D’lice fête ses 10 ans. Le fabricant d’e-liquide français est aujourd’hui une des marques les plus anciennes et parmi les leaders de l’offre de sevrage tabagique. Retour sur une histoire où la conviction et l’intégrité jouent un rôle essentiel.
L’Amérique, je veux l’avoir, et je l’aurai
Les histoires des grands acteurs de la vape sont toujours des histoires de hasard. Dans le cas présent, tout commence la veille d’un voyage aux Etats-Unis, comme l’explique Norbert Neuvy, président et créateur, qui nous raconte l’histoire avec Jean-François Douenne, le directeur général.
« Nous allions partir aux USA pour quelques jours de vacances avec mon épouse et mes filles, en 2008. La veille du départ, nous avions été voir une comédie musicale, Grease, à Paris. Sur scène, à un moment, j’ai vu des acteurs qui tenaient une pseudo cigarette, et qui donnaient vraiment l’impression de fumer sur scène. Ça m’a fortement interpellé. Ayant fait mon service militaire dans les pompiers de Paris, je connaissais les règles de sécurité… elles sont très strictes dans les théâtres parisiens, qui sont souvent de vieux établissements : interdiction de fumer, et à plus forte raison sur scène. »
La petite famille embarque le lendemain pour la Floride, et le destin insiste. « Nous étions dans un mall, un grand supermarché américain, et là, je tombe sur un stand de cigarette électronique. J’ai testé le produit, puis j’ai fini par m’équiper. À l’époque, c’était une Kanger 808, avec le bout rouge. J’ai acheté plusieurs batteries, et des cartouches scellées, j’en ai pris pour 300 euros, c’était un sacré investissement. »
Chroniques de la défume
Et Norbert arrête totalement la cigarette, en deux jours « avec l’aide de mes filles, qui me disaient : tiens c’est du café, tiens c’est de la menthe. Beaucoup mieux que de sentir la clope. Ma toute dernière cigarette, je m’en rappelle, c’était en bord de mer, le 31 décembre 2008. Je me revois fumer, puis jeter machinalement le mégot, là je me suis dit : mais je suis un gros connard ! Et c’est à cet instant que je me suis fait la promesse de ne plus jamais fumer. »
Mais, au retour en France, les choses ont changé. « Depuis un an, il y avait l’interdiction de fumer dans les bars et restaurants. Avec mon épouse, nous allons toujours dans le même petit resto le midi, à la pause déjeuner, et les clients étaient étonnés de me voir avec ça. J’ai passé mon temps à expliquer et à répondre aux questions. »
Mais prêcher la bonne parole ne suffit pas : « Les gens étaient de plus en plus insistants, les copains me demandaient où ils pouvaient en trouver. J’ai commencé à me renseigner, je suis entré en contact avec un revendeur en France, qui m’a fait une proposition tarifaire pour équiper les copains. Mais c’était un peu élevé. Du coup, j’ai poursuivi mes recherches, en cherchant cette fois-ci directement le fabricant. Là, je suis tombé sur le site Alibaba. Le plus dur, ça a été de trouver le même modèle, puis j’ai passé une petite commande, pour les copains. »
Norbert Neuvy commence à distribuer ses modèles. « Au départ, c’était pour les copains, je leur offrais le kit, pour moi, ce n’était pas un commerce. »
Un succès inattendu
Mais le bouche à oreille joue à plein : « après les copains, à qui je faisais cadeau des kits, ça a été les copains des copains. À un moment, je ne peux pas fournir tout le monde, je décide donc de monter une petite société. »
Et, comme tout créateur d’entreprise, Norbert Neuvy va voir sa banque, à laquelle il avait déjà son compte de prothésiste dentaire. « J’ai expliqué mon projet au banquier, chez qui j’étais depuis 20 ans, et il m’a répondu qu’il en était hors de question, que la banque n’allait pas financer une activité liée au tabac ou à la nicotine. J’ai pris une décision. En tant que prothésiste dentaire, j’avais droit à un découvert autorisé de 15 000 euros dont je n’avais pas besoin. J’ai dit au banquier : je prends mon découvert. Ça m’a servi à acheter de la marchandise en Chine, seule solution que j’avais trouvée. »
À partir de là, Norbert commence à vendre de la vape dans son laboratoire de prothésiste dentaire. « À chaque fois qu’un client venait, je devais arrêter mon travail et expliquer pendant une heure. Le retard, je le rattrapais le samedi et le dimanche. Je travaillais sept jours sur sept, je ne voyais plus ma famille, ce n’était pas tenable. La solution, c’était d’ouvrir une boutique physique. Ça a été Liberté de Fumer, la première en France… Peut-être. »
Jean-François Douenne, le directeur général de D’lice, explique : « Il y a un doute sur qui était la première boutique physique en France, entre Liberté de Fumer et Tom’Clop, au Havre. À une semaine près, on n’a jamais su qui c’était. »
À ce jour, la boutique de Brive-la-Gaillarde existe toujours et elle est aujourd’hui la plus ancienne de France (ça c’est certain) . Le premier employé est Julien Proust. « Julien a été un de mes premiers clients, se souvient Norbert. De temps en temps, il passait au cabinet de prothésiste, il donnait un coup de main pour expliquer aux clients le fonctionnement de cet ‘objet magique’. À l’époque, il travaillait dans l’électronique sur Brive, en intérim. Je lui ai proposé de travailler avec moi, il a accepté. »
Une embauche épique, comme se souvient Norbert : « Je lui ai fait signer son contrat sur le parking de la boîte où il travaillait, sur le capot de la voiture ! Après, ça a bougé. Il est passé de vendeur à préparateur de commandes, puis à la gestion du dépôt, puis responsable logistique, poste qu’il occupe aujourd’hui, 12 ans plus tard ». Et ce n’est pas la seule histoire de fidélité chez D’lice.
