Les vendredis sont une journée particulière. Celle de l’article du même nom, certes, mais pas seulement. Ils sont un territoire dangereusement proche d’un autre, obscur et lugubre, gris mais sans magnificence, où seuls s’entendent les bâillements d’ennui et le cliquetis des lettres de Scrabble. 

Le jour maudit

Le dimanche détient la palme, sans conteste, de la journée la plus barbante de la semaine. On commence à s’y ennuyer fort tôt, parfois même avant le petit déjeuner. Et l’ennui est un exercice encore pire lorsqu’on l’effectue le ventre vide.

Alors on sort avec sur le dos les quelques fringues qui nous sont tombés sous la main, et on marche dans le froid et sous la pluie jusqu’à la boulangerie pour acheter quelques croissants afin de faire un bon petit déjeuner douillet. De retour à la maison, on est gelé, trempé, mais bien réveillé, et on trouve un peu ridicule de se remettre en pyjama pour bouffer deux malheureux croissants, la magie cosy de l’instant s’étant évaporée depuis longtemps.

Certains objecteront que le dimanche, c’est l’occasion de passer du temps en famille, de jouer à des jeux de société, voire d’aller se promener en forêt. C’est aussi l’occasion de passer du temps avec des amis, de jouer à des jeux de société, voire d’aller se promener à la mer. C’est même parfois l’occasion de passer du temps avec de parfaits inconnus, de jouer à des jeux de société et de finir en garde à vue après qu’ils aient porté plainte pour harcèlement.

(Crédit photo : Pxhere/publicdomain)

Le jeu du diable

Le jeu de société du dimanche par excellence, c’est le Scrabble. Je hais le Scrabble. Curieusement, et c’est quelque chose qui me laisse toujours perplexe, tous les gens qui me connaissent un peu sont persuadés que, comme j’aime les mots, je dois aimer le Scrabble. Mais pas du tout, voyons ! J’aime les mots lorsqu’ils sont imprimés les uns à la suite des autres sur une page de bon papier, dans une jolie police de caractère, souvent d’une belle encre noire, sauf parfois maison, et qu’ils veulent dire des choses.

Alors quelqu’un peut m’expliquer le rapport avec les lettres sur des petits bouts de plastiques avec lesquels on essaie d’écrire le mot qu’on peut ? Quand on aime les mots, on ne s’efforce pas d’écrire celui qu’on peut écrire, mais on s’efforce de chercher celui qui doit être écrit. Nuance. L’amour des mots, c’est l’antithèse du Scrabble. 

Bref, les jeux de société, autant d’occasions de s’ennuyer ensemble plutôt que seul, mais, soyez honnête, est-ce que vous voyez vraiment une différence ? Autant s’ennuyer seul, au moins, on évite les disputes. Oui, les disputes. « Est-ce que WXZRJY est dans le dictionnaire ? Est-ce que je peux lui mettre un S pour qu’il compte triple ? ». Tsss.

(Crédit photo : Pxhere/publicdomain)

Le G.O de l’enfer

L’ennui rend fou. Tenez, moi-même, je suis à la fois pour et contre le travail le dimanche. Pour, parce que la recette secrète pour un jour de congé réussi, c’est de savoir que tout le monde bosse pendant ce temps. Et contre, parce qu’il y a de forts risques que, si les gens travaillent le dimanche, alors moi aussi, et du coup, ça ne sert plus à rien.

Le dimanche, c’est le jour de Michel Drucker à la télé. Moi, quand je vois Drucker, je repense à mon enfance, à la fin des années 70, début des années 80, du siècle d’avant oui, et merci de vous dispenser de commentaires sur mon gâtisme avancé.

Donc, Drucker était déjà là, il faisait grosso modo la même émission avec les mêmes gens, et donc, ça me rappelle mon enfance, les premiers dessins animés japonais, Goldorak, San Ku Kai, et c’est à ce moment là que je réalise que j’aimais tout, à cette époque, sauf les émissions de Drucker. Et qu’il en reste rien de tout ça. Sauf les émissions de Drucker. D’accord, à l’époque, elles passaient le samedi soir, mais vous pinaillez, il y a quoi, après le samedi ? Le dimanche, absolument. Tout est lié à partir de minuit. 

L’enfer de la malédiction

Il y a une magie, le dimanche ; mais c’est une magie sombre, issue d’un rituel obscur concocté au fond d’un donjon profond par un sorcier maléfique psalmodiant des incantations démoniaques. Vous croyez que j’exagère ? Et bien, vérifions : prenez votre film préféré. Regardez le le lundi, il vous fera un bien fou. Passez le vous le mercredi, vous allez le trouver génial. Le vendredi, vous l’adorerez. Et le dimanche après-midi, il sera nul.

Mais attention : évidemment, l’inverse n’est pas vrai. Un film que vous trouvez nul le reste de la semaine ne sera pas formidable un dimanche. Il sera pire.

Il y a un film qui s’appelle « l’enfer du dimanche », et, un moment, j’ai pensé qu’il parlait de cette angoisse existentielle qui me saisit le samedi à 23 H 59. Mais pas du tout. Il parle de baseball, et il n’est pas très intéressant, même quand on le regarde un mercredi.

Et cette haine du dimanche m’a poursuivi toute ma vie, jusque dans ma vie de vapoteur. Oh, je vous vois bien ricaner derrière votre écran, mais si, pourtant, c’est vrai. Tenez, une idée de recette pour un liquide qui s’appellerait « le dimanche » : de la base neutre avec 0,01 % d’arôme brocoli.

Mais blague à part, je l’ai constaté empiriquement. Une résistance de reconstructible faite le dimanche délivrera une vape plate et fade, sans puissance ni saveurs. Alors qu’une résistance faite le lundi matin entre le premier et le deuxième café, en quatrième vitesse pendant que la salle de bains chauffe, sera nerveuse et roborative. Pleine de satisfaction et de ce bonheur d’être au moment de la semaine le plus éloigné du prochain dimanche.

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