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Analyse du discours politique français sur la cigarette électronique

Mis à jour le 29/03/2017 à 13h58
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Une simple analyse du champ lexical politique utilisé lors des récentes discussions au Sénat cette semaine, montre le fossé entre les préoccupations du législateur et celles du consommateur.

Vers une modification du Code de la santé publique

senat-lexicL’objet de l’article 5 sexies adopté au Sénat ce mercredi est d’étendre à la cigarette électronique les interdictions de publicité et de propagande déjà appliquées aux produits du tabac. C’est notamment l’article L. 3511‑3 du Code de la santé publique qui est visé.

Selon les dernières informations gouvernementales le plan national de réduction du tabagisme devrait encadrer très strictement la communication en faveur du vaporisateur, qui réduit pourtant de 95% le risque tabagique selon un rapport des autorités sanitaires anglaises. Le dernier baromètre INPES rappelle de son côté que le vaporisateur personnel a permis à 400 000 personnes d’arrêter de fumer en France. Ce chiffre s’élève à 1,1 million pour le Royaume-Uni où le produit connaît également une popularité importante.

Rappel
En élargissant l’interdiction de la publicité en faveur des produits du tabac, aux dispositifs électroniques de vapotage, ce projet de loi menace le coeur de la vape communautaire dont la libre expression est le moteur principal.

Un des impacts de cet article, et pas des moindres, sera d‘étendre la jurisprudence existante pour le tabac à la cigarette électronique, c’est à dire, la façon d’interpréter les textes dans les affaires portées devant les tribunaux.

En matière de tabac, pour des raisons de santé publique, les juges de la Cour de cassation donnent une définition très large à la notion de publicité. Ils se sont attachés aux finalités des opérations. Finalement, est une publicité tout message à destination du public, quel que soit son support, et quel que soit son auteur. C’est la finalité du message qui compte.

Le terme “Propagande” vise toute forme de discours, même général, qui inciterait le consommateur à faire usage d’un produit de la vape. Ainsi, écrire “cet atomiseur dispose d’un pas de vis 510 et d’un plot de connexion ajustable” pourrait être considéré comme de l’information, tandis que “l’ensemble pyrex et aluminium de ce tank sont du plus bel effet” pourrait s’en écarter et être considéré comme de la propagande.

Buralistes, débitants de tabac, le Sénat a les yeux tournés vers ces “préposés de l’administration”

“il s’agit d’un problème économique lié à la situation des buralistes, auquel vient s’ajouter un problème de santé publique.”

A partir de la retranscription écrite des débats en séance plénière au Sénat, nous nous sommes livrés à une rapide étude du champ lexical utilisé.

L’exercice révèle l’écart entre les préoccupations des vapoteurs ou scientifiques engagés dans la réduction des risques et celles des sénateurs.

Nous avons ainsi compté 35 occurrences des mots “buraliste”, “débitant de tabac”, “préposé de l’administration”. Les mots “bureaux”, “débits de tabac” et “commerces” ont été cités 37 fois. “Diversification” et “activités” des buralistes 18 fois.

Une vision restreinte de la publicité

L’article débattu ce mercredi 16 septembre est consacré à la publicité et la propagande pour les dispositifs électroniques de vapotage.

Si au cours de ces débats le mot “publicité” a été utilisé 40 fois et le terme “affichette” 18, le mot “propagande” n’a en revanche jamais été prononcé, pas davantage que “forum”, “blogs”, “revues” ou encore “communautés” que cet article pourrait bien viser et interdire. Interdire, verbe employé pourtant 19 fois, semble pour le moment se limiter aux seules publicités physiques et non à ses multiples déclinaisons juridiques dont l’histoire des tribunaux en France regorge.

La présentation positive d’un produit du tabac, quelle que soit sa source et son message, peut en effet avoir une incidence bien particulière lorsque la finalité du message est prise en compte par un juge.

Le vapoteur et la science omis des discussions

A 17 reprises il a été question de “sevrage”, “d’arrêt” ou “d’arrêter (le tabac)”. Les “fumeurs” ont été cités à 14 occasions contre une seule occurrence pour le mot “vapoteur”. La “nicotine” quant à elle, a été évoquée à 10 occasions, l’addiction une seule.

Nous n’avons relevé aucun des termes suivants : science, tabacologie, experts, spécialistes, cardiologues, tabacologues ou addictologue, ni réduction des risques. Le terme “scientifique” est apparu deux fois, “médecin” et “cancérologue” une fois chacun.

Le rapport britannique attaqué par la ministre de la Santé

Le rapport produit par le gouvernement britannique a été mentionné à deux reprises, dont une fois pour remettre en cause son intégrité. La ministre en charge de la santé Marisol Touraine l’ayant même accusé d’avoir été “financé par l’industrie du tabac et de la cigarette électronique“. Une critique du Lancet ici reprise par la ministre à propos de ce rapport pourtant soutenu depuis par 12 organismes de santé publique.

Pour terminer, la “re-normalisation” de l’acte de fumer qui constitue pourtant officiellement l’un des moteurs de ces mesures, n’a jamais été prononcé.

Extraits audios

Ci-dessous quelques extraits audio de la séance plénière du Sénat, le mercredi 16 septembre 2015

Au cours des débats, nous avons pu constater différents niveaux de maîtrise sur le sujet du vaporisateur selon les orateurs. Si certains sont apparus relativement bien informés, d’autres se sont en revanche montrés beaucoup plus approximatifs lorsqu’il s’agissait d’aborder cette problématique avec précision.