« La période était super sympa, on était insouciants, on aidait les gens à arrêter de fumer et ça nous rendait heureux » évoque Norbert.
La naissance de D’lice
Mais comment passe-t-on d’un vape shop à une marque de liquides ? « Quand on n’a pas trop de moyens, on fait avec les moyens du bord, on commande en Chine du matériel, mais aussi du liquide », explique Norbert Neuvy. J’avais demandé, plusieurs fois, à avoir la traçabilité et les fiches de données de sécurité. Mais je n’obtenais jamais de réponse de leur part, ce que je trouvais inadmissible. Moi, les vaper, ça ne me dérangeait pas, mais les vendre à mes clients, à des gens qui me font confiance, sans être sûr de la composition exacte des produits, du taux de nicotine, de la présence éventuelle d’allergènes, etc. me posait un problème éthique ».
Et la décision est emportée par un incident : « Les Chinois sont taxés à l’exportation. Et, en 2011, je passe une commande qui n’arrive pas. Je suis contacté par les douanes, qui m’expliquent que j’ai commandé des produits nicotinés en Chine, et que les factures jointes au colis ne sont pas en adéquation. De mon côté, je leur ai expliqué très clairement que j’avais les documents stipulant ce que j’avais commandé, que je n’étais pas responsable de ce qu’il y avait dedans. Mais la douane a envoyé des échantillons en analyse, et, en attendant, le colis a été bloqué. »
Ce qui pose un problème, car il commençait à manquer de stock pour mes clients de Brive. “Et là dessus, la DGCCRF arrive. Le moins qu’on puisse dire, c’est que ça ne s’est pas bien passé. Il y avait un homme et une femme. L’homme a pointé tout ce qui n’allait pas, et m’a dit : ‘vous allez stopper tout ce que vous faites’. Moi, j’ai rué dans les brancards, je leur ai dit : ‘maintenant vous sortez de mon bureau, si vous faites peur aux gens qui essaient de monter une entreprise et que vous les menacez alors expliquez-moi ce qu’on peut faire ensemble. On va travailler en bonne intelligence, mais sur le moment, c’est pas vous qui allez gagner.’ »
La situation se tend. « Et à ce moment-là, la dame a dit à son collègue ‘et si tu allais fumer une cigarette dehors ?’. Il sort, et elle m’explique qu’elle venait d’une famille d’entrepreneurs, et que si j’acceptais de me calmer, on allait trouver des solutions. Elle a été adorable et à l’écoute de nos problématiques. À partir de là, nous avons travaillé en bonne intelligence et dans de bonnes conditions. »
Aide-toi et la vape t’aidera
Puis, une galère n’arrivant jamais seule, une livraison de matériel venant de Chine n’était pas conforme : « Le matériel que je commandais chez un fournisseur avait été copié par lui, et les pas de vis étaient différents. Plus moyen d’adapter les résistances, j’ai dû remplacer gracieusement tout le matériel de mes clients. J’en voulais au grossiste, et à un moment, trop c’était trop. J’ai décidé de ne plus travailler avec la Chine. »
Cherchant une alternative, Norbert trouve un distributeur pour le matériel, mais pas pour les liquides. « La seule solution, c’était Alfaliquid. J’ai pris contact avec eux . À l’époque, c’était monsieur Martzel père, qui a été très sympa et m’a envoyé de nombreux échantillons. Mais ce n’était pas bon. »
Norbert Neuvy et Jean-François Douenne éclatent de rire, avant que Norbert reprenne : « Évidemment non, les liquides Alfaliquid sont très bien, et nous nous entendons très bien avec la famille Martzel. J’en profite pour m’excuser, avec 10 ans de retard, pour ne pas avoir donné suite à l’envoi d’échantillons. Mais à ce moment-là, j’étais en train de me dire que j’étais capable, moi aussi, de créer mes propres liquides. Je me suis mis en quête d’un aromaticien et d’un laboratoire. Et cinq mois plus tard, j’avais une gamme de 12 liquides »
« Nous avions travaillé sur les recettes, et au moment de les sortir, il nous fallait un nom commercial. Un soir, un client, un habitué, était resté prendre un verre après la fermeture de la boutique. Je lui faisais goûter les liquides, et je lui ai dit qu’on cherchait un nom. »
Jean-François Douenne enchaîne : « Ce client, c’était moi. Je lui ai répondu que ses liquides étaient délicieux, et qu’il n’avait qu’à les appeler délice, mais avec une orthographe un peu originale, D’lice. »
Philosophie générale
Et la gamme ne cesse d’augmenter, se taillant un joli succès dans les boutiques, avec une philosophie presque inchangée.
