’un laboratoire ayant un permis pour la culture du cannabis médicinal et bien-être. Avec l’émergence du marché du CBD et l’expérimentation du cannabis médical en France, les portes vont s’ouvrir à une industrie du cannabis made in France et il souhaite y apporter son expertise. Il est persuadé que la France va suivre le pas du Canada en développant sa propre expérience. “Bientôt, nous trouverons des produits à base de cannabis répondant aux besoins des gens. Je travaille déjà en collaboration avec un CHU français réputé pour développer un essai clinique sur le CBD”, détaille-t-il.

Concernant l’évolution future du marché, le fondateur d’Harmony estime qu’elle va s’équilibrer entre la vape, les huiles et la cosmétique. “Aujourd’hui, la vérité c’est qu’une énorme part de la demande se fait sur la fleur. Personnellement, je trouve que c’est un super produit pour donner l’accès à un produit légal aux fumeurs de cannabis. Si on veut lutter contre le trafic illégal, il faut donner accès à ce produit-là. Jusqu’à présent, nous n’en avons pas commercialisé, mais je suis quelqu’un de très pragmatique. Aujourd’hui, des centaines de magasins vendent de la fleur. Ça répond à une demande et je préfère que ces gens-là achètent leurs produits en magasin plutôt que de consommer des produits incontrôlés sur le marché illégal. C’est ma position personnelle, j’essaie de la pousser auprès des autorités compétentes et des associations professionnelles. Tout le monde n’est pas d’accord, je sais que ça crée aussi des problèmes du point de vue de la différenciation avec les produits illégaux, mais il y a des solutions à mettre en place.”

Ce n’est pas un secret, la plante de cannabis passionne Antonin Cohen. Il souhaite la rendre accessible au plus grand nombre. Son rêve ? C’est que le cannabis soit utilisé dans les maisons de retraite. “C’est là où les consommateurs en auront le plus de bénéfices et pourtant, c’est dans ces endroits qu’il y a le plus de réticences. Les personnes âgées en ont une image trop négative. C’est pour ça que je fais une marque bien-être et grand public.” 

Pas que du business

S’il se concentre plus aujourd’hui sur ses activités entrepreneuriales, Antonin Cohen n’en oublie pas le militantisme et apparaît au bureau d’Active (Association for Cannabinoids, Terpenes, and Innovative Ventures in Europe) mais surtout du Syndicat professionnel du chanvre où il est le plus actif, qu’il a contribué à fonder. “Il y a une belle équipe en place, qui est très proactive et force de proposition. Nous travaillons notamment sur un label qui pourrait définir des standards de qualité.”

Au niveau personnel, Antonin Cohen souhaite avoir une approche globale du bien-être et s’intéresse à d’autres sujets connexes. “Le CBD n’est pas une molécule miracle. Le bien- être, c’est aussi améliorer son style de vie pour vivre avec plus d’harmonie. Je m’intéresse donc à des pratiques complémentaires qui permettent d’être mieux dans sa vie, dans son corps, dans son esprit, comme la diététique, le sport ou la psychologie. C’est pour ça qu’Harmony n’est pas une société de cosmétiques, de CBD ou de vape, nous sommes une société bien-être. Et nous voulons fournir à nos clients un ensemble de produits et de services qui leur permettent de se sentir mieux dans leur vie et d’atteindre un niveau de bien-être, de conscience qui leur permette d’être heureux dans leur vie.” C’est pour ça qu’il s’est mis récemment au yoga et à la méditation. À l’avenir, on peut donc s’attendre à d’autres surprises du côté d’Harmony.

De son côté, depuis 2020, Sébastien Béguerie a ajouté une corde à son arc en devenant formateur instructeur à l’Institut supérieur de cannabiculture (ISC) et membre du comité d’experts de l’initiative Cap Chanvre, qui aide les agriculteurs français à amorcer la transition pour convertir leurs cultures dites “conventionnelles” en champs de chanvre, préparant ainsi la future filière agricole française du chanvre bien-être.

Il coopère également avec de nombreuses marques de CBD pour qui il développe et fabrique leurs produits. “Je compte aujourd’hui parmi mes clients près d’une trentaine de marques, assure-t-il. J’offre ainsi un service de façonnage de produit à base de CBD en marque blanche, à la carte et en fonction du souhait de l’entreprise.”

Alpha-Cat travaille désormais en France avec des parapharmacies, des boutiques bio, des CBD shops et la distribution de commerce de proximité. Depuis la déferlante CBD de novembre suite à la décision de la CJUE, il est entré en contact avec de grands distributeurs d’e-liquides et accessoires pour les bureaux de tabacs. “J’observe de nets changements dorénavant. Qui aurait pu croire en 2015 que les revendeurs d’e-liquides, qui ne voulaient rien avoir à faire avec le CBD, seraient aujourd’hui les plus gros distributeurs de CBD en France ?, s’interroge-t-il. C’est gratifiant de voir les mentalités évoluer dans le bon sens sur ce sujet !”

Kanavape : l’affaire est close

Le 17 novembre, l’affaire Kanavape a connu son ultime épisode. En effet, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a rendu son délibéré. Après 7 longues années de poursuites pénales et de procédures, seul un chef de prévention sur sept a été retenu à l’encontre de Sébastien Béguerie, pour des faits d’usage de cannabis parfaitement étrangers à l’aventure entrepreneuriale Kanavape.

“C’est donc une victoire totale sur le fond du dossier, mais des années de combat pour une seule accusation d’usage puni par une simple amende de 250 €”, a rappelé maître Xavier Pizarro, avocat de Sébastien Béguerie à l’issue de l’audience.

Pour rappel, dans cette affaire, ces deux jeunes chefs d’entreprise marseillais, Sébastien Béguerie et Antonin Cohen, étaient pionniers en France quand ils ont commercialisé en 2014 la première cigarette électronique au CBD.

Sébastien Béguerie s’est réjoui de cette victoire et d’être “enfin reconnu comme un entrepreneur innovant et non comme un délinquant”. Il espère que dans le sillage de cette décision “la France va saisir la formidable opportunité économique que représente le cannabis en sortant de sa posture idéologique”. Pour participer à ce mouvement, il vient d’ailleurs de relancer la marque Kanavape.

Maître Xavier Pizarro – par ailleurs intervenant devant le Conseil constitutionnel dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité pour le compte de l’Union des Professionnels du CBD (UPCBD) qui devrait être examinée au mois de décembre – espère que cette audience “fera que la France va enfin se mettre à soutenir les entrepreneurs du cannabis plutôt que de les poursuivre vainement devant les tribunaux”.

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