Un avocat revient sur l’affaire qui oppose un buraliste et un vendeur d’e-cigarettes accusé de concurrence déloyale. Le fait que le Tribunal de Toulouse ait donné raison au buraliste le 9 décembre 2013 soulève des questions importantes. Retour sur les éléments clés du procès et analyse juridique avec Matthieu Bourgeois, avocat au Barreau de Paris.

Un vendeur d’e-cigarettes accusé de concurrence déloyale

Matthieu Bourgeois (KGA Avocats) revient sur l'affaire qui oppose un buraliste de Toulouse et un vendeur d'e-cigarettes

Matthieu Bourgeois (KGA Avocats) revient sur l’affaire qui oppose un buraliste de Toulouse et un vendeur d’e-cigarettes

A la demande d’un exploitant de débit de tabac/presse, le tribunal de commerce de Toulouse a condamné, par jugement du 9 décembre 2013 (RG n°2013J1206), une société exploitant une boutique dédiée à la vente de cigarettes électroniques en Haute-Garonne, en considérant que la vente de ces produits serait « constitutive d’un acte de concurrence déloyale » au préjudice des commerces de débit de tabac.

De quoi S’agissait-il ?

Un commerçant (la société E) vendait des cigarettes électroniques dans un point de vente situé dans la même rue que celle d’un commerce de débit de tabac (la société H). La société E utilisait sur son site Internet des logos rouge/blanc et bruns reprenant à l’identique les couleurs et polices typographiques des marques « Marlboro » et « Camel », en association avec le mot « tabac ».

La société H a assigné celle-ci devant le tribunal de commerce de Toulouse, afin de réclamer la cessation de toute promotion et vente d’e-cigarettes, ainsi que la condamnation à lui verser la somme de 5 000 € à titre de dommages et intérêts.

Quelle a été la réponse du tribunal ?

Le tribunal a condamné la société E en considérant :

  • d’une part, que la vente d’e-cigarettes relève du monopole d’Etat sur la vente de tabac, aux motifs que les cigarettes électroniques relèveraient des articles 564 decies (2°) du Code général des impôts et L.3511-1 du Code de la santé publique, qui assimilent aux « produits du tabac » les « cigarettes et produits à fumer, même s’ils ne contiennent pas de tabac ».
  • d’autre part, que les visuels utilisés par le défendeur constituent des actes de publicité indirecte rappelant un produit du tabac interdit par l’article L.3511-4 du Code de la santé publique.

La société E est ainsi condamnée à cesser toute vente de ses produits (ainsi qu’à payer à l’exploitant du débit de tabac une indemnisation de « 1 € symbolique » et la somme de 3 500 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile (remboursement des frais de justice engagés). La société E a formé appel de cette décision, ce qui a pour effet d’en suspendre l’exécution.

Avant d’apprécier la solution, quelques rappels

Rappelons qu’une cigarette électronique (aussi appelée « e-cigarette ») est un dispositif composé :
(i) d’une « batterie/pile »,
(ii) d’une « cartouche » ou réservoir,
(iii) d’un « atomiseur » (au sein duquel sont logées une résistance chauffante ainsi qu’un capteur sensible aux aspirations),
(iv) d’un « embout ».

Le phénomène d’aspiration, provoqué lorsque l’utilisateur inspire par l’embout, déclenche aussitôt la résistance chauffante qui porte l’e-liquide à l’état gazeux et que l’utilisateur inhale ensuite. Il n’y a donc pas, à proprement parler, de « combustion ».

L’e-liquide présent dans la cartouche est, quant à lui, composé majoritairement :
(i) de propylène glycol ou glycérol (agents humectant permettant l’effet « fumée »),
(ii) d’arôme(s) (tabac, fruits…),
(iii) et, dans certains cas seulement, de nicotine.