Jean-François, Directeur Général de D’lice, explique : « On s’inscrit dans le sevrage tabagique, pour ne pas partir dans tous les sens. D’ailleurs, Norbert a toujours mis son véto pour partir dans le toujours plus. Comme il le répète toujours » et les deux ensemble : « Les poumons ne sont pas des estomacs. »
Jean-François poursuit : « Même les étiquettes sont sobres. C’est un choix. Le slogan, c’est ‘D’LICE, des liquides de bon goût’, et vous pouvez l’interpréter de toutes les manières. »
La naissance d’un liquide
Comment se crée un liquide chez D’lice ? Jean-François et Norbert expliquent tour à tour : « Nous avons deux équipes d’aromaticiens. Quand on a une idée, on leur envoie un brief, avec des consignes très précises. L’équipe produit des échantillons, que l’on goûte. Fréquemment aussi, nous passons deux ou trois jours avec l’équipe, pour tester, affiner les recettes en temps réel. »
Ensuite. quand le liquide est validé, il part en enregistrement, puis en production. « Nos exigences vont autant sur le goût que sur la qualité sanitaire du liquide, souligne Jean-François Douenne. Par exemple, nous avons mis pratiquement deux ans pour sortir un caramel, parce que le taux de diacétyle était au-delà de la norme. Aux analyses, il ne validait pas les critères de la certification Afnor. »
À ce stade, il convient d’expliquer que le diacétyle, même s’il n’est plus permis d’en ajouter dans un e-liquide, est contenu naturellement par certains arômes. La certification Afnor à laquelle adhère volontairement D’lice fixe une marge de tolérance encore plus basse.
« Chez D’lice, tous les e-liquides sont certifiés, sauf les 50 ml, qui sont sortis récemment, explique Jean-François Douenne. Les 50 ml sont en cours d’enregistrement, ils suivent les recommandations de la norme Afnor et seront également labellisés Origine France Garantie. »
Quels sont les best-sellers D’lice ? « USA Classic en première et Menthe Fraîche en deuxième position », répond Norbert Neuvy. Jean-François Douenne ajoute : « nous faisons partie des marques référentes en 10 ml. Déjà parce que nous sommes parmi les marques les plus anciennement installées, avec Alfaliquid et VDLV, et parce qu’il existe toujours un marché pour ce contenant. »
D’lice, une marque de caractère
On reconnaît la patte Norbert dès qu’on pose la question sur les projets de D’lice. « On travaille sur un lait infantile nicotiné. Après tout, la mode est aux puffs jetables, on voit des gamins devant les écoles, qui ont 12-13 ans, qui vapent là-dessus, alors pourquoi ne pas les chercher directement au berceau ? ». Sous cette blague très sarcastique, qui a qui a d’ailleurs été le running gag de l’interview, on reconnait l’engagement de toute l’équipe D’LICE qui milite pour une vape responsable.
« Il y a des boutiques qui font très bien le travail, et d’autres qui font n’importe quoi, explique Norbert. La vape a tendance à oublier que c’est avant tout un outil de sevrage. Il y a quelques années, nous avions deux ou trois millions de vapoteurs en France, selon les chiffres, aujourd’hui, cela n’a pas changé. Il y avait 14 millions de fumeurs, et il y en a toujours autant. Pourquoi ? Je pense que certains ont oublié à quoi servait la vape. Le marché est dans une crise d’adolescence. Nous, on va serrer les fesses, nous allons défendre nos valeurs, en espérant que les dirigeants ne nous prennent pas trop en grippe et que la crise d’ado passe. »
Dix ans plus tard
Et donc, D’lice fête ses 10 ans. Et prévoit de fêter ça dignement.
Jean-François détaille : « Dans la gamme D’lice XL, nous allons sortir un café noisettes grillées. À titre personnel, je le trouve très sympa, souligne-t-il en exhibant son clearomiseur. Également prévu, un fruit du dragon/litchi très bien équilibré, qu’on aime beaucoup, nous en sommes très fiers, et on a hâte de le faire découvrir en avril prochain. Et puis une sortie mystère, le e-liquide des dix ans qui sortira dans l’année. »
Il est temps de poser la dernière question, et, forcément, elle est pour Norbert. Dix ans de D’lice plus tard, et si c’était à refaire ? Norbert, dans un grand sourire « et si c’était à refaire ? Oooooh oui, je le referais. »