“Je ne veux pas qu’il y ait d’ambiguïté”

L’irruption du rapport anglais sur la cigarette électronique dans le paysage politique de la lutte contre le tabagisme ne bouscule pas les débats français. Sa prise en compte dans les mesures de lutte anti-tabac au Royaume-Uni n’a soulevé aucune curiosité publique chez nos sénateurs à défaut d’enthousiasme.

Cette agence tout à fait officielle estime dans ce rapport que les cigarettes électroniques sont moins dangereuses de 95 % que les cigarettes classiques et constitueraient sans doute un outil efficace dans la lutte contre le tabagisme” explique l’un des sénateurs présent à cette séance.

Marisol Touraine, actuelle ministre de la Santé et des Affaires sociales, préfère quant à elle s’appuyer sur la récente étude publiée par le journal JAMA, “l’un des grands journaux médicaux internationaux” qui laisse notamment la porte ouverte à la théorie de la passerelle de la cigarette électronique vers le tabagisme. “Elle montre que [les jeunes] qui ont déjà utilisé des cigarettes électroniques sont plus susceptibles de s’engager dans l’usage de la cigarette classique que les autres” explique la ministre à ses interlocuteurs.


 

A un autre sénateur qui rapporte s’être “laissé dire que [cette étude] avait été financée par l’industrie du tabac” la ministre de la santé répond :

Je ne veux pas qu’il y ait d’ambiguïté et laisser dire que l’étude que j’ai citée a été financée par l’industrie du tabac. Au contraire, cette étude remet en cause les conclusions d’une autre étude, qui, elle, avait été financée par l’industrie du tabac et par des fabricants de vaporettes, enfin de cigarettes électroniques, et c’est celle là qui a provoqué des controverses. C’est une étude publiée par le Public Health England, donc l’institut anglais de santé publique, et c’est cette étude là qui est contestée par celle que j’ai évoquée.

La science dans les hauts étages

Au cours des débats, faute de disposer “d’études sérieuses ou définitives” certains orateurs s’en sont remis à leurs observations personnelles ou leur conviction intime pour en tirer des conclusions que chacun pourra apprécier.

Nous ne savons pas encore, faute d’étude sérieuse (…) si la cigarette électronique est dangereuse ou non“.

Simplement, je crois peu à l’intérêt de la publicité pour la cigarette électronique“…”ce sont des palliatifs sans grand intérêt” … “les publicités en faveur de produits dérivés n’ont pas beaucoup d’intérêt pour les vrais fumeurs.

Je suis moi aussi un béotien en matière de cigarettes. Je ne fume pas, n’ai jamais fumé, et suis pour la lutte contre le tabac.

A partir du moment où [ils] sont volontaires pour arrêter de fumer,” ( …) Ces gens là n’ont pas besoin de la publicité, ” …”Bien que je ne fume pas moi-même, je connais un certain nombre de fumeurs. Pour certains d’entre eux, la cigarette électronique n’a pas constitué une aide et ils continuent malheureusement de fumer.

C’est un produit nouveau, qui, pour ce que j’en connais, n’est utilisé que par d’anciens fumeurs. Je n’ai pas encore rencontré, dans mon entourage ou à l’occasion de contacts occasionnels, de personnes ayant commencé à fumer avec des cigarettes électroniques.

“On me dit que certaines de ces cigarettes contiennent de la nicotine !”

Au Sénat aussi, la nicotine a très mauvaise réputation.

La cigarette électronique “reste tout même un produit nicotinique, à l’aspect proche de celui de la cigarette.” Et “si le risque de cancer a disparu avec l’absence de goudrons, il n’en reste pas moins que la présence de nicotine pousse les fumeurs vers une addiction et non un sevrage.” “Comment peut-on affirmer qu’elle n’incitera pas les jeunes générations à fumer ?

La publicité pour des substances contenant de la nicotine doit être interdite purement et simplement !

Une “communauté rebelle et solidaire”

Pour l’un de ses signataires, l’amendement “a suscité – c’est un peu une surprise – des réactions excessives, pour ne pas dire caricaturales. Ses auteurs seraient inféodés aux industriels du tabac, face auxquels les professionnels et les usagers de la cigarette électronique, qui constitueraient une nouvelle communauté rebelle et solidaire, s’organisent pour une « vape libre ».

La haute exigence de protection de la santé publique … justifie … que la distribution de l’e-cigarette et des flacons de recharge relève du même circuit que le tabac

Un monopole souhaité mais raté

A son tour de parole, Marisol Touraine a expliqué que “si l’option [du monopole de la commercialisation par les buralistes] était apparue possible d’un point de vue juridique, le Gouvernement l’aurait examinée avec une grande attention“. Mais “dans l’état actuel de la législation européenne,” cette proposition paraît “impossible à accepter : si nous adoptions ces amendements (…) les magasins spécialisés dans les produits du vapotage pourraient être conduits à engager la responsabilité de l’État, en arguant de la jurisprudence.

Une vision trop peu contrastée de la santé publique

La première chose à faire lorsqu’on envisage d’arrêter de fumer, c’est tout de même d’éviter de fréquenter les bureaux de tabac !

Veut-on favoriser le passage à la cigarette électronique ou laisser les gens continuer à fumer des cigarettes classiques ?“.

Soutenir la consommation du tabac pour soutenir les buralistes (…) est contraire aux objectifs de santé publique.” pas suffisamment cependant pour ne pas voter l’article 5 sexies et interdire toute forme de communication autour de la cigarette électronique.