Une décision critiquable sur l’assimilation des e-cigarettes aux produits du tabac

Pour assimiler les e-cigarettes à la catégorie « produits destinés à être fumés, même s’ils ne contiennent pas de tabac », le tribunal estime que ces catégories recouvriraient « tous les produits dégageant un fluide gazeux chaud que l’on peut inhaler ». Or, cette définition, crée par le Tribunal, semble bien trop large puisqu’elle pourrait conduire absurdement à assimiler par exemple à des produits du tabac, une tisane ou une soupe brûlante (qui dégage bel et bien une fumée qu’il est possible d’inhaler).

Afin de justifier cette qualification, les juges se réfèrent ensuite à la définition donnée par l’Académie française du verbe « fumer », laquelle renvoie à l’action de « faire brûler du tabac ou une substance comparable en portant à ses lèvres une cigarette, une pipe, etc., et en aspirant de la fumée qui s’en dégage », pour en déduire que « le législateur a voulu désigner dans cet article [article L.3511-1 du Code de la santé publique], outre le tabac et les cigarettes en contenant, tous les autres produits de substitution, existant ou à venir ». Ce raisonnement est erroné, tant d’un point de vue sémantique, que juridique :

– Sémantiquement, car la référence au verbe « brûler », qui signifie « détruire par le feu » (le petit Larousse illustré 2012), induit la présence du « feu » et donc de combustion, ce que n’implique pas le fonctionnement d’une cigarette électronique

– Juridiquement, car la liberté d’entreprendre (article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789) impose un principe d’interprétation stricte des restrictions légales et réglementaires, en application duquel les juges auraient dû, ici, s’en tenir à la stricte signification du terme « produits à fumer ».

Le rapport sur l’e-cigarette (du 28 mai 2013) indique d’ailleurs clairement que les e-cigarettes ne peuvent pas être considérés comme un « produit fumé » en l’absence de combustion, et qu’« il faudrait modifier la définition des « produits du tabac » en France si l’on voulait considérer l’e-cigarette comme tel » (rapport précité p.156).

Une décision raisonnable sur la publicité

Toute publicité en faveur d’un produit du tabac est interdite en dehors des seules enseignes de débit de tabac et certains autres supports spécialisés (article L.3511-3 du Code de la santé publique). L’article L.3511-4 étend cette interdiction à toute publicité faite en faveur « d’un produit ou d’un article autre que (…) un produit du tabac (…) lorsque par son graphisme, sa présentation, l’utilisation d’une marque, d’un emblême publicitaire ou un autre signe distinctif (…) rappelle (…) un produit du tabac ».

Les textes étant ici rédigés de manière particulièrement large, il n’y avait aucune raison pour ne pas condamner la société E, dont les pratiques étaient, en outre, plus que douteuses (reprise quasi-servile des codes couleurs et des polices des marques Marlboro et Camel).

Une décision à relativiser

La portée de cette décision non définitive doit être relativisée en raison de l’adoption imminente d’une directive visant à harmoniser la législation des Etats membres s’agissant du « tabac et de ses produits ». Ce projet de directive, qui devrait prochainement être examiné en deuxième lecture par le Parlement Européen, avait été adopté par ce dernier, en première lecture, le 8 octobre 2013, dans une version créant la catégorie des « produits contenant de la nicotine » (« PCN »), catégorie dans laquelle entrait la cigarette électronique qui, ainsi, échappait à une partie des restrictions applicables au « produits du tabac ».

L’arbre qui cache la forêt

Cette décision dessine les contours d’un nouveau risque pour les vendeurs de cigarettes électroniques : la revendication des débits de tabac d’inclure dans leur monopole, la vente des cigarettes électroniques.

En pratique, la baisse en volume des ventes de cigarettes s’expliquant, en partie, par la hausse des taxes ainsi que par le nouvel attrait des cigarettes électroniques, force les débits de tabac à rechercher d’autres marchés.

Il existe alors un risque certain que les pouvoirs publics, sous l’effet d’un lobbying important des débits de tabacs, finissent par intégrer dans le monopole des débits de tabac, les cigarettes électroniques.


Matthieu Bourgeois – KGA Avocats – www.kga.fr – Consultez les chroniques juridiques du cabinet sur www.kpratique.fr

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